Marine Le Pen, reine au royaume d'Astérix

OPINION- Un tournant s'est peut-être joué à l'occasion de la marche contre l'antisémitisme, ce 12 novembre. La désunion qu'elle a provoquée chez ses rivaux et la poursuite de sa stratégie de normalisation en s'érigeant défenseure d'Israël et des juifs de France propulsent Marine Le Pen victorieuse, dans un moment de l'histoire pourtant dramatique. Elles font écho à deux albums d'Astérix : « La zizanie », et « L'iris blanc », paru il y a trois semaines. Et préfigurent un troisième - encore fantasmé mais jusqu'à quand ? - qui pourrait être titré : « Le village des irréductibles Gaulois a cessé de résister à l'envahisseur ».
Au lendemain de ce 12 novembre, il apparaît que Marine Le Pen est parvenue à franchir un nouveau palier dans cet endormissement des consciences qui est une contribution essentielle à sa stratégie de normalisation
Au lendemain de ce 12 novembre, il apparaît que Marine Le Pen est parvenue à franchir un nouveau palier dans cet endormissement des consciences qui est une contribution essentielle à sa stratégie de normalisation (Crédits : GONZALO FUENTES)

C'est peut-être un tournant qui s'est joué dans les rues de Paris ce 12 novembre. Un tournant qu'il faudra réexaminer en 2027 si Marine Le Pen remporte le scrutin présidentiel. La marche contre l'antisémitisme, à laquelle les hiérarques du Rassemblement national, leur figure de proue en tête, se sont associés, consacre deux étapes importantes dans l'histoire du RN : un palier supplémentaire dans la stratégie de dédiabolisation et de « notabilisation », engagée au lendemain des élections présidentielles puis législatives de 2022, a été franchi ; sa capacité de provoquer la discorde, et même la cacophonie parmi les partis républicains, qui étaient appelés à ne faire qu'un en réaction à la vague d'actes antisémites inhérente à la guerre au Proche-Orient, révèle un redoutable pouvoir de déchirer plus encore le fameux « cordon sanitaire » censé isoler le parti d'extrême droite. "Un plafond de verre a explosé", résume lucidement l'historien Grégoire Kaufmann.

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Faire sauter le verrou

Bien sûr, il y a eu les déclarations le 5 novembre du président du RN, Jordan Bardella, disculpant éhontément le patriarche Jean-Marie Le Pen de tout antisémitisme, au mépris des faits, innombrables et incontestables - sa rétractation quatre jours plus tard a éteint l'incendie, et « réhabilité » sa cheffe dans sa stratégie d'émancipation à l'égard du père initiée en 2015 après une énième bavure antisémite. Mais quiconque s'est penché sur les déclarations de Marine Le Pen depuis le funeste 7 octobre a saisi la mesure, la pondération, la distanciation des propos. Jusqu'à s'ériger en défenseure d'Israël et de la cause des Juifs de France. Un comble, une provocation stupéfiante au regard de l'histoire de son parti - et de ses propres errements passés. La faible contestation, la balbutiante résistance qui s'en sont suivies ont été un révélateur supplémentaire de l'enracinement de son discours « normalisé » dans les consciences - celles des citoyens, celles aussi de « relais » politiques et médiatiques. L'analyste Jérôme Fourquet (Ifop) le confirme : faire sauter le verrou qui empêche la communauté juive de voter pour elle constitue une étape de sa banalisation et de sa normalisation. Certes, les bulletins des Juifs de France en faveur du RN demeurent faibles ; mais avec 13,5% recueillis lors de la Présidentielle 2022, cette proportion a triplé en dix ans, et elle s'inscrit dans un double mouvement : la droitisation croissante de cet électorat, l'attractivité que l'autre chantre de l'extrême droite, Eric Zemmour, exerce auprès de lui.

Digue éventrée

Cet emploi rusé de la mesure rhétorique, ses acrobaties millimétrées pour que les enjeux politiques, religieux, militaires, humanitaires, embrasant Gaza et Israël mettent le feu sur l'échiquier politique français, consolident son voeu ultime : aboutir à l'implosion du pacte républicain conçu pour la marginaliser dans le débat public et lors des scrutins électoraux.

Ce 12 novembre, elle a réussi peut-être au-delà de ses espérances. En effet, dans les rues de la capitale a sonné comme une consécration pour elle : les déchirements que sa présence provoquait depuis plusieurs jours au sein du cénacle politique ont presque obstrué l'objet même de l'événement, ce même cénacle bien embarrassé de disqualifier un défenseur auto-proclamé d'Israël et des Juifs de France. Le Grand Rabbin de France, Haïm Korsia, déjouait lui-même la polémique au nom du rassemblement républicain exclusivement « citoyen », consubstantiel de l'invitation à manifester et qu'il estimait indépendant des identités politiques. Quelques jours plus tôt, les déclarations de Serge Klarsfeld, élogieuses à propos du RN de Marine Le Pen et plébiscitant sa présence le jour de la marche, avaient éventré la digue.

