Economie mise à l'arrêt, étudiants sans ressources, fin de CDD et contrats intérimaires... il y a un an jour pour jour, de nombreux Français plongeaient dans une situation économique et sociale désastreuse. La deuxième vague de contaminations avait obligé les autorités à mettre en place un nouveau confinement à l'approche de l'hiver. Malgré ce scénario catastrophique, les effets de la pandémie sur les inégalités et la pauvreté ont été relativement limités d'un point de vue statistique selon l'Insee. Dans sa dernière livraison dévoilée ce mercredi, l'institut indique selon les derniers indicateurs avancés que la pauvreté et les inégalités stagneraient en 2020.
L'indice de Gini, qui est un indicateur synthétique, serait resté à 0,289. Plus cet indicateur est proche de 1, plus l'inégalité dans un pays est extrême. Le taux de pauvreté serait quant à lui resté stable à 14,6% avec un seuil de pauvreté retenu à 60% du revenu médian.
En dépit de ces indicateurs rassurants au regard de l'ampleur de la crise, 9,3 millions de pauvres ont été recensés par les statisticiens en France. En outre, beaucoup de personnes (sans domicile fixe, demandeurs d'asile, réfugiés) ont pu passer outre les radars statistiques et les méthodes de recensement administratives durant cette période. Ces indicateurs avancés ne reposent que sur une simulation. Il faudra encore attendre 2022 pour avoir un panorama plus solide des conséquences de la crise sur ces chiffres. Dans un billet de blog inhabituel, le directeur général de l'Insee, Jean-Luc Tavernier, a cherché à déminer le terrain dans le contexte politiquement tendu de la campagne présidentielle.
"Cette stabilité peut étonner si l'on se réfère au « million de pauvres
supplémentaire » dont la presse s'est fait l'écho depuis un an. Pour son estimation, l'Insee utilise depuis quelques années une méthode de microsimulation. Cette méthode présente certaines fragilités, accentuées par le caractère inédit de la crise. Néanmoins, les travaux complémentaires menés par l'Insee sur les données de La Banque postale et sur le recours à l'aide alimentaire conduisent à conclure que la pauvreté s'est sans doute intensifiée mais n'a pas explosé. Au total, l'estimation de stabilité ou quasi-stabilité du taux de pauvreté paraît fiable, avec la réserve usuelle qu'elle ne tient compte que des revenus déclarés."
L'activité partielle et l'Etat Providence ont joué un rôle d'amortisseur
La mise en oeuvre rapide du chômage partiel au printemps 2020 a permis notamment de limiter les destructions d'emplois et de compenser en partie une baisse des revenus liée à la chute de l'activité. Le volume d'heures travaillées s'est fortement infléchi l'année dernière, notamment lors du premier confinement. Par ailleurs, certaines mesures exceptionnelles comme le versement de 150 euros en juin et novembre 2020 aux bénéficiaires du Revenu de solidarité active (RSA) ou une aide de 100 euros supplémentaires pour les bénéficiaires des allocations logement ayant un enfant ont permis d'amortir le choc cataclysmique de la pandémie. Sans ces aides ciblées, la pauvreté aurait pu augmenter de 0,5 point en un an selon l'Insee. L'ensemble des aides exceptionnelles en direction des ménages modestes a été estimé à 2,2 milliards d'euros.
Il reste que si ces mesures ont permis d'amortir temporairement les effets délétères de cette maladie infectieuse, beaucoup de familles sont restées dans la pauvreté. Avec la hausse des prix de l'énergie, les ménages situés dans le bas de l'échelle sociale sont fortement exposés aux variations soudaines des prix à la pompe et des factures de gaz. Si les différentes mesures transitoires présentées par le gouvernement (chèque inflation, bouclier sur les prix) devraient permettre de limiter cette flambée des prix sur le porte-monnaie, un prolongement de ces hausses des matières premières rendrait rapidement caduc ce type de dispositif.
L'inexorable hausse du nombre d'allocataires du RSA
De l'aveu même des statisticiens, "les indicateurs monétaires de pauvreté et d'inégalités ne suffisent pas à éclairer toutes les situations de pauvreté". "Malgré les aides, la crise a eu un impact qui dépasse la pauvreté monétaire. Elle a eu un impact sur les conditions d'apprentissage, sur le décrochage scolaire, la santé, la santé mentale, l'isolement. Tous ces aspects vont avoir des conséquences à moyen ou long terme" avait expliqué Fiona Lazaar présidente du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion dans un entretien accordé à La Tribune.
L'un des indicateurs les plus marquant pour mieux appréhender l'évolution des ménages les plus précaires est la hausse du nombre d'allocataires du RSA d'environ 7,4% entre fin décembre 2019 et fin décembre 2020. Il a ainsi dépassé la barre symbolique des deux millions. Cette hausse s'explique principalement par le faible nombre de sorties du dispositif. Si le nombre de bénéficiaires est légèrement redescendu depuis (1,95 million), son niveau reste au dessus de celui d'avant-crise (inférieur à 1,9 million). Avec l'entrée en vigueur récente de la réforme de l'assurance-chômage qui durcit les conditions d'accès aux indemnités, le nombre d'allocataires du RSA pourrait bondir dans les mois à venir. En effet, les demandeurs d'emploi n'ayant pas cotisé plus de six mois à partir du premier décembre prochain - au lieu de quatre auparavant - pourraient basculer dans les minimas sociaux s'ils ne retrouvaient pas de boulot.
Dans une autre étude publiée ce mercredi, d'autres statisticiens de l'Insee qui ont passé au crible les données bancaires de plus de 200.000 clients de la Banque postale ont montré que le revenu des allocataires du RSA avait baissé de 4% en 2020 par rapport à une trajectoire pré-crise. A cela s'ajoutent l'envolée des demandes d'aide pour les étudiants, la montée des aides alimentaires en 2020 ou encore la chute des revenus non déclarés dans le cadre d'activité légale ou non pour une bonne partie des travailleurs.