L'horizon est encore loin de se dégager. Après deux longues années de pandémie marquées par des vagues d'infection et des confinements à répétition, l'invasion de l'Ukraine par la Russie le 24 février dernier a provoqué une onde de choc dans le monde entier. En seulement quelques jours, les indicateurs avancés sont passés au rouge les uns après les autres. Alors que l'armée russe continue de bombarder les grandes villes ukrainiennes et que l'étau se resserre sur la capitale Kiev, la perspective d'une guerre à rallonge se confirme. Le ministre des Affaires étrangères Jean Yves Le Drian a déclaré ce week-end que "le pire est devant nous".
Dans ce contexte particulièrement troublé, la Banque de France a dégradé ses prévisions macroéconomiques pour cette année et 2023. Après un fort rebond en 2021 à 7%, la croissance du produit intérieur brut (PIB) tricolore devrait marquer le pas à 3,4% (-0,2 par rapport à décembre dernier) cette année et 2% (-0,2 point) l'année prochaine dans un scénario dit "conventionnel". Ce scénario s'appuie sur des hypothèses arrêtées le 28 février dernier. A la fin du mois de décembre, la banque de France tablait sur une croissance de 3,6% en 2022 et 2,2% en 2023 avant que le conflit éclate sur le front Est du Vieux continent. Dans un scénario plus "dégradé", la croissance de l'activité pourrait ralentir à 2,8% (-0,8 point) en 2022 et 1,3% en 2023 (-1 point). "Dans ces deux scénarios, les chocs subis par l'économie française sont importants même s'ils s'estompent progressivement à l'horizon 2024", résument les statisticiens. Le niveau élevé de la croissance au regard du choc s'explique en grande partie par l'acquis de croissance grâce au redressement qui s'est opéré tout au long de l'année 2021. Parmi les autres points noirs s'ajoute la remontée récente des infections de Covid en France et d'autres pays comme la Chine ont déjà commencé à reconfiner certaines régions.
Un pic d'inflation à prévoir
Le conflit affecte principalement l'activité par le choc sur les prix des matières premières. Les cours du pétrole, du gaz, du nickel, du blé, de l'avoine, de l'huile de palme continuent de s'envoler partout sur la planète. Résultat, l'indice des prix à la consommation harmonisé (qui permet de faire des comparaisons à l'échelle de la zone euro) devrait grimper à 3,7% en 2022 avant de redescendre progressivement à 1,9% l'année prochaine et 1,7% en 2024. Il s'agit d'une des plus fortes révisions de la Banque de France. Au début de l'hiver, les conjoncturistes tablaient sur une hausse de l'indice des prix de 1,2% (+2,5 points) en 2022 et 0,4% (+ 1,5 point) en 2023.
Du côté de l'inflation sous-jacente, c'est-à-dire hors énergie et alimentation, elle devrait tout de même accélérer à 2,5% en 2022 et 2% en 2023. Là encore, cette prévision pourrait être fortement révisée en raison de l'incertitude sur les mesures prises par le gouvernement. L'exécutif doit annoncer un plan de résilience économique et social cette semaine susceptible de freiner ce choc sur le porte-monnaie des Français. Le prix du baril de Brent devrait frôler les 100 dollars (92 dollars) en moyenne cette année contre 71 l'année dernière, 41 dollars en 2021 et 65 dollars en 2019 selon les premières estimations de l'institution bancaire.
La position de la Banque centrale européenne (BCE) qui a récemment annoncé un resserrement de sa politique monétaire est particulièrement inconfortable. En effet, l'un des risques soulignés par certains économistes est de freiner la croissance de la zone euro déjà affectée par l'onde de choc du conflit laissant craindre un risque de récession à moyen terme.
Coup de frein sur la demande intérieure
Parmi les principaux facteurs qui contribuent à la création de richesse en France, la demande intérieure devrait être particulièrement pénalisée. En effet, la plus forte révision à la baisse (-0,6 point) concerne la consommation privée alors que l'investissement privé devrait rester stable. Les chiffres de la consommation demeurent complexes à interpréter, soulignent les conjoncturistes. "La consommation des ménages progresserait en effet de 5,1 % en moyenne en 2022 dans le scénario conventionnel et tout de même de 4,3 % dans le scénario dégradé. Mais ces chiffres en moyenne annuelle reflètent largement le rattrapage qui a eu lieu jusqu'à début 2022 à mesure que les comportements se sont adaptés au contexte pandémique", indiquent les experts.
Même si les ménages français disposent d'une épargne colossale estimée à 175 milliards d'euros pour amortir ce choc, beaucoup d'économistes redoutent une forme "d'attentisme" dans le contexte de la guerre. En outre, une grande partie des ménages modestes ne possèdent peu ou pas du tout de matelas financier et sont donc en première ligne face à cette flambée des prix. Du côté des entreprises, les perspectives d'investissement sont assombries. La Banque de France fait aussi le pari d'un ralentissement considérable des dépenses d'investissement passant de 11,8% en 2021 à 2,3% en 2022. Elles pourraient même passer en territoire négatif dans le scénario dégradé.
Une économie mondiale en perte de vitesse
L'économie mondiale subit déjà les secousses de cette guerre au retentissement planétaire. En seulement quelques jours, les grands instituts de prévision (FMI, Banque Mondiale) ont tiré la sonnette d'alarme sur l'impact de la guerre sur l'économie de la planète. De son côté, la Banque de France a révisé à la baisse sa projection pour le PIB mondial de 0,4 point pour passer de 4,5% à 4,1% en 2022 et de 0,4 point en 2023 pour passer de 3,9% à 3,5%. Les échanges sur le globe devraient continuer d'être chamboulés dans les prochains mois. Résultat, la demande adressée à la France devrait largement pâtir de ce ralentissement de la demande, surtout à partir de 2023 d'après la banque de France.
Au final, le commerce extérieur, après avoir enregistré un déficit record en 2021 de 85 milliards d'euros, pourrait de nouveau plonger cette année. En effet, la France échange beaucoup avec des pays membres de la zone euro. Or, les grandes économies de la zone monétaire à commencer par l'Allemagne sont déjà affectées par les répercussions économiques et sociales de ce conflit. En outre, les difficultés d'approvisionnement déjà marquées avant l'invasion de la Russie en Ukraine pourraient encore s'amplifier, augmentant les obstacles sur les chaînes de production de l'industrie hexagonale.