
La multiplication des crises donne toujours le vertige aux économistes. Entre la guerre en Ukraine, les menaces de récession, l'inflation et la pandémie, tous les repères macroéconomiques sont chamboulés. Pour autant, en France, le marché du travail se porte relativement bien. L'emploi salarié n'a quasiment pas progressé au dernier trimestre 2022 mais les hausses enregistrées par l'Insee lors des trimestres précédents sont bien supérieures à celles de l'activité en rythme trimestriel.
A fin 2022, l'emploi tricolore est supérieur de 1,5% à son niveau de fin 2021 et de 4,5% à son niveau d'avant-pandémie selon la dernière estimation de l'institut de statistiques dévoilée ce mercredi 8 février. Cette surprenante bonne santé du marché du travail hexagonal se retrouve sur l'emploi des cadres.« 2022 a été une année faste pour les recrutements de cadres », a informé l'Association pour l'emploi des cadres (APEC) ce jeudi 9 février lors d'un point presse.
Intentions d'embauches en hausse
Et les entreprises ont encore prévu d'embaucher à tour bras ce type de profil au cours du premier trimestre 2023. Entre janvier et mars, les intentions d'embauche augmentent de nouveau. Chez les TPE, 22% des répondants ont indiqué qu'elles avaient prévu de recruter. C'est trois points de plus par rapport à septembre 2022. « Elles n'ont jamais été si élevées dans les PME depuis le début de la mesure il y a deux ans », souligne le dossier de presse. « Les résultats nous ont surpris. On s'attendait à un fléchissement des intentions de recrutement compte tenu des prévisions économiques des différents instituts très en retrait des chiffres de croissance précédents, » a déclaré Gilles Gâteau, directeur général de l'association lors d'une réunion avec des journalistes.
Les difficultés de recrutement se maintiennent à un niveau élevé
Ce paradoxe entre les intentions d'embauche toujours favorables et le ralentissement de l'économie bouleverse les repères des statisticiens et les modèles de prévision des conjoncturistes. « Il y a un mystère de la productivité et d'un rapport entre la croissance et l'emploi. Aujourd'hui, la dynamique de créations d'emplois est bien plus forte que celle de la croissance. Cela se traduit par une baisse de la productivité, » a complété Gilles Gâteau. Sur ce point, les économistes sont divisés. « Pour certains, c'est un phénomène transitoire. Cela débouchera sur un moment de correction. D'autres pensent qu'il y a un vrai changement de modèle entre la croissance et l'emploi », a tenté de résumer le responsable de l'organisation.
La rétention de main d'œuvre, l'embauche massive d'apprentis, les aides Covid sont aussi des facteurs parfois avancés pour expliquer les bons chiffres de l'emploi et la baisse de la productivité. Spécifiquement sur le marché de l'emploi des cadres, « on pense que les tensions de recrutement expliquent une partie de ce mystère. Compte tenu des délais de recrutement qui se sont beaucoup allongés entre 2021 et 2022 (8 semaines à 11 semaines), il faut trois mois pour recruter un cadre en moyenne actuellement », a poursuivi le spécialiste. En d'autres termes, les entreprises ont tellement de difficultés à recruter du personnel encadrant que leur intention d'embaucher se maintient, voire augmente même si la conjoncture est morose.
Des conséquences économiques et sociales en cascade
Confrontées à de vrais obstacles, 26% des entreprises ont renoncé à recruter faute de candidat en 2022. « Ces renoncements ont des conséquences sur l'activité des entreprises et sur le climat social. Il y a une surcharge de travail sur les équipes en place, une perte ou un manque à gagner de chiffre d'affaires, une dégradation du travail ou de la qualité de service, du retard dans la livraison des commandes », a énuméré le directeur général. Cette avalanche de conséquences pèse au final sur l'économie en général même s'il est complexe de mesurer sur le plan économique l'accumulation de toutes ces difficultés.
Dans ce contexte de marché du travail tendu, l'enjeu pour de nombreuses entreprises est de fidéliser ses salariés, Après des démissions en cascade et de départs dans de nombreux secteurs, les ressources humaines et les directions vont devoir redoubler d'efforts, ont averti les représentants de l'Apec. De plus en plus de cadres ont prévu de changer d'entreprises (15 % ; + 2 pts par rapport à septembre 2022). Les pressions inflationnistes persistantes ont remis par exemple les questions de pouvoir d'achat au centre des préoccupations de nombreux salariés. Beaucoup estiment que le changement d'entreprise serait une aubaine pour gagner un meilleur salaire.
La fidélisation des salariés, un enjeu crucial pour les entreprises
Face à ces enjeux, plus d'un tiers (37%) des entreprises ont déclaré en décembre avoir distribué des primes de partage de la valeur qui succèdent à la prime de pouvoir d'achat. Mais le fossé entre les grandes entreprises (51%) et les TPE (33%) demeure criant. Dans les petites structures, la fidélisation pourrait devenir un enjeu majeur. « C'est d'ailleurs dans les PME que les intentions de mobilité externe sont les plus élevées (17% contre 15% en moyenne) », souligne l'Apec.
La réforme des retraites actuellement en discussion au Parlement a remis au centre des débats la question de l'emploi des seniors. Et les cadres seniors n'échappent pas aux difficultés, même si le chômage des cadres en général est au plus bas. « Les cadres seniors sont plus fragilisés lorsqu'ils recherchent un emploi. Ils sont plus souvent en chômage de longue durée lorsqu'ils perdent leur emploi. Le taux de chômage des cadres de 55 ans et plus est de 6,8% contre 4,1% pour l'ensemble des cadres, » a souligné Laetitia Niaudeau, directrice générale adjointe. Ils seraient environ 100.000 cadres de plus de 55 ans inscrits à Pôle emploi, sans compter ceux qui ne sont pas inscrits et qui recherchent un emploi. Le dernier baromètre du Défenseur des droits montre « que l'âge est le second facteur de discrimination après le sexe », a-t-elle évoqué.
Des difficultés accrues aussi pour les seniors cadres
Les responsables de l'association ont notamment pointé la persistance de stéréotypes et de préjugés dans les entreprises à l'égard des travailleurs de plus de 55 ans. Sur ce point, les pratiques des ressources humaines devront changer si le gouvernement parvient à faire voter sa réforme des retraites décriée qui vise à augmenter le taux d'emploi des seniors.
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