Les médecins face à l'Etat (1/2) : les origines d'une défiance

Se sentant concurrencés dans leur profession et souvent délaissés par l'Etat, c'est au XIXe siècle que les médecins développent cette défiance vis-à-vis de l'administration, qui perdure aujourd'hui.
Jean-Yves Paillé
Représentation d'un médecin au XIXe siècle, peinture de Samuel Luke Fildes.

"C'est à la Nation à fournir des travaux à ceux qui en ont besoin pour leur existence et des secours aux infirmes". Cet extrait d'un décret publié en 1793 marque le point de départ de la défiance des médecins vis-à-vis de l'Etat. Appliqué avec l'idéal révolutionnaire de réclamer des soins pour tous, ce décret donne naissance aux officiers de santé. Ces derniers peuvent exercer le métier de médecin, sans avoir de doctorat, dans une France où la majorité de la population ne peut payer l'accès aux soins. D'autant plus que le nombre de professionnels de santé est insuffisant pour couvrir les besoins.

En dépit du rôle plus restreint des officiers de santé, les docteurs en médecine, qui font également face à la concurrence des religieux et des rebouteux, s'inquiètent, ils crient au risque de charlatanisme et craignent une nouvelle forme de concurrence. Leur revendication principale est d'être les seuls légitimes à exercer.

Craintes de "l'étatisation" de la profession

Outre les officiers de santé, d'autres professions de santé se développent.
Avec la multiplication des compagnies de chemins de fers, la médecine d'entreprise connait un bond. Les médecins doctorants voient d'un mauvais œil ce qu'ils considèrent comme une nouvelle "tentative d'étatisation de leur profession". Les salariés médicaux de ces compagnies, chargés de soigner agents et familles et d'écarter à l'embauche les individus fragiles sont visés par la propagande des médecins libéraux. Ces derniers les accusent d'être plus soucieux de servir la direction que les malades, les assimilent à une sorte de "fonctionnarisation" de la profession.

Il faut dire que bon nombre de médecins ont du mal à vivre à cette époque, notamment dans les campagnes. Ils demandent aux communes et aux départements des tâches d'intérêt général, et sont prêts à se "fonctionnariser".

Naissance des premiers syndicats de médecins

Le siècle avançant, la situation ne s'améliore pas pour bon nombre de professionnels de santé. Bien que la population de médecins augmente et la demande médicale croît, les revenus de chaque praticien continuent à dépendre de la situation économique moyenne de sa clientèle. Cela, plus les tentatives de contrôle de l'Etat, et l'initiative de Napoléon III de reconnaître les société de secours mutuel (ancêtre des mutuelles), pousse les médecins doctorants à se regrouper pour se défendre et mieux organiser la profession.

Dans la décennie 1880, plusieurs syndicats naissent localement. Le premier syndicat local apparaît en 1881. En 1884, est créé l'Union des syndicats médicaux français (USMF) qui rassemble 74 syndicats locaux cette année-là, soit 20% des praticiens (3.500), en majorité des médecins de viles de taille moyenne.

Mais la reconnaissance légale est refusée à ces organisations par un arrêt de la Cour de cassation en 1885. La Cour expliqua alors que la loi de 1884, instituant le syndicalisme pour la défense des "intérêts économiques", ne concernait pas les médecins car leurs "intérêts" sont d'une autre nature. Une décision laissant une porte ouverte à un contrôle accru de l'Etat sur les prix fixés par la profession...

Des victoires qui renforcent la légitimité des médecins doctorants

Durant la IIIe République, les médecins accélèrent leur lobbying et sont de plus en plus nombreux à prendre part à la vie politique. Ils représentent la deuxième profession chez les députés, soit entre 1881 et 1889, de 9% à 12% des élus. Alors qu'on compte 39 médecins pour 100.000 Français en 1896, et ce en additionnant les docteurs en médecine (alors majoritaires) aux officiers de santé...

Les premières victoires de ce jeune lobby ne tardent pas à se multiplier. En 1892, les officiers de santé sont abolis. Cela fait écho à un rapport du député Antoine Chevandier en 1890... lui même ayant été médecin doctorant pendant trois décennies...

Mieux,le syndicalisme médical est légalisé le 30 novembre 1892 par la loi Antoine Chevandier. L'article 13 stipule que "les médecins ont le droit de former des syndicats pour la défense de leurs intérêts professionnels". La profession devient plus forte que jamais.

Jean-Yves Paillé
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