LA TRIBUNE- Le projet de loi sur l'immigration est examiné en commission à l'Assemblée nationale. Vous ne retenez vraiment rien de positif dans ce texte ?
NICOLAS MAYER-ROSSIGNOL- La version du texte issue du Sénat est grave. On dirait un tract du RN et même du FN, version Jean-Marie Le Pen. Supprimer l'AME serait une faute morale d'une indignité totale. Gérald Darmanin, comme Nicolas Sarkozy avant lui, est en campagne et veut donner des gages à un électorat ciblé. Moi je pense aux Français humanistes et progressistes, qui ont voté pour Emmanuel Macron au premier tour en 2017 et 2022, qui ne peuvent pas s'y retrouver.
La gauche va-t-elle accepter la régularisation des métiers en tension ?
Il n'y a aucune ambiguïté de ma part sur l'immigration. Je prône la lucidité, la responsabilité et la fraternité. Aujourd'hui, la situation est absurde. Comme beaucoup d'élus locaux j'ai moi-même agi en tant que maire pour défendre des immigrés sous obligation de quitter le territoire alors qu'ils avaient du travail, qu'ils étaient insérés, qu'ils ne posaient aucun problème, que des entreprises avaient investi dans leur formation. Les procédures d'expulsion inutiles occupent des fonctionnaires, engorgent les tribunaux et coûtent de l'argent pour rien. L'intérêt du pays est de régulariser au-delà des métiers en tension car la conjoncture évolue et les besoins changent.
Le gouvernement va-t-il assez loin pour l'intégration ?
Je vois surtout que le sujet de la mixité n'est pas abordé alors que c'est le cœur de l'enjeu. Il n'y a aucun grand remplacement mais beaucoup de maires doivent faire face à des tensions car, dans certains quartiers, on concentre et on ajoute de la pauvreté aux difficultés. La ghettoïsation est un phénomène très dangereux. Il y a des solutions. Il faut absolument agir sur le logement social afin d'éviter ces situations qui nourrissent les discours de l'extrême droite. Je constate au contraire que la mixité, quand elle existe réellement, ne provoque pas de tensions mais les apaise : les gens vivent en paix. Par ailleurs, la lucidité consiste aussi à dire que les vagues migratoires ne vont pas s'arrêter, à cause notamment du réchauffement climatique. D'où l'urgence d'une vraie politique d'intégration.
Rejetez-vous le durcissement des règles contre les délinquants en situation irrégulière ?
Agir en responsabilité, c'est d'abord lutter sans merci contre les filières et les passeurs, ainsi que contre l'islamisme et son projet politique. Cela suppose notamment de restaurer nos relations diplomatiques avec l'Algérie et le Maroc, qui sont au point mort. Il faut également réfléchir à notre aide publique au développement. Tant que le déséquilibre Nord-Sud persistera, les gens fuiront la misère, les guerres, la sécheresse. Longtemps, la gauche n'a pas voulu voir ces sujets. Pour le reste, je vois que les préfets ont d'ores et déjà la possibilité d'agir contre les délinquants en situation irrégulière. Leur pouvoir discrétionnaire pourrait être beaucoup mieux employé.
La gauche reste discrète dans ce débat...
Elle a tort, parce que ses élus locaux connaissent parfaitement la réalité du terrain. Au quotidien, les élus socialistes dans les municipalités s'occupent des personnes sans solution, de celles et ceux qui ont fui les persécutions, des entreprises qui veulent des papiers pour leurs salariés, des classes qui doivent accueillir des élèves étrangers... C'est tellement facile d'aller défiler comme le fait l'extrême droite en disant « pas de ça chez nous ». Pour ma part je défends la fraternité.
La Nupes est-elle en état d'aborder la discussion parlementaire ?
Elle est morte depuis longtemps. Depuis un an et demi avec la Nupes, où la gauche a-t-elle progressé ? Nulle part. Qui a progressé ? Le RN. Le rassemblement de la gauche, de Ruffin à Cazeneuve, reste nécessaire pour affronter les échéances électorales de 2027. J'invite les Insoumis qui ne se retrouvent pas dans la ligne Mélenchon-Bompard-Panot à prendre leurs responsabilités. Finalement, c'est la direction de LFI qui applique la théorie des gauches irréconciliables : si on n'est pas d'accord avec eux, on n'est pas de gauche ! Je dis l'inverse : je n'ai pas d'adversaire à gauche.