Les propositions de France Stratégie pour faire une transition écologique "soutenable"

France Stratégie, un organisme en charge de la prospective rattaché à Matignon, plaide pour la mise en place d'un "orchestrateur" chargé de "planifier une action publique soutenable". Les experts déroulent un mode d'emploi sur la méthode afin d'éviter l'émergence de nouveaux conflits dans cette transition écologique et économique particulièrement délicate à mener.
Grégoire Normand
(Crédits : Reuters)

Emmanuel Macron a annoncé durant l'entre-deux-tours de la présidentielle que son Premier ministre sera directement en charge de "la planification écologique", une idée développée avant lui par Jean-Luc Mélenchon arrivé sur la troisième marche du podium. Lors d'un meeting à Marseille, le président sortant a annoncé que Matignon serait en charge de ce pilotage car "cela concerne tous les domaines, tous les secteurs, toutes les dépenses, tous les équipements, tous les investissements; bref, toutes les politiques".  Dans cette nouvelle architecture gouvernementale, le chef du gouvernement sera(it) épaulé de deux ministres : l'un chargé de la "Transition énergétique", l'autre de la "Planification écologique territoriale".

Il faut dire que la succession des graves crises ces dernières années (sanitaire, écologique, guerre en Ukraine) a remis en avant le thème de la planification longtemps critiqué et aujourd'hui réclamé par une partie des économistes et des industriels. L'invasion de la Russie en Ukraine à la fin du mois de février a précipité l'Europe dans une crise énergétique profonde. Cette guerre a jeté une lumière crue sur l'extrême dépendance du Vieux continent aux énergies fossiles particulièrement néfastes au climat. Alors que les Etats européens se déchirent sur l'embargo à imposer à la Russie, la question de la transition énergétique et écologique est plus que jamais urgente.

En attendant la nomination du prochain gouvernement dans les  jours à venir, France Stratégie a dévoilé ce dimanche 8 mai, dans un volumineux rapport de près de 300 pages, ses principales propositions en matière de planification. Fruit d'une série de séminaires sur les soutenabilités et de deux années de travaux, ce document vise à proposer des outils aux politiques. "Le point de départ de notre réflexion est la crise des Gilets jaunes. Elle est révélatrice d'une triple crise (écologique, sociale et démocratique). Elle a également révélé un épuisement de la société qui s'est traduite par de nombreux mouvements de contestation. On ne peut plus faire de politique publique comme avant. Si on fait une taxe carbone sans prendre en compte les enjeux sociaux, on va droit dans le mur", a expliqué à La Tribune, Hélène Garner, directrice du département Emploi et travail à France Stratégie. Les experts proposent de changer d'approche en matière de politique publique. "Les politiques publiques doivent être durables, systémiques et légitimes. Ce sont les trois piliers de la soutenabilité", complète Johanna Barasz, cheffe de projet "Action publique, société, participation".

Planification : une stratégie à mettre en place en début de législature

L'organisme rattaché à Matignon préconise de mettre en place une stratégie nationale en début de législature qui pourrait prendre la forme d'une loi de programmation quinquennale pour apporter une force contraignante à cette planification. La première étape pourrait passer par la planification écologique définie comme une priorité par le chef de l'Etat. France Stratégie propose notamment de s'appuyer sur les objectifs de développement durable (ODD) faisant aujourd'hui l'objet d'un consensus. Ces 17 objectifs inscrits dans l'agenda 2030 des Etats membres de l'organisation des Nations unies constituent la feuille de route pour parvenir à un modèle soutenable. Ils recouvrent un spectre assez large de thèmes en passant de la pauvreté à l'éducation, de l'alimentation à l'égalité ou encore les énergies propres. "Les indicateurs et modèles soutenables existants sont utilisés marginalement dans les politiques publiques.  Il faut aller plus loin", déclare à La Tribune Johanna Barasz,

Ces objectifs pourraient constituer "le socle, sans exclusive ni priorisation sur les autres objectifs, environnementaux et sociaux, de soutenabilité. Par exemple, consommer, produire et travailler, se loger, se nourrir, s'éduquer, se soigner, se déplacer pourraient en constituer les principales thématiques, par nature transversales et interministérielles", expliquent les auteurs du rapport de France Stratégie. Pour contrôler les évolutions de ces objectifs, le Premier ministre pourrait rendre compte des avancées de cette stratégie nationale devant le Parlement.

"Nous proposons de planifier dans un spectre large. Il faut mettre en place une planification écologique et brancher des dimensions sociale et démocratique dessus. Cette planification doit passer par une démocratisation renforcée. Ce n'est pas forcément dans la multiplication des arènes que se trouvera la solution mais dans une meilleure articulation entre les différentes instances de la participation et de la décision. On l'a vu, c'est ce qui n'avait pas marché dans la convention citoyenne pour le climat. Il faut mettre des conditions en termes de calendrier et de redevabilité," ajoute Johanna Barasz.

Des instruments à (ré) inventer

Plan d'investissement d'avenir (PIA), plan de relance, plan de résilience, plan France 2030....la liste des plans n'a cessé de s'allonger ces dernières années pour ce concept qui semblait enseveli depuis la chute de l'URSS au tournant des années 90. "On manque d'une coordination entre tous ces plans. Il y a une dilution des efforts et des moyens avec un manque d'efficacité au final. Il peut y avoir un épuisement des agents publics aussi à multiplier ces processus. Notre objectif est d'avoir une meilleure articulation pour éviter la multiplication des plans et favoriser la transversalité", indique  Hélène Garner.

