
Emmanuel Macron a décidé de raviver le débat sur "ce pognon de dingues" et "l'assistanat". Lors de la présentation de son programme à la présidentielle jeudi dernier à Aubervilliers, le président candidat a déroulé une série de mesures destinées à atteindre le plein emploi.
L'annonce du conditionnement du RSA à une activité de 15 à 20 heures par semaine a provoqué une levée de boucliers dans les associations et les syndicats. A gauche, cette proposition de réforme a également suscité des vagues de contestation. Certains candidats à la présidentielle y ont vu une mesure "de droite", certains, comme le communiste Fabien Roussel, dénonçant le fait que les bénéficiaires du RSA "travailleront pour sept euros de l'heure, même pas le niveau du Smic".
A droite, la candidate Valérie Pécresse accuse régulièrement le candidat Macron de "siphonner" les idées de son parti Les Républicains. La présidente du conseil régional d'Ile-de-France propose également 15 heures d'activité hebdomadaire obligatoire pour le RSA. Dans les rangs de la Macronie, les cadres de LREM ne sont pas vraiment étonnés de toutes ces réactions. "L'incitation à l'activité fait hurler certains en France mais cela est du bon sens", justifie un pilier de la campagne du président.
"Faciliter l'insertion" selon la ministre du Travail
Pour tenter d'éteindre l'incendie, plusieurs ministres et élus de la LREM sont rapidement monter au front dans les médias et sur le terrain depuis le début de la semaine. Mardi, la ministre du Travail Elisabeth Borne a expliqué que ces heures "ne sont pas des travaux d'intérêt général mais des activités permettant de revenir vers le monde professionnel".
Pour madame Borne, il s'agit "de participer à des ateliers dans lesquels on peut faire un bilan personnalisé. Cela peut permettre d'identifier les freins à l'emploi, comme des problèmes de santé, et de proposer une prestation. Ou bien aider à faire un CV et apprendre à se présenter devant un employeur. Ou encore découvrir des métiers grâce à des immersions en entreprise, puis, financer une formation professionnelle", a expliqué la ministre d'après des propos rapporté par l'Agence France Presse.
A l'issue de son discours fleuve devant la presse, Emmanuel Macron a apporté quelques précisions sur les contours de son projet. "Je ne propose pas des travaux d'intérêts généraux pour les bénéficiaires du RSA, c'est l'inverse ; je propose un travail, une formation, une insertion parce que je ne considère pas que les bénéficiaires du RSA sont comme des prisonniers - j'ai compris que c'était ça, la philosophie de certains pour la réforme du RSA - ce n'est pas celle que je porte ; c'est une réforme profonde qui reconnaît la dignité du travail, de l'insertion", a-t-il assuré lors d'un échange avec des journalistes.
Une "stigmatisation" des pauvres renforcée
L'idée derrière la réforme du président candidat est loin d'être nouvelle en réalité. "Cette proposition m'étonne assez peu car elle s'inscrit dans un mouvement de politique assez ancien. Le passage du RMI au RSA avait déjà évoqué cette question du conditionnement. Ce n'est pas une rupture dans la politique du Président menée depuis 2017. Cette proposition est plutôt un signal politique. Elle s'inscrit dans le débat de l'assistanat même s'il ne l'a pas évoqué", affirme le sociologue Denis Colombi auteur de l'ouvrage ,"Où va l'argent des pauvres", (éditions Payot).
Le chercheur interrogé par La Tribune affirme que "cette proposition vient renforcer le stigmate sur les pauvres déjà à l'œuvre." Or pour réduire la pauvreté, "beaucoup de travaux d'économistes et sociologues ont montré que le levier le plus efficace est de donner de l'argent aux pauvres. L'accès à la formation est souvent lié à un manque d'argent, notamment pour les femmes dans le cadre d'une famille monoparentale", ajoute-t-il. L'un des freins au retour à l'emploi est "le manque d'argent par ce qu'il faut faire garder les enfants ou prendre les transports," complète l'enseignant. "Cette proposition cristallise les débats sur la condition des aides et pas sur le niveau des aides", regrette-t-il.
Le non-recours, un "phénomène d'ampleur" selon le ministère de la Santé
L'une des difficultés qui peine parfois à susciter le débat en France, et pendant la campagne présidentielle en particulier, est le taux de non-recours aux droits sociaux.
Pourtant, ce taux est loin d'être anecdotique. Selon une récente étude du service de statistiques du ministère de la Santé (Drees), le non-recours est "un phénomène d'ampleur" pour les revenus minimums en Europe. Ce non recours est particulièrement spectaculaire en Belgique (62%) ou en Allemagne. Au Royaume-Uni, il atteint 44% contre 34% en France.
Le RSA, un parcours semé d'embûches
Parmi les facteurs qui peuvent expliquer un tel niveau de non recours, la complexité administrative ou la dématérialisation avancée des démarches pour des personnes qui n'ont pas toujours les outils, les supports, ou la formation pour y accéder sont souvent évoquées par les travaux des chercheurs.
Lors d'une remise de prix de thèse en fin d'année 2020, la défenseure des droits Claire Hédon avait souligné toutes ces difficultés d'accès aux droits. "Les politiques de numérisation ont conduit à fermer des lieux d'accueil dans les territoires ruraux. Les administrations délèguent le fardeau bureaucratique aux demandeurs. Les déplacements créent des inégalités d'accès au RSA", avait expliqué la sociologue, Clara Deville, spécialiste de l'action publique et des inégalités à Sciences-Po Paris.
Dans un entretien accordé à La Tribune en 2021, la présidente du conseil national de la pauvreté et député LREM, Fiona Lazar, avait rappelé que "avant la crise sanitaire, 40% des personnes qui arrivaient au RSA devaient attendre 6 mois avant d'avoir un premier rendez-vous pour être accompagnées". A quelques semaines du premier tour du scrutin présidentiel, cette question risque de passer sous les radars.
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Repères
- Environ 2 millions personnes touchent le RSA en France. Le RSA vise avant tout les personnes sans activité n'ayant plus d'indemnité chômage. Il n'est pas ouvert aux personnes de moins de 25 ans sauf exception (jeunes parents). Tous les étudiants, les élèves et stagiaires non rémunérés ne sont pas éligibles au RSA ;
- Le montant du RSA pour une personne seule est de 565 euros par mois.
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