« Le système fiscal du don en France crée une énorme inégalité politique » (Julia Cagé)

ENTRETIEN. L'économiste de Sciences-Po, Julia Cagé, et Malka Guillot, professeure à HEC en Belgique, pointent les limites de la fiscalité du don en France et aux Etats-Unis. Dans une note explosive pour l'Institut des politiques publiques (IPP), les deux universitaires soulignent que les plus riches ont substitué les dons caritatifs par des dons politiques depuis la réforme de l'impôt sur la fortune en 2017.
Grégoire Normand
Julia Cagé est une économiste, spécialiste du financement de la vie politique et des médias à Sciences-Po Paris. Elle a notamment écrit « Le prix de la démocratie », un ouvrage de référence paru en 2018 en France et en 2020 aux Etats-Unis aux éditions de Harvard University Press.
Julia Cagé est une économiste, spécialiste du financement de la vie politique et des médias à Sciences-Po Paris. Elle a notamment écrit « Le prix de la démocratie », un ouvrage de référence paru en 2018 en France et en 2020 aux Etats-Unis aux éditions de Harvard University Press. (Crédits : DR)

Au début de son premier mandat, Emmanuel Macron a engagé des réformes en profondeur sur la fiscalité du capital. Entre la suppression de l'impôt sur la fortune et sa transformation en impôt sur la fortune immobilière, la mise en place d'un prélèvement forfaitaire unique (PFU ou Flat tax), cette politique fiscale a provoqué des débats enflammés. Cinq ans après, le gouvernement s'est engagé à poursuivre cette baisse de la fiscalité mais ses marges de manoeuvre sont de plus en plus limitées.

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Dans ce contexte fiscal agité, les économistes Julia Cagé (Sciences-Po Paris) et Malka Guillot (HEC Liège) ont passé au scalpel les motivations des plus riches à faire des dons en France dans une récente note pour l'institut des politiques publiques (IPP). Cette étude donne un coup de projecteur sur le financement de la vie politique en France marquée par des scandales. Malgré un encadrement plus strict et des progrès en matière de transparence, les économistes pointent les dérives de la fiscalité du don dans l'Hexagone.

LA TRIBUNE- Que montre l'étude (*) sur les dons des plus fortunés que vous venez de mener ?

JULIA CAGÉ- Nous avons voulu voir si les dons fléchés vers les associations et les fondations avaient une dimension politique. La France subventionne massivement les dons caritatifs. On a l'impression qu'il y a une dimension redistributive. Nous avons regardé si les dons des très riches avaient une motivation politique.

Si un contribuable est imposable au titre de la fortune immobilière, il peut bénéficier d'une réduction d'impôt à hauteur de 75%. Si un contribuable donne 100 euros, l'Etat va redonner 75 euros sous forme de réduction d'impôt. Pour les citoyens imposables au titre de l'impôt sur le revenu, cette réduction est de 66%. Cette réduction est valable pour les fondations reconnues d'utilité publique et non aux partis politiques.

Quel est le montant global de la défiscalisation en France sur les dons des ménages et des entreprises ?

Le montant s'élève à environ 2,4 milliards d'euros au total. Les ménages bénéficient de 1,5 milliard d'euros de défiscalisation. Quant aux entreprises, le montant s'établit à 900 millions d'euros au titre du mécénat.

La défiscalisation des dons a grossi au fil des majorités par l'ajout de nombreux dispositifs. La défiscalisation au titre de l'ISF a été mise en place sous Nicolas Sarkozy dans le cadre de la loi TEPA. C'est un sujet qui n'avait quasiment pas été débattu au Parlement.

En quoi la réforme de l'impôt sur la fortune menée en 2017 a-t-elle modifié les comportements ?

La réforme a entraîné la sortie des deux tiers des contribuables de l'assiette de l'impôt sur la fortune. Ils ne vont plus bénéficier de la réduction fiscale à hauteur de 75%. Ces contribuables vont donc payer moins d'impôtsMalgré des revenus plus élevés, ces contribuables vont donner moins. Un don qui leur coûtait 25 euros va leur coûter dorénavant 34 euros.

Ils ne bénéficient plus de la réduction au titre de l'impôt sur la fortune mais seulement celle sur le revenu. Ces contribuables vont donner moins aux associations et fondations et plus aux partis politiques. Ils vont substituer les dons caritatifs par des dons politiques.

Sur l'échiquier politique, quels ont été les gagnants et les perdants de cette réforme en matière de dons ?

Les grands gagnants sont les partis politiques pro-business. On observe une hausse des dons pour les partis de droite et plus marginalement pour la République en Marche. En revanche, il n'y a pas de hausse pour le Rassemblement national (RN), la France insoumise (LFI) ou le Parti socialiste (PS).

