La pénibilité chez les cadres, la grande oubliée de la réforme des retraites

Alors qu'Elisabeth Borne a ouvert la porte à un élargissement des critères de pénibilité, l'usure psychologique a peu de chance d'être intégrée. Parmi les syndicats, seule la CFE-CGC milite en ce sens. Cela permettrait à des milliers d'employés - notamment chez les cadres - de partir en retraite anticipée. Un scénario que le gouvernement, mais aussi le Medef veulent éviter, lui préférant des retraites « progressives » pour les salariés usés psychologiquement. Décryptage.
Le gouvernement veut inciter les salariés usés psychologiquement à opter pour une retraite progressive plutôt qu'une retraite anticipée pour cause de pénibilité.

Qui ignore encore ce qu'est le burn-out ? Jamais l'usure psychologique des cadres n'a été plus abordée, médiatisée, documentée que depuis la pandémie. Comme sur tant d'autres sujets, le Covid, synonyme d'hyperconnexion et de pression accrue sur fond d'incertitude économique, a jeté une lumière crue sur le malaise des cadres autant qu'il l'a amplifié.

Un tiers des cadres en détresse psychologique

D'après une étude de l'IFOP, 60% des salariés jugent que leur métier a des conséquences sur leur santé mentale, avec parmi eux une surreprésentation des cadres dont le tiers se déclarent en « détresse psychologique », selon le cabinet Empreinte Humaine. Dans son dernier essai intitulé Le grand déclassement, le sociologue Philippe d'Iribarne fait de ce désenchantement l'une des causes de la « grande démission » et de la vacance de nombreux postes sur le marché de l'emploi.

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Pour autant, le sujet de la pénibilité psychologique ne s'invite pas à la table des concertations entre le gouvernement et les syndicats sur le contenu du projet de réforme des retraites qui sera dévoilé en fin de semaine prochaine. La Première ministre a pourtant ouvert la porte à un élargissement des critères de pénibilité, qui donnent aujourd'hui droit à une retraite anticipée de deux ans au maximum. Seul le syndicat CFE-CGC, qui représente les fonctions d'encadrement, demande ouvertement à l'exécutif d'y ajouter l'usure psychologique.

« Depuis 2017, on propose de faire entrer les risques psychosociaux dans les facteurs de pénibilité. C'est une demande qui émane directement de nos adhérents et des cadres, qui prennent conscience des conséquences de l'organisation actuelle du travail sur leur santé, en termes notamment de stress », fait valoir Mireille Dispot. La secrétaire nationale de CFE-CGC assure que cette revendication est « assez suivie » par les autres syndicats bien qu'aucune autre organisation n'ait publiquement repris cette revendication.

Dans l'imaginaire, la pénibilité au travail est d'abord physique

« A part la CFE-CGC et dans une certaine mesure la CFDT, les syndicats sont surtout portés sur les non-cadres. On reste dans l'imaginaire de l'usine où la pénibilité paraît d'abord physique, alors que la charge mentale au travail pèse sur de nombreux employés et pas seulement sur les cadres », avance l'économiste Bertrand Martinot, spécialiste de l'emploi à l'Institut Montaigne pour justifier la réserve des grands leaders syndicaux à se positionner sur la pénibilité psychologique.

Ces derniers se contentent pour l'instant de réclamer la réintégration de quatre critères physiques de pénibilité, qui avaient été supprimés en 2017 : les postures pénibles, les charges lourdes, les vibrations mécaniques et les expositions aux agents chimiques. Autant de points sur lesquels le gouvernement Borne a adressé des signes d'ouverture mais pas sur la fatigue psychique, déplore la CFE-CGC. L'organisation doute d'obtenir gain de cause à cause, selon elle, du « blocage des organisations patronales, Medef en tête qui insistent sur le fait que les troubles psychologiques sont multifactoriels, d'abord d'ordre personnel avant d'être lié à leur travail », dénonce son secrétaire général Gérard Mardiné.

