Ce vendredi soir, après avoir accompagné Gabriel Attal dans les Vosges, Catherine Vautrin nous reçoit dans son grand bureau de la Rue de Grenelle. C'est avec émotion qu'elle a retrouvé en janvier ce ministère qu'elle a connu il y a vingt ans. En effet, en 2004, l'élue de droite occupait son premier poste de secrétaire d'État à l'Intégration et à l'Égalité des chances, sous l'autorité de Jean-Louis Borloo, dont elle est restée proche. La veille, l'ancien maire de Valenciennes lui a rendu visite. Alors qu'elle a été pressentie pour Matignon en 2022, elle est aujourd'hui à la tête d'un grand ministère qui embrasse tout à la fois le Travail, la Santé et les Solidarités. Bien qu'elle soit peu connue du grand public, l'Élysée vante son ancrage territorial, son sens du dialogue et sa solidité. Catherine Vautrin accorde à La Tribune Dimanche sa première interview dans la presse nationale.
LA TRIBUNE DIMANCHE - Vous avez rencontré des bénéficiaires du RSA, tenus de faire quinze heures hebdomadaires de travail, de stage...
CATHERINE VAUTRIN - Nous avons rencontré un jeune homme sans diplôme qui veut travailler dans les métiers de la sécurité mais n'a pas le permis de conduire ; une femme seule avec trois enfants qui n'a jamais travaillé depuis leur naissance et qui rêve d'être aide-soignante dans les Ehpad... L'un comme l'autre feront une journée d'immersion et sont accompagnés par des conseillers de France Travail [ex-Pôle emploi], mais aussi par du personnel des départements pour la partie sociale. Par exemple, pour la dame, il s'agit de trouver des solutions de garde des enfants. Dans ce dispositif, le bénéficiaire du RSA signe un contrat et s'engage dans un parcours de formation, un projet professionnel. De son côté, France Travail s'engage à lui fournir un accompagnement et s'occupe de la mise en relation avec les entreprises du territoire. Nous assumons la notion d'engagement, qui implique des droits et des devoirs, mais aussi la notion de contrôle : la personne respecte le contrat qu'elle a co-construit avec son conseiller, sans quoi elle peut avoir des rappels et voir ses droits suspendus. Dix-huit départements ont participé à l'expérimentation de ce nouveau système, et les résultats sont là : sur les 22 500 personnes entrées dans le programme, 45 % ont un contrat dans une entreprise et travaillent cinq mois après le début de leur accompagnement. Nous allons étendre ces dispositifs à de nouveaux territoires pour que 100 % des départements soient couverts en 2025. Depuis 2017, la majorité a créé 2 millions d'emplois, nous avons retrouvé une notion de plein-emploi. Il faut continuer, surtout quand, en France, il y a encore des postes vacants dans des secteurs essentiels à notre économie et à notre modèle social.
Cela veut-il dire revoir le système d'assurance chômage, comme le suggèrent Gabriel Attal et Bruno Le Maire, le ministre de l'Économie ?
Les partenaires sociaux travaillent sur le sujet et négocient sur l'emploi des seniors. Ils doivent aboutir à la fin mars. Cet accord doit notamment intégrer le relèvement de l'âge d'indemnisation des seniors, comme les partenaires sociaux l'ont acté en novembre. Ensuite, soit les partenaires sociaux sont d'accord entre eux, et on transpose dans une loi, soit ils ne le sont pas et le gouvernement reprend la main. Cela peut vouloir dire, si le dialogue social ne parvient pas à définir des conditions suffisamment incitatives, revoir les règles d'indemnisation pour prendre en compte les perspectives financières de l'assurance chômage et de nos finances publiques. En tout cas, le dialogue social se passe à Grenelle.
Et si l'accord ne vous convient pas ?
Je laisse le dialogue social s'organiser. Je rappelle que le taux d'emploi des 60-64 ans dans notre pays atteint 35 %, alors que la moyenne européenne est de 45 % et que les Allemands sont à plus de 60 %. Dans ce contexte, plus l'accord sera ambitieux, plus il coïncidera avec l'objectif du gouvernement : le plein-emploi jusqu'à 64 ans. Pour l'instant, la négociation continue.
Allez-vous réduire la durée d'indemnisation des demandeurs d'emploi ?
Ma mission est avant tout, comme ministre chargée de l'emploi et du travail, d'aider et d'inciter la personne à remonter dans le train de l'emploi.
Le gouvernement a mis des moyens sur l'apprentissage. Là, l'heure est aux économies, et votre ministère perd plus de 1 milliard d'euros...
En 2023, la croissance a été plus faible que prévu. Il faut s'adapter. Je dois rendre 5 % de la totalité des budgets de l'emploi et de la formation professionnelle, alors je regarde. Mais chaque fois que je remets une personne au travail, je gagne une respiration... notamment pour la protection sociale.
Sur le compte personnel de formation, par exemple, vous demandez 10 % de reste à charge aux salariés... et non pas un montant, comme cela a été évoqué ?
