Mixité et diversité : pourquoi la French Tech peine à sortir de son entre-soi

A l’heure où la French Tech célèbre ses dix ans, la mixité et la diversité restent l’une des faiblesses de l’écosystème. Au-delà de la nécessité de déconstruire des stéréotypes, des actions concrètes et de bonnes pratiques ont été partagées par Delphine Barthe, fondatrice de Stirrup, Marie Brayer, partenaire de Fly Ventures, Maya Noël, directrice générale de France Digitale, Romain Paillard, cofondateur du Wagon et Alexia Reiss, directrice exécutive de Sista, lors de la première édition de Tech for Future, organisé par La Tribune au Grand Rex de Paris.
Maya Noël, directrice générale de France Digitale, était invitée au débat sur la mixité et la diversité organisé par La Tribune au Grand Rex de Paris, le jeudi 6 avril 2023, lors de Tech for Future.
Maya Noël, directrice générale de France Digitale, était invitée au débat sur la mixité et la diversité organisé par La Tribune au Grand Rex de Paris, le jeudi 6 avril 2023, lors de Tech for Future. (Crédits : Georges Vignal)

La route est encore longue vers la mixité dans la tech, à en juger par les chiffres qui s'obstinent à stagner d'année en année, en particulier en matière de financement. Ainsi, seuls 12 % du montant total levé par la tech française ont été captés par les startups fondées ou cofondées par les femmes en 2021, d'après le dernier baromètre de Sista, une ONG qui soutient les entrepreneures face aux problématiques de financement.

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Autrement dit, la grande majorité des fonds sont levés par des équipes exclusivement masculines...Une lueur d'espoir existe toutefois. « Il y a de plus en plus de femmes qui créent des entreprises ou s'associent avec des hommes pour lancer des entreprises dans la tech », constate Alexia Reiss, directrice exécutive de Sista. De fait, 24 % des jeunes pousses sont désormais fondées ou cofondées par des femmes, selon l'association. « Nous pouvons espérer que, dans les prochaines années, il y aura un vrai impact sur le financement, d'autant que les startups cofondées par un homme et une femme lèvent en moyenne 1,4 de plus que celles fondées uniquement par des hommes », avance-t-elle.

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Changer l'image de marque

« Vingt-cinq pour cent de nos sociétés ont des femmes cofondatrices », témoigne ainsi Marie Brayer, partenaire de Fly Ventures, un fonds qui investit, à travers l'Europe, dans les startups, notamment les deeptech, en stade très peu avancé. « Comme nous investissons dans des entreprises dont les fondateurs ont des backgrounds techniques, nous voyons beaucoup d'ingénieurs et de doctorants, où il y a effectivement une population très masculine », ajoute-t-elle. Mais pas partout...« En Europe de l'Est, où nous avons beaucoup de flux de transactions, c'est 50-50 entre les hommes et les femmes. Là-bas, le taux d'ingénieurs femmes n'est pas aussi faible qu'ici », observe-t-elle.

Il y aurait donc un problème de tuyaux. « Il y a dix ans, c'était compliqué de recruter dans la tech parce qu'on n'existait pas dans le paysage économique et, pour exister, une forme de caricature s'est créée sur ce que travailler en startup veut dire », analyse pour sa part Maya Noël, directrice générale de France Digitale. Une image de « geek » en basket exerçant des métiers très techniques, en somme.

Or, c'est loin d'être la réalité du secteur, aux métiers très variés - techniques, certes, mais aussi commerciaux ou de clientèle, par exemple. « Il y a un véritable enjeu de démystification de ce qu'est cet écosystème parce que nous sommes entrés dans une phase de maturité où nous avons besoin de beaucoup de diversité et pas seulement des développeurs et d'une ultra-élite. Il y a donc une véritable image de marque à changer dans la façon dont nous communiquons sur cet écosystème », considère la responsable de cette association de startups et d'investisseurs français du numérique. Une manière d'enlever une barrière à l'entrée.