Le Medef fustige le mécanisme actuel de prise en compte de la pénibilité C2P, pour Compte de prévention professionnel, qualifié d'« impraticable ». Son président Geoffroy Roux de Bézieux plaide pour une évaluation individuelle par un médecin du travail de l'usure professionnelle des travailleurs. Et pointe, indirectement, la délicate question du diagnostic de l'usure psychologique, dont il est plus ardu d'identifier les symptômes et les causes qu'une pathologie physique.

Difficulté à diagnostiquer les symptômes et leurs causes

« Dans les métiers tertiaires, la difficulté est d'objectiver les causes des troubles psychologiques qui ne viennent pas des tâches elle-même mais du mode de management, en particulier le "lean management" qui est dominant en France et qui n'obéit qu'à des objectifs chiffrés. Or, il est peu probable que les entreprises admettent de remettre en cause leur organisation », analyse Bruno Palier, politiste chercheur à Sciences Po et au CRNS, auteur du livre Réformer les retraites. La reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle se heurte aux mêmes difficultés de diagnostic, le salarié devant prouver un lien direct entre son travail et sa maladie ainsi qu'une incapacité permanente partielle (IPP) d'au moins 25%.

Avec l'extension des critères de pénibilité, Geoffroy Roux de Bézieux craint que la réforme n'aboutisse à créer « des régimes spéciaux du privé ». Si l'usure psychologique figurait dans la réforme, des centaines de milliers voire des millions de salariés éprouvés par leur carrière pourraient, en théorie, partir en retraite anticipée. Un scénario peu envisageable tant il est aux antipodes de l'objectif de la réforme : faire partir plus de Français plus tard à la retraite, pour rééquilibrer le système de pensions.

L'alternative de la retraite anticipée

Plus qu'une retraite anticipée, le gouvernement devrait pousser le principe d'une retraite progressive. Elisabeth Borne dit vouloir « rendre plus incitatif » le cumul emploi-retraite. Concrètement, les seniors qui poursuivent leur carrière, après avoir déjà liquidé leur pension ou atteint le taux plein, pourront continuer de cumuler des droits à la retraite pour améliorer leur pension.

Convaincu par ce modèle de retraite progressive, l'économiste Bertrand Martinot incite le gouvernement à alléger les cotisations sociales des seniors qui entreraient dans un dispositif de retraite progressive et diminuent leur rémunération. En parallèle, il suggère aux entreprises de faciliter ces aménagements des conditions de travail de leurs salariés « usés » pour éviter qu'ils ne partent, définitivement par définition, en retraite.

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« Pour des cadres des 64-65-66 ans fatigués, pourquoi ne pas les passer en 4/5ème ou en temps partiel s'ils sont prêts à sacrifier une partie de leurs salaires ? », suggère le collaborateur de l'Institut Montaigne. Il reste une semaine pour trancher ces arbitrages. Le gouvernement présentera son projet de réforme le 15 décembre.

Commentaires 35
à écrit le 12/12/2022 à 11:12
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@J.P Delville, je sais pas où vous avez travaillé, mais je veux bien postuler ou vous avez travaillez. Etant ingénieur en Informatique/Cybersécurité, je délaisse volontiers mon poste pour le vôtre que vous décrivez.

à écrit le 11/12/2022 à 19:31
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Madame, comme vous je souffre d'apnée du sommeil. Et pourtant je n'ai jamais détourné d'argent bien que je n'ai pas de mandat politique. Je ne manque pas le soir de réduire mon thermostat à 23° même si je laisse ma piscine éclairée la nui. C'est tell...

à écrit le 11/12/2022 à 19:16
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Pour mieux connaître la Chine, lisez les trois récits de Jean Tuan : "Un siècle chinois" (chez CLC Éditions) évoque le parcours de son père chinois arrivé en France en 1929, leur voyage en Chine en 1967 lors de la Révolution culturelle et les incroya...

le 12/12/2022 à 9:23
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Merci pour cet excellent conseil de lecture !

à écrit le 11/12/2022 à 16:50
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Dans le pays du monde où l'on travaille le moins et moins longtemps, tout le monde trouve que le travail est pénible; Incroyable mais vrai

à écrit le 11/12/2022 à 10:30
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Les médias de masse sont ce qu'ils sont. Ils pourraient effectivement être différents mais alors ce ne serait pas pareils. Quant à l'énergie qui pourrait être économisée, cela n'est pas évident car nombreux ont des capteurs solaires dans leur rédacti...