Lors de leur inscription en formation via le CPF, huit personnes sur dix déclarent avoir au moins un objectif professionnel. Nous regardons la mise en œuvre d'un reste à charge. Tout n'est pas arbitré.
Est-ce que le gouvernement regarde le régime des intermittents ?
Je n'ai jamais évoqué le sujet. C'est comme la rupture conventionnelle. Je n'y ai jamais touché et n'y toucherai pas ! La rupture conventionnelle est un élément de flexibilité, un outil entre l'entreprise et son collaborateur.
Comment faire en sorte que le travail paie mieux ?
Depuis 2021, le smic a été augmenté sept fois et a progressé de 13,7 %, alors que juste au-dessus du smic l'évolution est beaucoup moins dynamique. Nous regardons comment faire pour que le net soit meilleur. Le Haut Conseil des rémunérations qui sera installé fin mars, permettra d'y travailler.
Gabriel Attal parle d'un acte 2 de la réforme du travail. Qu'est-ce que cela veut dire ?
Le réarmement économique voulu par le président de la République est notre priorité ; la stratégie du gouvernement est de simplifier, sécuriser afin de libérer les énergies et de créer de l'emploi, avec une ambition particulière pour les PME. Tout ce qui relève du Code du travail sera évidemment traité Rue de Grenelle, dans le dialogue avec les partenaires sociaux.
Pour la santé, où seront les économies ?
Nous avons doublé les franchises sur les médicaments, car la santé n'est pas gratuite. Mais la France doit rester le pays où les soins sont assurés pour tous et dans tous les bassins de vie. Ma ligne est de demander à nos concitoyens d'être responsables, notamment sur le sujet du gaspillage. Nous avons 1 million de consultations médicales par jour, 41 milliards d'euros de prescriptions par les généralistes par an... Pour la distribution des médicaments, j'aimerais garantir qu'on achète en pharmacie ce qui correspond à la prescription, et pas plus. En matière de prévention, c'est l'assurance que le patient prend correctement son traitement. Cela nécessite probablement une rémunération des pharmaciens. Le calcul mérite d'être fait.
Et sur la « taxe lapin », pour éviter les rendez-vous médicaux non honorés ?
Chaque année, selon les estimations de plateformes, 27 millions de consultations ne sont pas honorées. Soit deux heures perdues par médecin par semaine. Le Premier ministre l'avait annoncé, nous regardons comment, quand vous avez pris un rendez-vous, les plateformes peuvent annuler automatiquement tous les autres rendez-vous déjà pris pour la même spécialité. Nous ne pouvons pas gaspiller du temps médical.
Dans votre portefeuille, vous avez aussi la charge du grand âge... C'est un sujet qui me tient à cœur. En 2030, savez-vous qu'il y aura plus de Français ayant plus de 65 ans que de moins de 15 ans ? Je veux accompagner ce virage démographique. Comment vieillir chez soi avec des services médico-sociaux autour ? Quelle sera la place de l'Ehpad ? Je vais mener un travail sur la place des seniors dans la société, car ils ne sont pas assez valorisés alors qu'ils font tourner le secteur associatif, sont élus, s'occupent de leurs petits-enfants... La députée Olga Givernet a fait un rapport parlementaire sur les grands-parents, je veux aller plus loin. Et le texte « Bien vieillir » n'embrasse pas tout le sujet. Dans cette loi, je vais par exemple soutenir et accepter l'amendement du professeur Juvin, pour qu'il soit possible d'accueillir les chiens et chats dans les Ehpad. C'est déjà difficile de quitter son chez-soi ; je suis favorable à ce que les personnes emmènent leurs chiens et chats dans les Ehpad, ça permet d'humaniser ces établissements, de rompre la solitude. Mais, sur le vieillissement, le gouvernement va-t-il pouvoir mettre des moyens ? Je propose de travailler à la fois sur une stratégie, le financement et la gouvernance, notamment le lien avec les conseils départementaux. Je note qu'en janvier dernier le comité consultatif du secteur financier a recommandé la mise en place d'une couverture dépendance obligatoire, reposant sur la mutualisation la plus large. C'est une piste de réflexion, il y en a d'autres. Sur la fin de vie, le président doit s'exprimer bientôt. Vous allez porter ce texte ; quelle est votre position ? Je rencontre tous les jours quelqu'un sur ce sujet très délicat, qui nécessite du temps, de l'écoute, des personnes de la convention citoyenne, des représentants des cultes... C'est un sujet qui doit être traité dans le respect des sensibilités, vous me permettrez de laisser au président de la République le soin d'annoncer les termes du débat. L'idée est d'avoir un texte proposé au Parlement avant l'été. Chacun doit mesurer l'importance et la portée de ce texte, qui nécessitera des conditions de débat le plus respectueuses possible. Concernant le développement des soins palliatifs, l'idée est de s'inscrire dans un continuum de prise en charge de la douleur, pour que le patient souffre le moins possible. Il s'agit d'accompagner toux ceux qui en ont besoin et donc de déployer ces services de soins palliatifs dès le diagnostic à l'échelle du pays. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.« Je suis favorable aux chiens et chats dans les Ehpad »