« La pornographie éduque nos enfants à notre place ! » (Professeur Israël Nisand, gynécologue obstrétricien)

ENTRETIEN EXCLUSIF - Dans un livre coup de poing, le professeur Israël Nisand sonne l’alarme : les adolescents sont largement ignorants du b.a.-ba de la vie sexuelle et, tous, partout, sans exception, sont formatés par le porno avant l’âge de 10 ans.
Israël Nisand, face aux élèves du lycée Le Corbusier  à Illkirch- Graffenstaden  (Bas-Rhin), en octobre 2015.
Israël Nisand, face aux élèves du lycée Le Corbusier à Illkirch- Graffenstaden (Bas-Rhin), en octobre 2015. (Crédits : François BOUCHON/Le Figaro)

Si les jeunes sont tout particulièrement affectés par la « sex recession » révélée il y a quinze jours par une enquête Ifop (28 % des 18-24 ans admettent ne pas avoir eu de rapport en un an, contre 5 % en 2006, c'est-à-dire cinq fois plus !), les racines de cet état des choses seraient-elles à chercher du côté d'une très mauvaise éducation sentimentale et sexuelle ? Israël Nisand est un homme de science - professeur de gynécologie obstétrique à l'université de Strasbourg -, d'expérience
- il a 73 ans -, et d'engagement - féministe, athée et de gauche. Il se bat pour que l'on parle de sexe dans les écoles, ce qu'il fait régulièrement dans des classes de seconde, de troisième, voire de quatrième. Il publie Parler sexe, un vade-mecum aussi édifiant que glaçant - écrit avec Pauline Delassus, journaliste à La Tribune Dimanche - à l'attention des parents, des enseignants et des adolescents. Pour mettre en garde les premiers, former les deuxièmes et informer les troisièmes.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Est-il simple de « parler sexe » avec les jeunes ?

ISRAËL NISAND - Dans les écoles, je commence en disant : « Voilà les fake news » ; puis j'enchaîne avec les « vraies news ». Et je peux vous jurer que les oreilles sont dressées comme celles des cockers. En banlieue, il y a toujours un petit caïd qui est le responsable de la sexualité de la classe et qui commence par essayer de « driver » la parole sur le sexe. La bagarre commence dans les deux premières minutes, je suis obligé de faire un bras de fer immédiat. « Toi, viens ici, assieds-toi, à côté de moi, face à la classe. » Et je lui glisse à voix basse : « Tu bouges une oreille, t'es dehors. » Et ça s'arrête. En donnant l'impression que la sexualité ne serait que technique, les interventions en milieu scolaire où l'on se contente d'évoquer la pilule et le préservatif peuvent être contre-productives. Ce qui intéresse les ados, c'est tout le reste : l'homosexualité, la masturbation, la jouissance, les violences sexuelles. Il y a quelques jours, j'étais à Victor-Duruy [Paris 7e] pendant deux heures avec des classes de troisième. Victor-Duruy, c'est des gosses de bourgeois. C'était très policé, mais j'ai été surpris de voir que, sur les questions de genre, deux ou trois élèves m'ont repris, on voyait que ça les concernait personnellement. Cela fait deux ans seulement que ce sujet du genre est arrivé dans les écoles. Il y a une évolution extrêmement rapide, liée à la grande puissance des transactivistes qui inondent les réseaux sociaux avec ce type de propos : « T'es triste ? C'est parce que tu n'es pas dans le bon corps. » J'ai vu de nombreuses gamines qui, se sentant homosexuelles et n'osant pas le dire à leurs parents, affirment : « Je me sens un homme. » Le changement de genre, c'est 80 % de femme vers homme, ce qui nous dit aussi quelque chose sur la condition féminine...

L'Éducation nationale aujourd'hui vous dit que 75 % des élèves ont de la formation à la sexualité. Faux ! Ce n'est même pas 10 % !

À vous entendre, c'est plus facile d'être trans que d'être homosexuel ?

Absolument. C'est vachement mode, on est défendu par tout le monde transactiviste, qui vous protège contre ces salauds de réacs qui sont contre la transition ! La peur d'être transphobe a complètement infiltré l'administration française. Moi, j'alerte les ados, je leur dis : « Attention, pas de jouissance, pas d'enfant, des hormones à vie. » À Victor-Duruy, une jeune fille m'a posé une question sur les conséquences de la chirurgie de réassignation : « Est-ce que quand on a été opéré la peau du scrotum lubrifie pendant les rapports ? » Évidemment non ! On a beau retourner la peau du scrotum pour faire un vagin, ce n'est pas un vagin !