Les perdants sont les fondations et les associations. La question derrière ces résultats est l'utilisation de l'argent public. Est-ce qu'il y a une vraie raison de défiscaliser les dons politiques ? Dans beaucoup de pays comme les Etats-Unis, il existe des défiscalisations généreuses pour les fondations mais il n'y a pas de réduction d'impôt pour les partis politiques. La France a fait le choix de subventionner avec de l'argent public l'expression monétaire des préférences politiques. Les Etats-Unis ont annulé à partir de 1974 les défiscalisations sur les dons aux partis politiques. Il est très difficile de justifier cette forme de subvention.

Ce système fiscal de dons menace-t-il la démocratie ?

Ce système de dons aux partis politiques pose des problèmes sur la légitimité de la vie démocratique car il crée un énorme niveau d'inégalités politiques. La démocratie repose sur le principe d'un homme égale une voix. Or, le système actuel fonctionne plutôt sur le principe un euro égale une voix.

La majorité des dons pour le parti d'Emmanuel Macron provient en grande majorité de quelques arrondissements parisiens, des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Cette inégalité politique vient alimenter à long terme les inégalités économiques. Ce système vient alimenter la défiance et l'abstention.

Quelles sont vos pistes en matière de réforme du système fiscal du dons ?

Dans mon ouvrage « Le prix  de la Démocratie », j'ai proposé de mettre en place des bons pour l'égalité démocratique. Il s'agit d'attribuer à chaque citoyen de l'argent public pour donner au parti de son choix. Cet argent est réparti de manière égalitaire. Actuellement, le système crée une énorme inégalité politique car ce sont les plus riches qui donnent le plus aux partis. Cette inégalité alimente la défiance envers les partis et le désamour envers la démocratie.

On s'interroge aussi sur l'existence des deux taux à 75% et 66%. Si les motivations des plus riches pour voter sont politiques, je ne vois pas pourquoi il faudrait les subventionner davantage que les plus modestes. L'Etat a limité les dons aux partis politiques et aux campagnes électorales. Les contribuables ne peuvent pas donner plus de 7.500 euros aux partis politiques et 6.500 euros durant les campagnes électorales. En revanche, l'Etat n'a pas limité les dons aux think tank et les fondations qui ont des dimensions parfois politiques. Il faut encadrer ces dons comme on le fait pour les partis politiques.

La commission nationale des comptes de campagne a récemment dévoilé les comptes des candidats à la présidentielle de 2022. Plusieurs dépenses ont une nouvelle fois été épinglées. Malgré les scandales à répétition et quelques avancées, comment expliquez vous une telle inertie sur un sujet pourtant majeur ?

Une fois élus, les hommes et femmes politiques ont peu d'intérêt à dénoncer un système dont ils ont pu bénéficier. Les députés peuvent reverser une fraction de leurs revenus à leur parti en faisant de la défiscalisation. Il faudrait remettre tout à plat et faire une réforme globale. Je propose de limiter les dons à 200 euros et supprimer la défiscalisation.

Il faut introduire plus de transparence et remplacer à moyen terme ce système de dons par les bons pour l'égalité démocratique. Cette réforme doit être portée par une logique transpartisane car chaque parti peut évoquer des motifs différents pour ne pas la faire. Plusieurs partis et candidats à gauche ont fait des propositions pour réformer ce système mais je doute de leurs capacités à tenir leur engagement s'il y a une alternance.

Propos recueillis par Grégoire Normand

(*) Etude réalisée pour le compte de l'institut des politiques publiques, « Comportement des donateurs fortunés : le poids des motivations politiques » (mars 2023).

Grégoire Normand
Commentaires 7
à écrit le 04/05/2023 à 13:58
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il faut pas oublier pourquoi le systeme a ete mis en place : avant c etait les valises de billets, autrement dit encore pire. Et franchement c est pas avec 7000 € que vous pouvez influencer un parti. Je suis sur que il doit toujours avoir des systeme...

à écrit le 04/05/2023 à 13:55
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De quoi je me mêle ???????????

à écrit le 04/05/2023 à 12:10
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Citation: "majorité des dons pour le parti d'Emmanuel Macron provient en grande majorité de quelques arrondissements parisiens, des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Cette inégalité politique vient alimenter à long terme les inégalités économiques. Ce sy...

à écrit le 04/05/2023 à 11:23
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Plutôt que des impôts obligatoires, les riches préfèrent le pouvoir que leur donnent la charité, les bonnes oeuvres, comme en Angleterre où les inégalités sociales sont très importantes ; Avec les dons, les riches sont libre de donner ou pas et ils p...

le 04/05/2023 à 13:11
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Si vous pouviez nous éclairer sur le fait que cela perdure depuis des s... millénaires, cela aiderait.

à écrit le 04/05/2023 à 10:31
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Étude sans aucun intérêt, quand je comptabilise le nombre d'articles plus pauvres les uns que les autres je me dis que ceux ci doivent être écrits par un algorithme d'IA🤣

à écrit le 04/05/2023 à 8:01
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Bref, tt ça pour dire qu'il faut plus d'impôts ça sauvera le réchauffement climatique de l'ours blanc ukrainien qui a le covid donc ça réduit les inégalités... en novlangue de gauche ça veut dire qu'il faut remplir les caisses de l'état stratege disp...

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