Les experts de France Stratégie estiment que "les instruments permettant d'organiser et de coordonner l'action publique de moyen et long terme restent à (ré)inventer." En septembre 2020, Emmanuel Macron avait confié les manettes du Haut Commissariat au plan à François Bayrou, seulement quelques mois après le début de la pandémie. Après un an et demi d'existence, cette instance a laissé perplexes plusieurs économistes de tous bords interrogés par La Tribune ces derniers mois.

Face aux risques de "dispersion et de complexification", les outils à mettre en oeuvre doivent assurer "la cohérence des politiques publiques et garantissent la continuité de l'action autour de grands objectifs stratégiques, entre politiques sectorielles, entre échelons d'intervention, entre territoires, et entre acteurs publics et privés", expliquent les auteurs. Ces instruments doivent se fonder "sur des objectifs quantifiés et des délais précis, mais aussi qualitatifs, en identifiant des secteurs prioritaires avec l'ensemble des parties prenantes et des territoires."

Une instance pour orchestrer la planification à Matignon

France Stratégie plaide pour une instance rattachée au Premier ministre en charge d'assurer la coordination et la cohérence des politiques publiques en matière de planification.

"Du point de vue administratif, il faut créer un orchestrateur. Il peut s'agir d'une institution ou d'un réseau d'institutions rattachés au Premier ministre. L'orchestrateur doit être aussi là pour conseiller le gouvernement et pour s'assurer de la soutenabilité des textes et garantir la bonne coordination et exécution des feuilles de route ministérielles. Il doit pouvoir alimenter le débat avec de la prospective par exemple. L'idée n'est pas de constituer un mastodonte", explique Johanna Barasz.

Un modèle entre croissance verte et sobriété

Pendant longtemps, l'idée de développement a été associée à la croissance et au bien-être. L'expansion de l'économie française pendant les "30 glorieuses" a permis des gains de productivité et le financement de l'État-Providence mis en œuvre au sortir de la Seconde guerre mondiale. Avec la multiplication des catastrophes climatiques partout sur la planète, la notion de croissance liée aux énergies fossiles est de plus en plus contestée par les économistes.

L'épuisement des ressources naturelles pourrait rapidement rendre la terre inhabitable.  "Cette alliance entre croissance économique et progrès social semble aujourd'hui avoir atteint ses limites", soulignent les auteurs du rapport. Ils plaident dans le document de synthèse pour s'engager sur la voie étroite d'un modèle d'une croissance verte et d'une plus grande sobriété.

Changer de modèle dans un contexte de défiance

Cette transition particulièrement urgente sera rendue d'autant plus difficile que la défiance à l'égard des institutions est grandissante. Les sommets d'abstention et de votes blancs ou nuls lors de la dernière élection présidentielle témoignent de cette méfiance à l'égard de la présidence de la République jugée "trop verticale" par un grand nombre d'observateurs.

Les multiples contestations (blocage des dépôts de carburant, opération escargot) ces derniers mois liées à la hausse fulgurante des prix ont réveillé les craintes d'une nouvelle fronde sociale généralisée. En effet, c'est une hausse des taxes sur les carburants qui avait mis le feu aux poudres en novembre 2018 autour des ronds-points. Les Gilets jaunes avaient contesté la hausse de cette taxe carbone jugée particulièrement "injuste".

Dans ce contexte particulièrement explosif, les experts de France Stratégie expliquent que les conséquences sociales, démocratiques et économiques doivent être bien prises en compte pour éviter tout nouvel affront. "Nous avons essayé de travailler sur des conflits de soutenabilité. Si on ne pose pas les questions environnementales et les questions sociales en même temps, certaines décisions peuvent aggraver la situation. Il faut transformer la manière de faire des politiques publiques", explique Hélène Garner. Le chemin pour le prochain gouvernement sera semé d'embûches.

Grégoire Normand
Commentaires 8
à écrit le 10/05/2022 à 22:21
Signaler
France Stratégie (à gauche toute) pour une planification comme au bon vieux temps du Gosplan du l URSS avec le succès que l'on connait, qui pourrait inspirer M. Mélanchon n'est ce pas ?

à écrit le 09/05/2022 à 21:12
Signaler
"L'invasion de la Russie en Ukraine à la fin du mois de février a précipité l'Europe dans une crise énergétique profonde." Ben non ! Ma lecture c'est que l'Europe sous influence de l'oncle Sam (qui lui a fourni la scîe) a coupé elle même la branche ...

à écrit le 09/05/2022 à 18:56
Signaler
Une planification, dont seul l'UE de Bruxelles y trouvera avantage, au dépend de nos entreprises, on continuera la casse avec une nouvelle excuse!

à écrit le 09/05/2022 à 18:37
Signaler
C'est une blague ? Aucune transition écologique n'est soutenable

à écrit le 09/05/2022 à 14:07
Signaler
Dire que tout le monde se moquait de Mélenchon quand il a le premier, et de loin, parlé de planification, alors que c'était si évident que c'était indispensable !!

le 09/05/2022 à 14:55
Signaler
La planification selon Melanchon est en droite ligne de ce qui existait en Union Soviétique avant 1989, puisque sa gestion du Pays serait totalement entre les mains du Politique !! Alors que l’on peut très bien dans une démocratie libérale envisager...

le 09/05/2022 à 18:50
Signaler
Il n'y a que des plans publics depuis des années lancés par des ministres pour impulser ceci ou cela, mais ça ne marche pas. La planification pour marcher doit etre un mix d'incitations nationales et d'actions locales, avec une coordination et un su...

à écrit le 09/05/2022 à 13:09
Signaler
"qui s'est traduite par de nombreux mouvements de contestation. " Et j'aimerais bien connaître la réelle progression des suicides et des dépressions ces dernières années elle doit être autant specaculaire qu'alarmante et là ça touche les gens les plu...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.