![Martial Foucault, Directeur du CEVIPOF](https://static.latribune.fr/full_width/2375077/martial-foucault-directeur-du-cevipof-titulaire-de-la-chaire-outre-mer-a-sciences-po-paris.jpg)
LA TRIBUNE DIMANCHE - Depuis lundi, des émeutes embrasent Nouméa. Quelles sont les raisons de ces troubles ?
MARTIAL FOUCAULT - Le mouvement de contestation s'inscrit dans une histoire coloniale agitée entre le territoire calédonien et le gouvernement français. Nous avons tous en mémoire les événements des années 1980, qui ont eu pour point culminant le drame de la grotte d'Ouvéa en mai 1988 [qui avait causé la mort de 19 Kanaks et de deux membres des forces de l'ordre]. Les accords de Matignon, scellés par [le Premier ministre] Michel Rocard en juin 1988, suivis des accords de 1998, avaient défini un calendrier et un transfert de compétences pour que le territoire gagne en autonomie. Trois référendums étaient également prévus pour parvenir à l'autodétermination de la Nouvelle-Calédonie. Leur calendrier a été pour moi la première raison des colères. Le troisième référendum, organisé par le gouvernement pendant la période Covid, particulièrement critique en Nouvelle-Calédonie, a irrité les indépendantistes. Ensuite, il y a eu la nomination de Sonia Backès au gouvernement, lequel doit pourtant être un garant de neutralité. Or Sonia Backès est une actrice politique de premier plan en Nouvelle-Calédonie, représentante des loyalistes. Enfin, plus récemment, le dégel du corps électoral a mis le feu aux poudres. C'est une faute politique du gouvernement.
La crise économique et sociale a-t-elle joué un rôle catalyseur ?
En Nouvelle-Calédonie, les inégalités sont démultipliées par rapport à l'Hexagone. Les accords de Matignon avaient formulé une promesse de rattrapage des inégalités entre les communautés. Cette promesse n'a pas été complètement tenue. Aujourd'hui, pour beaucoup de jeunes Kanaks, il est encore difficile d'accéder à des biens de consommation comme l'ordinateur, la moto ou la voiture. Les inégalités sont toujours criantes. Ces tensions traduisent donc aussi un fossé économique.
Vendredi, Gérald Darmanin a accusé l'Azerbaïdjan d'ingérence. Une puissance étrangère peut-elle être à l'origine de ce mouvement ?
À ce stade, je n'ai aucun élément qui permette d'affirmer qu'une puissance étrangère mène une guerre de l'information sur le territoire calédonien ou qu'elle fournit des armes aux émeutiers. Je ne conteste pas ce qu'a pu dire Gérald Darmanin au sujet de l'Azerbaïdjan. Ce pays a saisi une fenêtre d'opportunité pour soutenir les indépendantistes. C'est une sorte d'effet collatéral de la politique française, qui défend l'Arménie contre l'Azerbaïdjan. Selon moi, en désignant l'Azerbaïdjan, on agite un peu le chiffon rouge pour détourner l'attention de ce qui se passe réellement en Nouvelle-Calédonie. En revanche, s'il y a bien un pays à avoir dans le radar, c'est la Chine, qui s'est repositionnée dans le Pacifique. Pékin peut regarder d'un œil aiguisé la Nouvelle-Calédonie, notamment la filière nickel, qui est en totale déliquescence et vit sous perfusion d'argent public de l'État français. La Chine peut saisir l'opportunité de l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie pour investir dans une ressource stratégique comme le nickel.
Interdire TikTok, un réseau chinois très utilisé sur le territoire calédonien, vous paraît être une bonne mesure ?
À mon sens, il est difficile de démontrer que TikTok est responsable de l'embrasement en cours sur l'île. Que se serait-il passé si TikTok avait été fermé il y a deux mois ? On ne le saura jamais. Il faut que cette mesure soit le plus provisoire possible.
Quel est le chemin à suivre pour calmer les tensions ?
On ne peut pas envisager de sortie de crise sans le retour à la paix voulu par le gouvernement. L'état d'urgence et l'envoi de forces de sécurité sont indispensables, car ce qui se joue en ce moment est dramatique. Il y a des morts, et des populations privées de besoins essentiels tels que se déplacer et accéder aux soins. Pour sortir de cette crise, il faudra dépayser une mission de dialogue. Ni l'Élysée, ni Matignon, ni Beauvau ne doivent être les acteurs en première ligne d'un accord politique à venir. Bien sûr, le dernier mot leur revient, mais je plaide pour confier ce dossier à des médiateurs qui en soient de fins connaisseurs. Ils devront assurer la neutralité de la République française. Pour cela, il serait bon de choisir des médiateurs qui n'ont pas d'agenda politique. Cette médiation devra définir les étapes du calendrier qui offrent des perspectives et rassurent les indépendantistes.