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Reconversions

« S'ouvrir à la diversité, à la mixité, à la parité, c'est une vraie valeur ajoutée pour la tech », acquiesce Romain Paillard, cofondateur de l'école de code Le Wagon. Dans le cadre de ces formations, « plus nous avons de diversité, plus nous avons de richesse, puisque les personnes viennent avec leurs bagages et leurs expériences antérieures, toutes différentes. Nous avons des anciens chauffeurs routiers, des chaudronniers et même des moines », martèle le cofondateur de ce réseau, créé il y a neuf ans et qui a formé jusqu'ici 20.000 personnes dans ses 40 campus dans le monde.

Dans ses rangs, Le Wagon compte 54 % d'employées femmes, 40 % sur les postes techniques, indique Romain Paillard, tandis que les femmes représentent 30 % des anciens élèves. Et le dirigeant d'estimer que « c'est un rôle fondamental de la formation professionnelle et tout au long de la vie de prendre le relais en tant qu'égalisateur social. Ce que devraient être l'école et les études supérieures » - même s'il redoute, à long terme, « une hiérarchisation au sein des métiers de la tech entre une sorte d'élite et des petites mains qui exerceraient des métiers de 'seconde zone' ».

Les écoles qui ouvrent des opportunités aux personnes en reconversion sont justement l'une des solutions explorées par Delphine Barthe pour recruter. La fondatrice de Stirrup, une plateforme qui met en relation propriétaires de logements vacants et associations d'aide au logement d'urgence, a ainsi embauché deux salariées issues de la Rocket School, une école de vente et de marketing digital. « Cela apporte une plus-value à la startup aujourd'hui », affirme-t-elle. « L'inclusion passe par la formation, le recrutement et les programmes d'accompagnement », ajoute celle qui a participé au lancement d'un club d'affaires, baptisé Présentes, pour accroître la visibilité des femmes de la tech lilloise et créer des rôles modèles. La fondatrice de « l'Airbnb solidaire » a, entre autres, été accompagnée par Sista. L'association, en effet, met régulièrement sur orbite des promotions embarquant vingt entrepreneures en quête de fonds.

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Indispensable proactivité

« Il faut mettre de l'huile dans les rouages à tous les endroits de la mécanique », abonde Maya Noël, pour donner envie aux filles et aux femmes de faire carrière dans la tech. À l'école comme au sein de l'entreprise, via les recrutements et la montée en compétences. Autre piste, le mentorat, pour apprendre, par exemple, à cultiver son charisme.

Enfin, davantage de mixité et de diversité passe par la proactivité. « Souvent, quand on monte une entreprise, le temps manque et le premier réflexe est de se tourner vers son réseau pour recruter », résume Maya Noël. De quoi entretenir le cercle vicieux... La dirigeante de France Digitale en est convaincue : « Il ne faut pas attirer les talents, il faut aller les chercher ! », dit-elle. Sans oublier des initiatives telle le Pacte parité, lancé l'an dernier par la Mission French Tech pour faire avancer l'égalité hommes-femmes au sein de l'écosystème des startups tricolores, qui devraient également porter leurs fruits. Selon un point d'étape publié sur le site de la French Tech, 83 entreprises du French Tech Next40/120 des promotions 2022 et 2023 ont signé ce pacte qui inclut cinq engagements, dont celui de faire siéger 20 % des femmes au minimum au conseil d'administration de l'entreprise à l'horizon 2025.

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Commentaires 3
à écrit le 19/04/2023 à 2:59
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[ "Nous pouvons espérer que, dans les prochaines années, il y aura un vrai impact sur le financement, d'autant que les startups cofondées par un homme et une femme lèvent en moyenne 1,4 de plus que celles fondées uniquement par des hommes...

à écrit le 18/04/2023 à 8:48
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Comme disais DengSiaoPing: peu importe que le chat soit blanc ou gris pourvu qu’il attrape les souris.

à écrit le 18/04/2023 à 7:00
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Il faudrait déconstruire la déconstruction ! Si on prolonge la logique déconstructionniste, un homme ne serait qu'une femme lesbienne. C'est le corporatisme qui a permis le développement des technologies et la transmission du savoir faire. L'entre-so...

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