La diversité socio-culturelle peine encore à s'affirmer dans les entreprises

Angle mort des politiques volontaristes, essentiellement axées sur les femmes, les personnes en situation de handicap ou les LGBT+, l'origine sociale ou ethnique se prête mal à la mesure. Certaines entreprises passent quand même à l'action.

Les entreprises ont beau clamer qu'elles veulent refléter la diversité de la clientèle qu'elles servent, elles en sont loin... Pour la première fois en France, Mozaïk RH a publié un état des lieux sur la diversité ethno-culturelle dans les instances dirigeantes des entreprises du SBF 120, réalisé avec le cabinet de conseil et d'accompagnement sur l'inclusion et la diversité Me&youToo, en mai 2022. Si, selon l'Insee, la part des immigrés et descendants d'immigrés représenterait 30 % de la population en France (dont 13 % issus de l'immigration extra-européenne), la composition des instances dirigeantes des 120 grandes entreprises cotées est très éloignée de cette réalité.

De fait, les résultats de l'étude montrent que 6 % seulement des dirigeants des comex du SBF 120 sont issus des minorités visibles ou ont un patronyme à consonance extra-européenne. En outre, seuls 1,7 % des dirigeants du comex des 20 entreprises du SBF 120 dans lesquelles l'Etat a une participation de plus de 10 % au capital ou possède au moins un siège au conseil d'administration sont issus des minorités visibles. Enfin, le SBF 120 ne compte que quatre PDG issus de la diversité ethno-culturelle et 49 % des membres des comex de ces 120 sociétés sont diplômés des 10 grandes écoles les plus sélectives.

Une collecte de données ni impossible ni interdite

A l'occasion d'une conférence sur la mesure de la diversité, dans le cadre du Sommet de l'inclusion économique, qui s'est tenu à l'initiative de la Fondation Mozaïk le 28 novembre, Mariam Khattab, directrice générale de Mozaïk RH, est revenue sur cette étude. « Il y a souvent confusion entre diversité des origines et statistiques ethniques, a-t-elle relevé. Or contrairement à ce que croient les entreprises, il n'est ni impossible ni interdit de collecter des données sur les origines socio-culturelles, à condition qu'elles soient anonymes et que les répondants y consentent, par opposition aux statistiques ethniques, interdites en France. » Faut-il que les entreprises se contentent, pour agir, des informations en matière de discrimination, puisque la loi comporte 25 critères de discrimination interdits ? A cet égard, la France est, en Europe, le pays où la perception des discriminations est la plus aiguë. Les employeurs doivent-ils se fonder sur des études concernant la notion d'égalité des chances qu'auraient les salariés ? Ou au contraire mettre en place un index, au même titre qu'il en existe un sur l'égalité professionnelle femmes / hommes ?

Un Index Diversité resté lettre morte

L'expérimentation, auprès de neuf organisations pilotes publiques et privées, d'un Index Diversité et Inclusion, lancée en 2021 par Élisabeth Moreno, alors ministre déléguée auprès du Premier ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l'Égalité des chances, a tourné court. « L'élan est retombé alors qu'il aurait fallu l'élargir aux petites entreprises », soupire Batoul Hassoum, co-présidente du Club du 21e siècle.

Certaines organisations ne se laissent pas abattre pour autant. « Les entreprises doivent s'engager sans attendre une contrainte législative ! », s'exclame Aadil Bezza, directeur général des Ressources Humaines du groupe Nestlé en France. Il a fait appel à Mixity, une plateforme digitale d'empreinte diversité et inclusion, pour évaluer puis piloter sa politique selon cinq critères (genre, handicap, multi-culturel, multi-génération, LGBT+). Axa France a fait de même. De quoi permettre ensuite la mise en œuvre d'une politique plus affirmée. Dans le recrutement, notamment. « 28 % de nos alternants viennent des quartiers prioritaires de la ville », indique ainsi Aadil Bezza. Chez TotalEnergies, c'est 10 %, selon Agnieszka Kmieciak, Senior Vice President People & Social Engagement du groupe. Et « 16 % des recrutés chez nous en sont également issus », ajoute Amélie Watelet, la DRH d'Axa. En outre, certaines entreprises lient une partie de la rémunération de leurs cadres supérieurs à des avancées dans ce domaine.

Mais avant de pouvoir s'engager pour faire en sorte que chacun et chacune, quelle que soit son origine socio-culturelle, se sente appartenir à l'entreprise, encore faudrait-il que dirigeants et équipes managériales tordent le cou à leurs propres préjugés. « Je fais partie de cette génération qui doit déconstruire ses stéréotypes et ne plus penser que quelqu'un d'origine portugaise a forcément une concierge dans sa famille... », a d'ailleurs avoué Augustin de Romanet, PDG du groupe ADP. Quant à Saïd Hammouche, fondateur du groupe Mozaïk, il n'a pas hésité à interpeller Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, qui a prêté des locaux à Bercy pour accueillir le Sommet de l'inclusion économique, sur le fait que les offres d'emploi du ministère ne figuraient pas encore sur la plateforme Mosaïk RH. Elle permet pourtant aux diplômés d'origines sociales et culturelles diverses d'être recrutés à la hauteur de leurs compétences...

Alerte sur l'anti-wokisme en entreprise

C'est un concept flou, qui a pris sa source aux Etats-Unis, où il fallait être « éveillé » (woke), autrement dit, conscient des injustices sociales et raciales, pour se transformer, là-bas comme ici, en épouvantail : pour certains, ces éveillés revendiqueraient avant tout, au prétexte d'une différence, des droits supplémentaires, de nature à fragmenter un tissu social déjà fragile... « Depuis un an et demi environ, la méfiance vis-à-vis du wokisme, voire un anti-wokisme, apparaissent en entreprise, témoigne Inès Dauvergne, co-fondatrice du cabinet de conseil Me&YouToo, spécialisé dans l'accompagnement à la diversité et l'inclusion en entreprise. On voit par exemple des hommes blancs qui rejettent les stratégies d'entreprise visant à promouvoir des femmes ou des personnes issues de minorités, en considérant que seules les compétences et la performance comptent. » Que faire dans ce cas ? « Lever les freins pour que tous les talents puissent s'exprimer et être reconnus », répond-t-elle. Et, de manière plus générale, « mieux définir l'inclusion, en montrant que chacun peut être respecté dans sa singularité, mais au sein de valeurs communes », ajoute-t-elle. Plus facile à dire qu'à faire, sans doute, d'autant que l'employeur, comme la société civile, doit également gérer une « concurrence » entre les « minorités »...

I. F.

Commentaires 4
à écrit le 02/12/2023 à 15:52
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Qui a déjà rencontré des manageuses trans en entreprise ?

à écrit le 29/11/2023 à 17:55
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"essentiellement axées sur les femmes" Ben c'est quand même plus de la moitié de la population mondiale et en plus c'est loin d'être gagné !

à écrit le 29/11/2023 à 16:20
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Certes, mais pour les femmes :"Qui va garder les gosses"? 😃

à écrit le 29/11/2023 à 15:15
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C'est juste a l'image du reste de la société ! il suffit de se balader a paris pour comprendre lorsque l'on regarde les entreprises qu'il y a une hiérarchisation des postes sur l'origine, et le fait de ne pas faire de statistiques ethniques le permet...

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