De Crépol à Hénin-Beaumont, Olivier Véran, s'est affiché toute la semaine à l'offensive contre le parti de Jordan Bardella.
LA TRIBUNE DIMANCHE - Comment expliquez-vous la dynamique que connaît actuellement le RN ?
OLIVIER VÉRAN - C'est plus un enlisement démocratique qu'une réelle dynamique. La mondialisation, l'inflation, les guerres ou encore les bouleversements écologiques peuvent induire une perte de repères pour les citoyens, le sentiment d'un quotidien et d'un univers qui leur échappent. Le RN s'est nourri de la désindustrialisation, du chômage de masse, du recul des services publics. Ce qui me rend optimiste est que, justement, la politique menée par Emmanuel Macron change concrètement la vie des gens. Nous faisons reculer le chômage, rouvrons des usines et investissons dans des secteurs d'avenir comme la transition écologique. Nous baissons les impôts, installons des gendarmeries en ruralité, ouvrons des maisons France services. Je ne dis pas que tout est parfait, et les Français restent inquiets pour leur pouvoir d'achat, le logement, la sécurité. Mais là où nous agissons, le RN tire vers le bas.
C'est-à-dire ?
Le RN adapte en permanence sa rhétorique pour coller aux peurs, aux colères, et les entretenir sans avancer de solution, se contentant de répondre: « Quand on sera au pouvoir, on ne fera pas ça. » Il ne prépare pas l'avenir, mais vend une image figée et faussée du pays et de l'Europe.
Mais moi, j'aimerais bien que Marine Le Pen et Jordan Bardella nous disent à quel moment de l'histoire de notre pays et de celle du monde cela s'est bien passé quand l'extrême droite était au pouvoir, qu'ils citent la figure tutélaire d'extrême droite à laquelle ils peuvent se référer pour dire aux Français ce qu'est leur modèle. Mes modèles ? Le général de Gaulle, Jacques Chirac, François Mitterrand.
Ce sont donc, pour vous, d'abord des raisons économiques plus que sociétales, sécuritaires, culturelles... qui expliquent la montée du RN ?
Il y a de tout. On pourrait ajouter la mécanique informationnelle. Désormais, l'information va vite, trop vite. On s'est habitués à ce que l'interprétation précède les faits et confirme ainsi notre vision du monde. Le populisme s'en nourrit. En livrant une analyse de chaque drame, de chaque fait divers correspondant à ce qui les arrange, le RN ancre les gens dans un récit où rien ne va plus et où il faut tout envoyer paître. Partout cette spirale populiste fragilise les vieilles démocraties. Nos modèles démocratiques ne peuvent pas reposer sur des communautés qui se juxtaposent, mais sur une communauté nationale unie au cœur de laquelle une classe moyenne très importante porte un modèle de croissance et de développement. Or, toutes les enquêtes le montrent, il y a aujourd'hui, au sein de celle-ci, une perte d'espoir dans l'avenir. Ce phénomène, là aussi, est mondial. Certains en arrivent même à tirer la conclusion qu'un régime autoritaire serait la seule solution pour les sortir du monde dans lequel ils vivent.
C'est ce sur quoi vous vouliez alerter quand lundi, à Crépol, vous avez évoqué le « risque de basculement de la société » ?
Ce qui est intéressant, c'est de voir à quel point ce mot de « basculement » a résonné, même si des choses très diverses ont été mises derrière. Les gens sont aujourd'hui exaspérés par les violences physiques, verbales ou numériques qu'ils vivent et ressentent, alors qu'ils attendent d'une société qui se modernise qu'elle les protège de la violence. À Crépol comme ailleurs, j'ai perçu la lassitude, la colère, la crainte d'une impuissance du politique, d'une fragilité de l'État de droit. Face à cela, l'extrême droite choisit de les attiser, et fait croire que le cadre qui garantit la cohésion de la nation n'est plus adapté. À l'inverse, nous respectons les citoyens, c'est-à-dire que nous assumons la complexité des enjeux et mettons en œuvre des solutions efficaces, respectueuses de l'État de droit. Quand on ouvre 200 brigades de gendarmerie dans les campagnes, quand on met en place des forces d'action républicaine dans les quartiers difficiles, quand on nomme 8 500 personnels dans la justice et change la loi pénale pour les mineurs afin de sanctionner les parents, on montre qu'on entend, comprend et agit. Comme pour le chômage, les résultats suivront.