Zizanie

La zizanie était un spectacle aux manettes duquel, sans même s'exprimer ou risquer le moindre écart verbal, Marine Le Pen triomphait. Dimanche, elle défilait silencieusement, sans heurts. Le pari était gagné. Quoi de mieux qu'être un sujet de discorde pour affaiblir ses adversaires ? « Pouvoir défiler tout en étant ostracisé, c'est génial ! », a eu raison de plastronner une « éminence grise de Marine Le Pen » citée dans La Tribune Dimanche. Le député LFI Manuel Bompard juge que la marche contre l'antisémitisme « blanchit » l'extrême droite ? Personne n'est dupe du calcul spécieux d'une déclaration qui s'ajoute à celles qui depuis six semaines exposent l'embourbement et parfois l'indignité idéologiques et politiques de la France Insoumise : en revanche, factuellement elle n'est pas contestable.

Tullius Detritus et Vicévertus, des modèles

Cet « événement dans l'événement » - ce dernier, une réussite citoyenne, avec 182 000 personnes en France -, met en lumière les planches de deux albums d'Astérix. Le premier, c'est justement La zizanie. Paru en 1970, il révèle les talents du bien nommé Tullius Detritus, capable à partir d'un regard, d'un mot, d'un mensonge, d'une altercation, ou de sa seule présence, de déclencher la pagaille et la désunion autour de lui. Même le village des irréductibles Gaulois n'y résiste pas, avant (bien sûr !) d'y mettre fin. Le second est d'actualité, puisqu'il est en vente depuis le 26 octobre : L'iris blanc. Le tout aussi bien nommé Vicévertus exploite un autre vecteur - le « politiquement correct », le « bien penser » - pour créer là aussi la division. Ce poison possède un pouvoir de contamination complémentaire : il flatte les égos, il aseptise les relations sociales, il lénifie les échanges verbaux, et ainsi chloroforme les consciences, contracte l'esprit critique, endort la faculté de réagir, de contester, de se rebeller. Ainsi entrés en léthargie, les villageois baissent la garde, deviennent malléables, se laissent assujettir, avant (bien sûr !) d'y mettre fin.

Au lendemain de ce 12 novembre, il apparaît que Marine Le Pen est parvenue à franchir un nouveau palier dans cet endormissement des consciences qui est une contribution essentielle à sa stratégie de normalisation. La pagaille qu'elle a initiée chez ses rivaux prend la forme d'une juteuse cerise sur un gâteau de plus en plus consistant. Gâteau qui, une fois servi en 2027, pourrait avoir le goût du « pudding à l'arsenic » concocté par le vil Amonbofis et son scribe Tournevis dans un autre célèbre album du guerrier moustachu, Astérix et Cléopâtre. Et si un prochain opus était titré « Le village des irréductibles Gaulois a cessé de résister à l'envahisseur » ?

Lire aussiLes Français se préparent déjà à un match Edouard Philippe contre Marine Le Pen en 2027

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Commentaires 7
à écrit le 13/11/2023 à 15:54
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Faut-il que les arguments contre les politiques proposées par le RN se soient affaiblis pour que ses adversaires en soient réduits à lui reprocher son soi-disant ADN lié au passé de ses fondateurs: qui a interdit à Fabien Roussel de se joindre à la ...

à écrit le 13/11/2023 à 10:46
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Nul ne peut nier qu'il y a un vieux fond d'antisémitisme en France, comme il y a un fond anti arabo musulman. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, la médiatisation outrancière et toutes les actions tendant à dénoncer ces attitudes ne font que re...

le 13/11/2023 à 15:56
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Bien analysé: qu'on soit ou non convaincu de la nécessité de l'existence de l'Etat d'Israël (et je le suis), antisionisme et antisémitisme sont deux choses différentes, même si par ignorance, de nombreux antisionistes sont devenus des antisémites de...

à écrit le 13/11/2023 à 9:01
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C'est simplement un déplacement de curseur pour 'rassembler les voix nationales" et internationales mais sans conviction autre, que rester dans l'UE comme excuse !

à écrit le 13/11/2023 à 7:48
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Quand on voit et entend les médias de masse faire une propagande générale et de plus en plus pour l'extrême droite en nous imposant les thèmes aliénants de la sécurité et de l'immigration on voit le tapis rouge déroulé devant le RN pour être éternel ...

le 13/11/2023 à 15:24
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Erreur sur les animaux. Plutôt que de câliner ses chats, MLP devrait se tourner vers les bovidés. CdG les a parfaitement choisis pour être le modèle français. Ce qu'on peut espérer ce sont des dissensions au FN. JB n'y existerait pas si, 1/ il n'étai...

le 15/11/2023 à 8:33
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" CdG" Qui c'est !?

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