à écrit le 10/12/2022 à 9:59
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Madame comme vous j'ai étais cadre dans la fonction publique. J'arrivais au bureau à 09h30', m'arrêtais 2 heures le midi le temps déjeuner paisiblement au restaurant. Mon après-midi s'arrêtait à 17h. En plus de mes 7 semaines de congés payés cadre, m...

à écrit le 10/12/2022 à 9:59
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Madame comme vous j'ai étais cadre dans la fonction publique. J'arrivais au bureau à 09h30', m'arrêtais 2 heures le midi le temps déjeuner paisiblement au restaurant. Mon après-midi s'arrêtait à 17h. En plus de mes 7 semaines de congés payés cadre, m...

à écrit le 10/12/2022 à 9:09
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Madame comme vous j'ai étais cadre dans la fonction publique. J'arrivais au bureau à 09h30', m'arrêtais 2 heures le midi le temps déjeuner paisiblement au restaurant. Mon après-midi s'arrêtait à 17h. En plus de mes 7 semaines de congés payés cadre, m...

le 10/12/2022 à 10:09
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"j'ai étais " à que non ! j'ai été !

à écrit le 10/12/2022 à 9:06
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Madame comme vous j'ai étais cadre dans la fonction publique. J'arrivais au bureau à 09h30', m'arrêtais 2 heures le midi le temps déjeuner paisiblement au restaurant. Mon après-midi s'arrêtait à 17h. En plus de mes 7 semaines de congés payés cadre, m...

le 10/12/2022 à 12:15
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Bon nombre d'ex-cadres du privé sont dans votre situation, il y avait de gros sureffectifs dans les années 1990/2000 et les entreprises ont profité des 35h et de la vague de départs en retraite des premiers boomers pour réduire en douce les effectifs...

le 11/12/2022 à 10:34
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Madame comme vous j'ai étais cadre dans la fonction publique. J'arrivais au bureau à 09h30', m'arrêtais 2 heures le midi le temps déjeuner paisiblement au restaurant. Mon après-midi s'arrêtait à 17h. En plus de mes 7 semaines de congés payés cadre, m...

à écrit le 09/12/2022 à 22:34
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La seule réforme qu'il faudrait serait celle d' autorisé le changement de ce gouvernement d'incapable qui s'enrichissent de nos impots et non aucune solution pour amélioré notre futur pour lequel nous espérons pour nos enfants

le 10/12/2022 à 12:41
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La réforme qu'il faudrait faire, ce serait diviser par deux les pensions des retraités actuels, ce qu'on a d'ailleurs fait en Grèce, mais ce serait suicidaire pour l'actuelle majorité, qui n'a déjà été reconduite qu'en siphonnant l'électorat retraité...

le 11/12/2022 à 10:34
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Bon nombre d'ex-cadres du privé sont dans votre situation, il y avait de gros sureffectifs dans les années 1990/2000 et les entreprises ont profité des 35h et de la vague de départs en retraite des premiers boomers pour réduire en douce les effectifs...

à écrit le 09/12/2022 à 19:34
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C'est une rigolade travail pénible pour les cadres c'est vraoe que manié le stylo et mangé au resto a midi c'est penible ils pourraient avoir une mauvaise digestion ou se foulé le pouce avec son stylo

le 09/12/2022 à 21:25
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Tout à fait, l’inspection des travaux finis et la réunionnite chronique c’est super stressant. Tellement stressant que les cadres ont une espérance de vie de 7 ans supérieur au reste de la population.

à écrit le 09/12/2022 à 18:30
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Cela est désolant et même regrettable mais aucune des grandes écoles d'ingé ou de gestion n'apprend à leurs étudiants futurs "managers " à diriger une équipe , fixer des objectifs, déléguer , motiver etc... résultat les cadres prennent tout sur ceux ...

