Mouvement social dans les raffineries : faire grève permet-il de gagner plus ?

C'est la principale revendication des grévistes qui occupaient encore, ce jeudi, une raffinerie et un dépôt TotalEnergies : l'augmentation des salaires. Ce motif est à l'origine d'un grand nombre de mouvements sociaux d'envergure comme ceux de 1936 ou encore de Mai 68. Mais au-delà de la question financière, c'est aussi l'évolution du rapport au pouvoir dans les entreprises et la reconnaissance de la profession qui se joue sur les piquets de grève.
Coline Vazquez
Depuis le 27 septembre, des raffineries et dépôts TotalEnergies sont paralysés par une grève avec, comme principale revendication, une hausse des salaires.
Depuis le 27 septembre, des raffineries et dépôts TotalEnergies sont paralysés par une grève avec, comme principale revendication, une hausse des salaires. (Crédits : ERIC GAILLARD)

C'est une grève qui dure. Depuis trois semaines, une partie des raffineries et des dépôts pétroliers de France sont bloqués par un mouvement social. Une revendication : la hausse des salaires alors que l'inflation n'a eu de cesse de grimper atteignant 5,6% sur un an en septembre, en léger recul.

D'ores et déjà, les grévistes ont obtenu une hausse générale de 5% des salaires, assortie de hausses individuelles et une prime exceptionnelle comprise entre 3.000 et 6.000 euros. Mais la CGT, qui réclame 10% d'augmentation, n'a pas signé l'accord. Elle pointe du doigt les revenus exceptionnels engrangés par TotalEnergies en 2021, réclamant qu'on octroie aux salariés une part du gâteau. Si le mouvement a été suspendu dans la quasi-totalité des sites de TotalEnergies qui étaient concernés par la grève, cette dernière a été reconduite, ce jeudi matin, à la raffinerie de Gonfreville (Seine-Maritime) et au dépôt de Feyzin (Rhône). Trois jours plus tôt, quelque 10 centrales nucléaires étaient touchées par le mouvement de grève. Le 6 juillet c'était la SNCF qui cessait le travail pour réclamer de meilleurs salaires. À raison ? Faire grève conduit-il toujours à des hausses de salaire ?

Un contexte de nouveau favorable aux salariés

C'est du moins une pratique répandue chez les Français. « 50% à 60% des grèves qui ont marqué l'histoire de France avaient pour enjeu des augmentations de salaire. À la fin du XIXe siècle, c'était d'ailleurs le premier motif de celles-ci », commente Marie Fontaine, professeure au Centre d'histoire de Sciences Po. « Les grèves étaient d'ailleurs particulièrement nombreuses jusqu'au début des années 1980 du fait de la situation de plein-emploi et d'une forte inflation », ajoute-t-elle. Des facteurs que l'on retrouve en partie actuellement.

Si l'inflation n'atteint pas les sommets des années 1970 (9,2% en 1972 et 13,7% en 1973), elle est néanmoins en forte hausse depuis le déclenchement du conflit en Ukraine qui a fait bondir les prix de l'énergie. De même, la France ne connaît pas le plein-emploi, que l'Organisation internationale du travail (OIT) définit comme un taux de chômage inférieur à 5%, mais ce dernier a considérablement baissé. Selon une note de l'Insee publiée le 6 octobre dernier, il devrait se maintenir à 7,4% de la population active « jusqu'à fin 2022 », son plus bas niveau depuis 2008.

Or, si l'inflation pousse les salariés à réclamer des hausses de salaire, la bonne santé de l'emploi oriente le rapport de force en leur faveur. En témoignent les nombreux secteurs professionnels comme la restauration, l'hôtellerie, le bâtiment qui manquent de main-d'œuvre. À titre d'exemple, le nombre de demandes de recours à la caisse de grève mise en place par la CFDT, qui permet de compenser les pertes de revenus des salariés en grève, a ainsi été autant sollicitée ces six derniers mois que sur la totalité de 2021. Dans 75% des cas, les mouvements sociaux étaient déclenchés pour des revendications salariales.

Des augmentations de salaires à nuancer

« La question des salaires redevient donc un enjeu important, comme ça l'était avant les années 1980, entraînant des grèves », constate Marie Fontaine. À l'instar de la grève à la SNCF en juillet qui a débouché sur une augmentation moyenne de 3,7% pour les petits salaires et 2,2% pour les cadres, les vastes mouvements sociaux du XXe siècle se sont soldés par des fortes hausses de salaire, comme en 1936. Cette année-là, les accords de Matignon signés entre le patronat et les syndicats sous l'égide du gouvernement permettent d'augmenter les salaires de 7% à 15 %.