Votre protocole ne varie pas quel que soit l'établissement : une boîte à questions anonymes posées par les élèves sur des bouts de papier. Quelle est la pire question qui vous ait été ainsi posée ?

« Quand une meuf ne veut pas, est-ce qu'un copain peut la tenir pour qu'on puisse se la faire ? » Celle-là, je l'ai eue au collège Les Grands-Champs à Poissy [Yvelines]. L'éducation sexuelle repose sur l'éducation à la question du consentement. Comme les vidéos porno leur montrent qu'une femme qui a dit non en fait elle pense oui, et que, si on est bien viril et qu'on s'en sert correctement, elle va vous dire merci, eh ben ils y vont ! Il faut lutter contre cette désinformation sur le consentement. Les gamins sont victimes. On leur a dit qu'il fallait se servir des nanas, ils s'en servent. Ce sont les conséquences de l'éducation par le porno.

50 % des enfants de 11 ans ont vu un film pornographique. Garçons et filles !

Selon le sondage OpinionWay pour 20 Minutes datant de 2018 et repris sur la plateforme gouvernementale Je protège mon enfant, 62 % des jeunes ont vu leurs premières images pornographiques avant d'entrer au lycée, soit avant 15 ans. Tenez-vous la pornographie pour l'ennemie numéro un ?

La tendance va s'aggravant. 50 % des enfants de 11 ans ont vu un film pornographique. Garçons et filles ! Parce que quand les filles refusent de voir on les traite de bégueules. Ne voulant pas sortir de la bande, elles consomment, comme les autres. Avant, il fallait acheter un film, piquer la cassette des parents. Aujourd'hui, il suffit de répondre que vous avez 18 ans... La réalité est la même dans tous les milieux sociaux : dès 8 ans, 9 ans, 10 ans, les enfants tombent sur ces images qui constituent un prêt-à-porter sexuel imposé par les adultes. Ces images les empêchent de constituer leur propre fantasmagorie sexuelle. Mon sujet numéro un : que deviennent les relations hommes-femmes après qu'on a été excité et éduqué par la pornographie ? Hier j'ai reçu un courrier d'une consœur : « Ma fille est en CM2, un copain de classe lui a montré des vidéos porno sur son portable, elle est rentrée en pleurant, elle s'est mise à pisser au lit, elle ne veut plus retourner à l'école, aidez-nous. » Comment voulez-vous que je l'aide ? Tant que le président de la République ne se saisit pas de ce sujet, il ne se passera rien.

Israël Nisand.

Que préconisez-vous ?

Ma proposition, c'est qu'il faille donner un numéro de carte bancaire avant de pouvoir voir la première image porno. Comme dans un hôtel. Bien sûr, il y en a quelques-uns qui vont « zarzouiller », mais ce n'est pas grave. Celui qui « zarzouille » pour trouver des images porno, c'est qu'il a la maturité pour. Le problème, aujourd'hui, c'est que, quand vous tapez « Alice » sur Google, vous tombez sur un site porno. Les gosses sont victimes. Tous.

Vous voulez dire qu'aucun enfant n'y échappe ?

Aucun ! Et vous ne pouvez rien y faire. Ils ménagent les parents en ne leur disant rien. Les parents sont dépassés. 100 % d'entre eux seraient d'accord pour que la pornographie ne soit pas en accès libre pour les enfants. Je ne comprends pas que politiquement ça n'ait pas encore été fait. Il ne s'agit pas d'empêcher les adultes de consommer de la pornographie, mais d'arrêter de laisser la pornographie désinformer et formater les gamins. Il faut regarder les choses en face : la pornographie éduque nos enfants à notre place.

Tant que le président de la République ne se saisit pas de ce sujet, il ne se passera rien

Dans ce livre, vous expliquez qu'il faudrait parler aux enfants dès l'âge de 4 ou 5 ans pour leur apprendre les interdits, le respect de leur corps et de son intégrité. « Les Néerlandais évoquent ce sujet avec leurs enfants dès 4 ans. Et il y a trois fois moins d'incestes chez eux qu'en France. Nous sommes un vieux pays d'inceste ; nous avons du mal à protéger les enfants contre cet acte dramatique et parfois définitif », écrivez-vous.