à écrit le 09/12/2022 à 17:56
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A condition que ce ne soit pas un jeu de dupe : travail à plein tps et payez en 4/ 5 eme …. Comme le font si bien Les rh …

à écrit le 09/12/2022 à 17:10
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"l'usure psychologique a peu de chance d'être intégrée. Parmi les syndicats, seule la CFE-CGC milite en ce sens." Étonnant ,car en 5 mn sur le net ,j'ai vérifié tous les syndicats évoquent ce sujet y compris pour la pénibilité des cadres ,c'est lo...

à écrit le 09/12/2022 à 14:37
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La caisse de l'etat elle est vide. On (sur)vivre grace des emprunts accordes par l'UE donc les pays formies. Des ans, et encore, vous profitent en ampleur du politique de clientisme et des subventions de l'etat. Et toujours vous ne voulez pas prendre...

à écrit le 09/12/2022 à 12:27
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On touche là au coeur du coeur de l'affaire : les besoins de financement pour maintenir les pensions des retraités actuels exercent une pression pour retarder à 65 ans le départ en retraite alors que le logiciel de certaines branches du privé est hum...

à écrit le 09/12/2022 à 12:14
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C'est trop dur et trop fatiguant de travailler ! Bonne nouvelle : grâce à Macron, il n'y aura bientôt plus une seule entreprise en France ; la nourriture et l'argent tomberont du ciel ! MDR !

le 09/12/2022 à 12:49
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En parlant de nourriture et d'argent : Désormais, la décision est actée. Ce mardi, le groupe connu pour ses marques William Saurin, Garbit, Raynal et Roquelaure et Zapetti a annoncé la mise à l'arrêt prochain de quatre de ses huit usines en France...

à écrit le 09/12/2022 à 11:46
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@fma c bien de faire un cas général d'1 seul cas particulier. Quand ta tante gagne 1 €, c pour elle...et elle est la seule à pouvoir décider de continuer ou pas ou de son rythme de travail (si ce n'est plus rentable... elle arrete, si son corps lach...

à écrit le 09/12/2022 à 11:25
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Le stress et la pénibilité sont des facteurs bien subjectifs et individuels. Et il ne vaut mieux pas laisser les politiques et syndicats décider de ce qui est pénible, ça va encore finir que c’est les corporations électoralement les plus puissantes q...

le 09/12/2022 à 19:12
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Même si la tenue au stress varie d'un individu à l'autre, il est des métiers intrinsèquement stressants (ex : gestion en flux tendus, gestion de conflits...) ou bien stressant du fait des conditions d'exercice (sous-effectifs, organisation déficiente...

le 11/12/2022 à 10:35
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Bon nombre d'ex-cadres du privé sont dans votre situation, il y avait de gros sureffectifs dans les années 1990/2000 et les entreprises ont profité des 35h et de la vague de départs en retraite des premiers boomers pour réduire en douce les effectifs...

à écrit le 09/12/2022 à 10:24
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"les syndicats sont surtout portés sur les non-cadres".  On peut rappeler que dès 2017 et l'arrivée des macronistes ,ils ont aussitôt retirer des critères de pénibilité : Souvenir : Le Premier ministre Edouard Philippe a annoncé samedi 8 juil...

à écrit le 09/12/2022 à 9:45
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L'homme n'est pas fait pour travailler. La preuve, c'est que ça fatigue.

à écrit le 09/12/2022 à 8:40
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Vous avez remarque qu'elle parlait ?!Nous pensions qu'elle était muette...

à écrit le 09/12/2022 à 8:38
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Ma tante a travaillé dans son commerce jusqu'à 93 ns et des cotisations retraite lui ont été prélevé jusqu'à cet âge ....

le 09/12/2022 à 10:51
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Si elle n'était pas à la retraite, le système est 'aveugle' et prélève sur les actifs. Vu le manque de médecins, on propose à ceux étant à la retraite de reprendre du service mais en allégeant leurs charges en ne les faisant plus cotiser pour la retr...

à écrit le 09/12/2022 à 8:21
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Les cadres vivent 7 ans de plus en moyenne que les ouvriers. La durée de vie des cadres ne s'est pas réduite ces dernières décennies. Donc, le stress ne doit pas être pris en compte dans les critères de pénibilité.

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