Durant ses premières années à l'Élysée, Emmanuel Macron a réussi le hold-up parfait. En choisissant de multiplier les messages en direction de la droite, le chef de l'État a attiré à lui le vote des seniors. Lors du premier tour de la présidentielle de 2017, les plus de 65 ans avaient été 39% à choisir François Fillon. Cinq ans plus tard, lors de celui de 2022, ils sont exactement le même nombre à se prononcer en faveur d'Emmanuel Macron. Pour lui, cela s'est révélé un transfert vital. Dans le corps électoral, les plus de 65 ans occupent en effet une place considérable : ils pèsent lourd au sein de la population (ils sont environ 15 millions) ; ils sont plus nombreux que les autres à se rendre aux urnes les dimanches d'élections.
À l'occasion des européennes, ce capital est-il, pour le camp présidentiel, en train de fondre ? Aujourd'hui, si la liste conduite par Valérie Hayer se situe dans les basses eaux, c'est notamment parce que les plus de 65 ans manquent à l'appel. « Notre mauvais score actuel s'explique par un défaut de mobilisation de notre électorat. Un électeur sur deux d'Emmanuel Macron en 2022 ne va aujourd'hui pas voter, admet un stratège de la campagne. L'abstention différentielle nous est défavorable. » Un membre du gouvernement se fait plus alarmiste : « Les retraités nous boudent ou nous quittent. Ils sont devant les chaînes info toute la journée et celles-ci leur renvoient les images d'un pays qu'ils ne reconnaissent plus. Il faut les rassurer tout de suite et leur expliquer que la France n'a pas tant changé que ça. »
Un électorat sévère sur le régalien et le déficit
Après sept années de Macron à l'Élysée, une certaine désillusion se fait sentir aussi dans cette catégorie-là de Français. « Après y avoir été au plus haut, du Covid au lendemain de l'élection présidentielle de 2022, Emmanuel Macron y subit depuis une lente érosion. Il y est aujourd'hui au plus bas depuis décembre 2018 et la crise des Gilets jaunes, quand les retraités modestes l'avaient quitté, analyse Bernard Sananès, le président de l'institut Elabe. Les plus de 65 ans ne retrouvent pas le président pour lequel ils s'étaient déplacés à la présidentielle. Ils attendaient une remise d'équerre du pays et ils sont déçus par le rythme des réformes. Ils jugent sévèrement ses résultats sur le plan régalien et le déficit, ce qui a entamé sa crédibilité. » 70% des retraités se disent insatisfaits du bilan d'Emmanuel Macron, selon une enquête effectuée par l'Ifop pour Sud Radio ce mois-ci. Ils sont seulement 20% à juger positivement son action en matière d'immigration et 14% en matière de lutte contre la dette.
À moins de cinquante jours du scrutin, la liste de Valérie Hayer est ainsi, auprès des seniors, au coude-à-coude dans les sondages avec celle de Jordan Bardella. Le Rassemblement national en attire environ 25%. Pour ce parti, c'est une performance notable. Lors du premier tour de la présidentielle de 2022, Marine Le Pen avait recueilli 18% chez les plus de 65 ans. Au second, ils étaient 30% à la choisir, contre 70% pour le chef de l'État. Pour elle, ces deux contre-performances avaient été un indice supplémentaire : les retraités étaient réfractaires au vote RN. Dans sa conquête du pouvoir, c'était un obstacle considérable. Celui-ci est-il en passe de tomber ?
Les finances publiques, planche de salut pour LR ?
« Cette poussée est la conséquence de la stratégie de la respectabilité adoptée par le RN, avance Bernard Sananès. À partir du moment où ils sont devenus respectables, ils sont devenus plus audibles auprès d'une population qui était jusqu'alors effrayée par leurs propositions en matière régalienne. » À sa manière, une ministre en donne une illustration : « On ne le voit pas, mais de plus en plus de retraités immigrés votent pour le RN. Ils voient leurs enfants dépassés par leurs propres enfants. On ne mesure pas l'onde de choc des émeutes urbaines. » Sur le plan économique, le Rassemblement national a également procédé à quelques premiers correctifs (fin de la sortie de l'euro et de la retraite à 60 ans, par exemple) afin de tenter de séduire un électorat très soucieux de sérieux et de compétence en la matière. « La sociologie de nos fédérations a changé, rapporte le député RN du Nord Sébastien Chenu. On a pris la place de LR. »
Récemment, Éric Ciotti a échangé avec un poids lourd de la Macronie au sujet des conséquences du reflux de cet électorat que subissent leurs camps respectifs. Le patron de LR sait de quoi il parle : en 2022, seuls 10% des plus de 65 ans ont voté pour Valérie Pécresse. Comment faire mieux ? Mardi, lors de la réunion du comité stratégique des Républicains, le sujet a été abordé. « La question des finances publiques fait partie de notre ADN. Alors que le RN n'est pas crédible pour protéger l'épargne et la retraite des Français, ce sujet doit être différenciant pour nous, dit un responsable du parti. Nous pouvons faire mieux chez les seniors. »
Dans le camp présidentiel, on compte sur l'engagement d'Emmanuel Macron dans la campagne pour reprendre le large dans cette catégorie électorale si décisive. « L'agenda va faire écho à leurs préoccupations », veut croire un conseiller élyséen. Du discours de la Sorbonne jeudi aux cérémonies du 80e anniversaire du Débarquement, le 6 juin, le chef de l'État aura l'occasion de leur adresser beaucoup de messages. « C'est vital car, le 9 juin, c'est eux qui se déplaceront », dramatise-t-on au QG de Renaissance. Une grande bataille a commencé.