Le 27 mai 1968, les négociations qui suivent le mouvement de grande ampleur qui a touché toute la France conduisent aux Accords de Grenelle lesquels prévoient une augmentation du SMIC de 35% et des autres salaires de 10%.

Sylvain Bersinger, économiste au sein du cabinet Asterès qui a publié une étude sur le sujet, nuance toutefois cette victoire des grévistes. « Si l'on regarde le salaire réel, c'est-à-dire en prenant en compte l'inflation, qui était de 5% en 1968, la revalorisation obtenue par les Accords de Grenelle, de 10%, était en réalité de 5%, soit dans la moyenne des augmentations de salaire à cette époque », explique-t-il, citant également en exemple le mouvement des "gilets jaunes" en 2018 qui « ne semble pas avoir affecté la dynamique des salaires réels en France », lui non plus.

« Ce n'était toutefois pas l'objectif du mouvement des "Gilets Jaunes", rappelle Marie Fontaine. Une partie de leurs demandes s'adressait à l'État ». Ils s'opposaient, en effet, à la hausse de la fiscalité sur les carburants.

Pouvoir d'achat, rapport au pouvoir, répartition de la richesse...

Plus encore que le salaire, c'est souvent le pouvoir d'achat qui se retrouve au centre de nombreuses revendications.

« Il y a deux moyens pour augmenter le pouvoir d'achat : soit vous augmentez les salaires, ce qui relève des employeurs, soit c'est l'État qui agit, en renforçant les prestations sociales, en diminuant les charges, ou en influant sur le prix de certains biens comme le carburant », explique la professeure qui note un retour « aux formes de grèves classiques avec pour unique objectif d'obtenir des augmentations de salaire ».

Un sentiment accru dans le cadre des grèves actuelles au sein des raffineries et dépôts de TotalEnergies par les bénéfices réalisés par le groupe qui ont bondi avec l'augmentation des prix de l'énergie : 5,7 milliards de dollars au deuxième trimestre de 2022. D'autant plus que, le 18 octobre, le patron du géant pétrolier a dévoilé une hausse de son salaire entre 2021 et 2022 de près de 52% dans un message sur Twitter. Le dirigeant entendait se justifier en partageant « la vraie évolution » de sa rémunération depuis 2017, alors que le débat sur la taxation des superprofits agite la France depuis plusieurs mois.

« C'est la question de la répartition des richesses, qu'on retrouvait déjà lors des grèves ouvrières à la fin du XIXe siècle : ''si mon patron s'enrichit, pourquoi ne pas augmenter mon salaire'' », pointe Marie Fontaine.

Au-delà de la revendication financière, c'est bel et bien le renversement d'un rapport de force qui a souvent poussé les salariés à faire grève. Au point de vouloir poursuivre le mouvement quand les syndicats y mettent un terme comme ce fut le cas en 1968. « Une partie des grévistes étaient déçus des Accords de Grenelle car ils espéraient un changement global du rapport au pouvoir dans les entreprises. La grève était aussi un moyen pour eux d'exprimer un sentiment d'injustice », raconte la professeure d'histoire. Et de conclure :

« Accorder des hausses de salaire est une forme de reconnaissance de la profession et des travailleurs, au-delà de la question matérielle. »

Coline Vazquez
Commentaires 6
à écrit le 25/10/2022 à 13:41
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"faire grève permet-il de gagner plus ?" Maintenant ,est-ce que l'on gagne plus sans faire la grève ?

à écrit le 22/10/2022 à 15:39
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La théorie syndicale veut qu’en France on se mette en grève pour bâtir le rapport de force avec l’employeur, avant de négocier avec pour but d’arracher plus….. Ça n’est pas forcément le cas dans les autres pays qui nous entourent où la grève n’inter...

à écrit le 21/10/2022 à 18:50
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Une crise économique n’est-elle pas la meilleure manière de masquer les conséquences des fléchettes injectées ?

à écrit le 21/10/2022 à 18:00
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Une "Grève" signifie une mauvaise gestion des ressources humaine par l'entreprise ! ._

le 22/10/2022 à 9:23
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le responsables c'est le gouvernement pour quel raison la france envoye a la casse les senoirs avec le soutien des gouvernement successif ce sont bien eux qui ont contribuer a la mauvaise gestion des retraites en soutenant les entreprises

à écrit le 21/10/2022 à 17:41
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Comme s' il s' agissait du sujet mère alors que les chiffres démontrent qu' on est déjà dans le dur. Grâce aux pénuries organisées par les Young Leaders européens à la remorque du Great Reset de Schwab, la destruction de l'économie d...

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