Que doivent changer les partis de gouvernement ?
Il ne faut pas avoir peur de dire les choses publiquement comme nous nous le disons parfois entre nous. Nous sommes en phase avec le ressenti des Français, mais nous ne nous autorisons pas toujours à le dire, par crainte que cela revienne à reconnaître une forme d'impuissance. D'autant que dans les faits, par l'action que nous menons, nous ne minimisons pas. Alors, montrons-le. Par exemple, lorsque j'ai parlé de risque de basculement, il m'a été demandé si je ne faisais pas le constat d'une inefficacité de notre action. Pas du tout, au contraire, puisqu'en parallèle nous agissons sans tabou, avec réalisme et détermination. Décider que certains mineurs pourront être encadrés par des militaires, c'est fort, et c'est sans doute nécessaire. N'ayons pas la mesure honteuse, affirmons qu'elle répond aux attentes de la population face à un constat partagé. Et surtout, ne jamais dire qu'il n'existe pas de solution à un problème, car le « on ne peut pas », c'est ce qui fait monter le RN.
Vous avez entamé depuis septembre un tour de France des villes RN. Quelles conclusions en tirez-vous ?
Il n'y a pas de territoire oublié de la République. Et ce n'est pas parce qu'un élu RN est maire, qu'il est propriétaire. Je dis cela en raison de l'attitude peu républicaine à laquelle nous avons fait face avec mes collègues, lorsque nous sommes allés à Beaucaire, Fréjus [avec Laurence Boone], Hayange [avec l'appui d'Aurore Bergé] ou Hénin-Beaumont [avec Roland Lescure]. C'est au pire l'invective, au mieux l'absence. Le rapport avec les gens est le même qu'ailleurs. On nous parle pouvoir d'achat, éducation, santé. Certains sont rassurés de nous y voir, craignant que nous ne nous intéressions plus à eux. Au contraire ! Et si nous n'y montrons pas ce que l'État, l'Europe font concrètement pour améliorer leur vie, il ne faut pas compter sur les maires ou les députés RN pour le faire !
Je vois deux enjeux et deux stratégies pour faire refluer le RN, qui ne s'opposent pas mais se conjuguent. D'une part, redonner envie aux électeurs RN de voter pour un parti de gouvernement, grâce à nos résultats. Dans ces villes, l'abstention est la même qu'ailleurs. Cela veut dire que les élus RN ne créent pas plus d'espoir ou d'adhésion. Il existe d'autre part un électorat à mobiliser, celui du second tour d'Emmanuel Macron à la présidentielle, qui nous a privés d'une majorité absolue aux législatives, que j'appelle apatride car qui n'est pas mélenchoniste et n'est plus macroniste. Souvent jeune et urbain, parfois âgé, on ne doit pas lui faire perdre de vue la dangerosité de l'extrême droite.
Que voulez-vous dire ?
Ce n'est pas parce que le Rassemblement national adopte la stratégie de la cravate à l'Assemblée, qu'il a changé. Si Marine Le Pen devenait présidente, dans son gouvernement, il y aurait David Rachline, dont on connaît la gestion clanique à Fréjus, Laurent Jacobelli, qui a traité un député de « racaille »... Rappeler les racines du RN ne me semble pas indispensable : les Français ont compris que les partis, leurs leaders pouvaient évoluer. En revanche, montrer qui entoure Marine Le Pen l'est. Ce sont des europhobes, des proches de Poutine. Si les Français peuvent avoir moins peur d'elle que de Jean-Luc Mélenchon, il ne faut pas qu'ils aient moins peur du RN que de LFI.