En France, aucune école n'apprend aux enfants à dire : « Ne touche pas à mon corps », « Mon corps est à moi », « Tu n'as pas le droit de me laver entre les fesses quand tu me donnes le bain, je vais le faire tout seul ». 20 % de nos enfants sont incestés ! Avec des conséquences sur les maladies auto-immunes, sur l'endométriose, sur certains cancers qui sont évidentes ! Il y a des enjeux majeurs de santé publique et on ne bouge pas ! Je n'oublierai jamais cette question : « Quand une fille aime son père, n'est-ce pas normal qu'elle ait des rapports avec lui ? »

Ce qui est saisissant aussi dans votre livre, c'est l'ignorance des jeunes : ils pensent que l'on ne risque rien lors du premier rapport sexuel, que l'on ne risque rien lorsque la fille a ses règles, que l'on ne risque rien avec le préservatif, etc.

Sans parler de ces questions qui tombent à chaque fois : « Est-ce qu'on peut se tromper de trous ? », « Est-ce que quand on fait une fellation on risque d'être enceinte ? » Nos ados ne savent rien. Pour moi, tous ces combats ont commencé avec la prévention de l'IVG. C'est en allant voir, à l'entrée de mon service, les petites qui venaient pour une IVG à 14-15 ans et en leur demandant « pourquoi tu es enceinte ? Tu ne sais pas qu'on peut faire autrement ? » que j'ai pris la mesure des choses. Du niveau de méconnaissance. En France, 15 000 mineures et 90 000 femmes de moins de 24 ans vivent une IVG chaque année. C'est un problème, quand même ! Nos voisines néerlandaises ou suisses en subissent trois fois moins. Parce qu'il y a là-bas des cours sur la vie affective et sexuelle. Depuis 2021 la contraception est gratuite en France avant 25 ans, mais personne ne le sait ! Les ados ignorent que tout le monde se masturbe depuis l'enfance. Non seulement ça ne rend pas sourd, mais la masturbation est indispensable à la fabrication d'un être capable d'accéder au plaisir sexuel. Sinon il n'y aura pas, ensuite, la possibilité de jouir.

15 000 IVG chez les moins de 18 ans, contre trois fois moins chez nos voisins. 90 000 IVG chez les moins de 24 ans. C'est un problème, quand même !

Le 20 janvier, lors d'un échange avec des Français à Saint-Laurent-d'Agny (Rhône), le Premier ministre, Gabriel Attal, a annoncé que lors de la rentrée prochaine, à l'école primaire, des séances d'éducation « à la vie affective, relationnelle et sexuelle » seraient intégrées au nouveau programme.

C'est la loi de 2001 ! Le texte est le suivant : « Une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d'au moins trois séances annuelles et par groupes d'âge homogène. » Mais cette loi n'est pas appliquée. L'Éducation nationale aujourd'hui vous dit que 75 % des élèves ont de la formation à la sexualité. Faux ! Ce n'est même pas 10 % !

Est-ce un problème de ressources humaines, donc de moyens, ou est-ce la peur d'affronter des parents religieux hostiles à ces enseignements ? Quand il en a parlé, Gabriel Attal a admis qu'il fallait « clarifier le programme » car certaines familles, a-t-il dit, « ne sont pas forcément à l'aise avec certaines choses qui sont dites à l'occasion de ces enseignements ».

Je dis assez souvent du mal des religions dans mes interventions publiques. Ce qui me met en colère, ce ne sont pas les gens qui croient - l'être humain a besoin de croire -, mais les clercs qui en vivent et qui cherchent à avoir barre sur la loi de tous. C'est insupportable et totalitaire. Les lois de la religion passent derrière les lois de la République. Voilà une valeur fondamentale de notre pays. Il faut être fier de nos valeurs. Allez en Arabie saoudite leur dire ce qu'ils doivent faire et vous êtes en taule avant de terminer votre phrase. Chez nous, on est trop tolérants avec ceux qui contestent nos valeurs. Mais l'insuffisance des moyens financiers est également en cause dans la non-application de la loi. Ces trois heures de cours annuelles demandent des ressources humaines. Si c'est le professeur de sciences de la vie et de la Terre qui s'en charge, il doit être formé. Ce type d'intervention n'est pas facile à mener... Sur l'homosexualité, qu'allez-vous dire à des gosses de troisième qui ne soit ni de l'incitation ni de la culpabilisation ? C'est aussi à l'attention des enseignants que j'ai écrit ce livre. Pour leur donner des clés leur permettant de dire en classe que ce n'est pas grave si on se découvre homosexuel, que ce n'est pas une maladie et qu'à cet âge-là ça peut encore changer. Ces mots peuvent éviter des suicides.

Inutile de légiférer contre le harcèlement des femmes dans la rue si l'on n'éduque pas préalablement les jeunes garçons à ce qu'est le consentement

Les parents peuvent-ils eux aussi avoir des discussions sur la sexualité avec leurs enfants ?

