"Les gains de productivité passeront par l'éducation et la concurrence, pas par la réindustrialisation"

ENTRETIEN - Les destructions d'emplois dans l'industrie des pays développés ont plombé la productivité, rappellent les économistes de France Stratégie Boris Le Hir et Dimitris Mavridis. "Le premier constat est que la France reste dans le groupe de tête des pays étudiés. Il y a néanmoins un décrochage depuis le début des années 2000 par rapport aux pays de tête comme les Etats-Unis ou la Suède", expliquent les deux chercheurs.
Grégoire Normand
(Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE- Quels sont les principaux enseignements de votre dernière note intitulée "Dynamiques sectorielles et gains de productivité" ?

BORIS LE HIR  - Nous nous sommes intéressés aux facteurs de ralentissement de la productivité du travail sur les dernières décennies à partir de l'évolution de la composition sectorielle et les différences entre les pays. Le premier constat est que la France reste dans le groupe de tête des pays étudiés. Elle est dans la moyenne avec 1% de croissance annuelle de la productivité horaire, identique à celle de la zone euro. Il n'y a pas de grande divergence entre les pays depuis deux décennies, hormis l'Italie. Il y a néanmoins un décrochage depuis le début des années 2000 par rapport aux pays en pôle position comme les Etats-Unis ou la Suède.

Le second constat est un ralentissement généralisé de la dynamique à l'intérieur des secteurs pris dans leur ensemble. Un troisième constat est que, pour tous les pays étudiés, on observe une hausse de l'emploi dans les secteurs d'activités scientifique et technique ; combinée à une baisse de l'emploi dans les secteurs agricole et manufacturiers, par exemple. A long terme, les conséquences sont plutôt négatives. Ce déplacement de l'emploi augmente la productivité à court terme mais, une fois le déplacement réalisé, la croissance de la productivité du travail est plus faible qu'avant (dans l'agriculture par exemple).

DIMITRIS MAVRIDIS -  Il y a une particularité pour la France. Il y a une plus grande concentration des gains de productivité en Ile-de-France alors que les autres régions sont relativement homogènes en termes de niveau et de gains de productivité. Par rapport à l'Allemagne, l'Espagne ou l'Italie, la France a une plus grande concentration de ces gains de productivité. La Suède et le Royaume-Uni partagent en partie cette même dynamique.

Quel est le rôle de la désindustrialisation dans le ralentissement de la productivité ?

B.L.H - La désindustrialisation a contribué au ralentissement de la productivité dans les pays développés. La diminution de l'emploi dans l'industrie s'explique par des gains de productivité. Le poids de l'emploi a baissé mécaniquement et la contribution de l'industrie à la productivité devient de plus en plus faible. Il y a aussi une part de la désindustrialisation qui se fait par les délocalisations.

La désindustrialisation n'a pas eu de rôle prépondérant pour expliquer les différences en termes d'impact sur la productivité entre les pays sauf en Allemagne où l'emploi industriel dans l'emploi total est encore important. Outre-Rhin, l'industrie contribue positivement aux gains de productivité.

D.M - La principale source de gain de la productivité actuellement sont les services, très productifs et à très forte croissance. Les services forment la plus grande partie de l'emploi. La désindustrialisation n'est pas un grand facteur de ralentissement de gains de productivité. La Suède a connu une forte désindustrialisation mais elle a réussi à développer des services à forte productivité dans les technologies de l'information et de la communication par exemple. Les gains de productivité dans les activités scientifiques, techniques et administratives sont les moteurs de la croissance de la productivité.

Quels pourraient être les facteurs susceptibles d'améliorer la productivité en France ?

D.M - Nous montrons dans les différents rapports du conseil national de la productivité que les principales sources de croissance de la productivité sont l'éducation et les compétences des travailleurs, les phénomènes de réallocation liés aux dynamiques d'emploi et au renouvellement du tissu productif, et à la concurrence.

B.L.H - Les facteurs de croissance des gains de productivité sont d'abord à regarder à l'intérieur des secteurs. La réindustrialisation aurait probablement un impact positif mais ce ne serait pas suffisant pour combler l'écart avec les autres pays.

L'accélération du télétravail depuis le début de la pandémie a suscité de vifs débats sur les possibles pertes de productivité dans les entreprises. Pensez-vous que le télétravail pourrait avoir des répercussions  sur la productivité ?

B.L.H - Pour l'instant, nous avons peu de recul sur le télétravail. Il existe des éléments dans la littérature qui montrent qu'avec l'accélération de la numérisation, cela peut avoir un impact légèrement positif sur la productivité. Il est possible d'avoir une courbe en cloche. Les gains de productivité augmentent jusqu'à un certain seuil et peuvent tendre à diminuer au-delà de ce seuil. La question est de savoir où mettre le curseur.

D'après une étude dévoilée ce jeudi 13 janvier par Luke Parsons, de l'Université de Durham (Caroline du Nord), les pertes de productivité découlant de l'incapacité des personnes à travailler en extérieur lors des journées particulièrement chaudes et humides ont probablement été largement sous-évaluées. Quel pourrait être le rôle du réchauffement climatique sur la productivité dans les prochaines années ?

B.LH - Le réchauffement climatique va nécessairement avoir un impact sur les conditions de travail. Les événements climatiques peuvent venir perturber des chantiers. L'évaluation quantitative reste cependant à ce jour inconnue.

Grégoire Normand
Commentaires 3
à écrit le 18/01/2022 à 11:03
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La productivité, rien de plus normal dans une politique de l'offre et d'une éternelle publicité! Mais tout mène a croire que l'on va devoir stopper net cette idéologie si l'on veut encore vivre sur notre planète!

à écrit le 17/01/2022 à 18:46
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Sujet pertinent. Dans le métier du caoutchouc, en Bretagne proche de Rennes, donc capacité de recruter du personnel qualifié compétant et des salaires raisonnables. On a triplé les vitesses de production de l'usine parisienne et doublé celle de Nor...

à écrit le 17/01/2022 à 17:49
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Travailler moins, gagner plus étant les principaux vecteurs de productivité, les 29h aux Pays Bas sont un franc succès. Mais le travail en France étant dévasté par le dumping social, des salaires au ras des pâquerettes et le chômage de masse ça va êt...

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