Le moral des chefs d'entreprise en France sapé par la guerre en Ukraine

La confiance des dirigeants français a enregistré une chute abyssale (-26 points) au mois de mars, selon la dernière Grande consultation des entrepreneurs réalisée par OpinionWay pour CCI France, La Tribune et LCI. Près de 9 chefs d'entreprise sur 10 (86%) se disent inquiets des conséquences du conflit sur l'économie. Dans la construction, le niveau de pessimisme atteint des sommets en raison des craintes sur la pénurie de matériaux.
Grégoire Normand
Pour faire face à la hausse de leurs frais, 75% des dirigeants d’entreprise déclarent qu’un gel des prix de l’énergie serait au moins
appréciable.
Pour faire face à la hausse de leurs frais, 75% des dirigeants d’entreprise déclarent qu’un gel des prix de l’énergie serait au moins appréciable. (Crédits : Reuters)

Hausse des prix de l'énergie, flambée des matières premières, pagaille dans les chaînes d'approvisionnement, tensions sur les marchés financiers, gronde sociale... Après deux longues années de pandémie, l'économie mondiale traverse à nouveau une zone de fortes turbulences. L'invasion de la Russie en Ukraine le 24 février a suscité une vague de sidération partout en Europe. Après un mois de conflit, le bilan humain est dramatique et la perspective d'un cessez-le-feu rapide n'est pas vraiment à l'ordre du jour. En seulement quelques semaines, les perspectives se sont considérablement assombries.

"L'économie française affichait avant la guerre des conditions d'activité et d'emploi très solides. Face à un choc, un organisme en bonne santé est a priori plus résistant qu'un malade. Le climat des affaires a commencé à baisser, présageant une croissance au-dessous de son potentiel. Ce n'est pas une récession, mais une zone à risque élevé", a souligné l'économiste de Oddo BHF, Bruno Cavalier, dans une récente note.

Dans ce contexte troublé, le moral des patrons français est en chute libre. Selon la dernière Grande consultation des entrepreneurs réalisée par OpinionWay pour CCI France, La Tribune et LCI, l'indicateur qui mesure l'optimisme des dirigeants a perdu 26 points par rapport à février pour passer de 92 points à 66 points en seulement un mois. C'est un niveau inédit depuis le début de cette enquête amorcée en 2015 à l'exception de l'année 2020 marquée par la pandémie. La chute est particulièrement spectaculaire pour les entreprises de moins de 10 salariés (-41 points, passant de 97 à 56) et moins prononcée pour les établissements de plus de 10 salariés (-25 points, passant de 91 à 66).

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86% des chefs d'entreprise sont inquiets

L'un des résultats marquant de ce baromètre est que 86% des patrons interrogés s'inquiètent des retombées d'un tel conflit sur leur entreprise. Interrogés sur plusieurs thématiques, la poussée de fièvre des prix de l'énergie et des matières premières apparaissent comme les deux principaux sujets de crainte des chefs d'entreprises. Il faut dire que les prix à la pompe ont grimpé en flèche ces dernières semaines tandis que les factures de gaz et d'électricité, certes limitées par les mesures de l'exécutif (bouclier tarifaire), continuent d'augmenter. Ainsi, 54% des chefs d'entreprise affirment avoir constaté une hausse des prix du gaz. Evidemment, de fortes disparités peuvent apparaître selon le degré d'exposition des secteurs. Les craintes sont bien plus fortes dans l'industrie ou la construction que dans le commerce par exemple.

L'autre point de crispation concerne les tensions sur les chaînes d'approvisionnement. 62% des dirigeants interrogés se disent inquiets à cet égard. Après les deux ans de crise sanitaire marquées par de fortes difficultés logistiques, la guerre en Ukraine chamboule à nouveau un grand nombre de secteurs dépendant de la Russie ou de l'Ukraine pour produire ou exporter. Enfin, 24% redoutent une cyberattaque à l'encontre de leur entreprise.

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75% des chefs d'entreprise favorables à un blocage des prix de l'énergie

Depuis l'automne dernier, l'exécutif a multiplié les dispositifs pour tenter d'amortir le choc inflationniste sur les entreprises et les ménages. Parmi les mesures renforcées encore en février figurent le bouclier tarifaire qui ciblent les ménages. Cette mesure qui s'apparente à un gel des prix de l'énergie est largement plébiscitée par les chefs d'entreprise (75%). Dans l'industrie, le taux de réponse monte à 87% contre 85% dans la construction ou 84% dans le commerce. Dans le tertiaire, cette proportion est beaucoup moins élevée (68%).

Pour les entreprises fortement consommatrices d'énergie, l'Etat a récemment annoncé une prise en charge partielle des factures de gaz et d'électricité sous certaines conditions dans son plan de résilience. Pour éviter de convoquer le Parlement avant le premier tour de l'élection présidentielle, l'exécutif a décidé de passer par un décret d'avance. Ce type de procédure utilisé au plus fort de la crise sanitaire permet notamment de répondre à des situations d'urgence sous certaines conditions.

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Présidentielle : le pouvoir d'achat et l'emploi en tête des priorités

Après des mois de campagne présidentielle atone, la guerre en Ukraine a de nouveau jeté une ombre sur la dernière ligne droite entre les différents prétendants à l'Elysée. À seulement quelques semaines du premier tour, les candidats peinent à faire entendre les idées de leur programme dans ce climat de grandes incertitudes. Interrogés sur une quinzaine de priorités à mettre en avant pour les derniers débats, les dirigeants placent en premier lieu le pouvoir d'achat (75%) et l'emploi (2%). Viennent ensuite l'éducation et la formation (67%), la fiscalité (65%) ou encore la protection sociale (63%).

A l'opposé, les sujets internationaux figurent en bas de tableau. La mondialisation (27%), la construction de l'Union européenne (30%) ou encore la place de la France dans le monde (31%) sont les sujets les moins prioritaires selon les dirigeants. Ces résultats peuvent surprendre au regard du contexte géopolitique extrêmement tendu. Ils rappellent aussi que l'élection présidentielle en France se joue d'abord sur des sujets d'envergure nationale.

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(*) Méthode : Étude réalisée auprès d'un échantillon de 611 dirigeants d'entreprise. La représentativité de l'échantillon a été assurée par un redressement selon le secteur d'activité et la taille, après stratification par région d'implantation. L'échantillon a été interrogé par téléphone. Les interviews ont eu lieu du 8 au 16 mars 2022.

Grégoire Normand
Commentaire 1
à écrit le 25/03/2022 à 9:39
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Ces "capitaines d'industrie" devraient intervenir auprès du président qu'ils ont fait élire en 2017 en lui expliquant les dangers du boomerang!

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