Un enfant ne peut pas entendre en direct de la part de ses parents, si ouverts soient-ils, un discours sur le sexe. Il faut du tiers là-dedans, ça ne peut pas être une affaire de famille. À 12-13 ans, au moment où le regard se tourne vers des objets sexuels secondaires, il faut que quelqu'un de confiance, formé correctement - j'insiste là-dessus parce que c'est crucial -, aille parler aux enfants. Car c'est toute une éducation qu'il faut transmettre. Aujourd'hui les jeunes, les garçons surtout, n'apprennent que le non-consentement. Le contrat républicain exige que tous les enfants soient égaux, or devant la sexualité ce n'est pas le cas. Les droits des femmes et l'égalité entre les sexes, promus par notre société, dépendent des cours donnés aux adolescents sur la sexualité, la vie sentimentale, le désir, les joies et les dangers qui en découlent. Savoir tenir des propos qui tiennent compte de l'environnement culturel et sociologique des ados, tout en reflétant nos idéaux républicains, est un enjeu qui implique préparation et réflexion. On peut tout savoir sur le sexe et ne pas être capable d'aborder sainement la question devant des élèves.

Vous écrivez à plusieurs reprises que « l'enjeu est avant tout féministe ». Qu'est-ce à dire ?

Dans cette affaire-là, ce sont les filles qui sont victimes. Il n'y a jamais un garçon qui est obligé d'aller faire une IVG. Les filles subissent aussi les violences suscitées par la pornographie - qui, en dégradant l'image des femmes, est un apprentissage du non-consentement. Ce sont encore les filles qui peuvent être influencées, voire traumatisées, par des comportements liés aux poncifs du patriarcat, sans cesse renouvelés et consacrés par les religions. Leur apprendre à dire non et apprendre aux garçons que si la fille ne veut pas, ça peut se terminer en prison, c'est extrêmement important. Inutile de légiférer contre le harcèlement des femmes dans la rue si l'on n'éduque pas préalablement les jeunes garçons à ce qu'est le consentement. Il est paradoxal de s'étonner que la violence entre les sexes et les genres ne faiblisse pas, sans se battre contre la pornographie. Je me bats.

Commentaires 10
à écrit le 12/02/2024 à 16:31
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Tant mieux , le sexe n'a jamais rendu intelligent , au contraire !

à écrit le 12/02/2024 à 16:14
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"Ce qui intéresse les ados, c'est tout le reste : l'homosexualité, la masturbation, la jouissance, les violences sexuelles." Pas un mot sur l'amour ?

le 12/02/2024 à 17:41
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On parle de sexualité, et non d'amour. Ce sont deux choses qui sont différentes. Elles sont parfois liés et en rapport, mais différentes.

à écrit le 12/02/2024 à 11:04
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Comment peut-on imaginer que la femme soit simplement victime du porno qui réalise la promotion commerciale de ses charmes? Cela n'a aucun sens. Bien des femmes se complaisent dans le sexisme et considère comme normal la galanterie qui n'est ...

à écrit le 11/02/2024 à 13:42
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Qui maîtrise le sexe commande au monde. Ils ont mis du temps.

à écrit le 11/02/2024 à 11:49
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Forcément leurs parents sont plus affaires à blablater Twitter ou autre sur leurs smartphones qu à s’ occuper de leurs progénitures .. les miens mineurs n’ ont pas De smartphones juste un Tél avec un forfait à 2€ mois …. C est un peu comme la ba...

à écrit le 11/02/2024 à 11:49
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Forcément leurs parents sont plus affaires à blablater Twitter ou autre sur leurs smartphones qu à s’ occuper de leurs progénitures .. les miens mineurs n’ ont pas De smartphones juste un Tél avec un forfait à 2€ mois …. C est un peu comme la ba...

à écrit le 11/02/2024 à 11:48
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Forcément leurs parents sont plus affaires à blablater Twitter ou autre sur leurs smartphones qu à s’ occuper de leurs progénitures .. les miens mineurs n’ ont pas De smartphones juste un Tél avec un forfait à 2€ mois …. C est un peu comme la ba...

à écrit le 11/02/2024 à 9:49
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Pendant ce temps : Netflix :Inspirée de faits réels, cette série raconte l'histoire de Rocco Siffredi, issu d'un milieu populaire et devenu l'une des plus grandes stars mondiales du porno.

à écrit le 11/02/2024 à 9:43
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Et vous pensez que quelque chose sera fait tant que les smartphones et leur publicité seront en circulation ?

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