Pourquoi les comptes de la Sécu sont dans le rouge

Par Grégoire Normand  |   |  963  mots
Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), présenté lundi, anticipe un retour à l'équilibre seulement en 2023. (Crédits : Reuters)
Selon les chiffres du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2020 présentés par Bercy ce lundi à midi, le déficit de la sécurité sociale atteindra 5,4 milliards d'euros cette année et 5,1 milliards l'an prochain. Le ralentissement de la croissance économique et de moindres cotisations liées aux mesures d'urgence économiques et sociales ont contribué à plomber le modèle de financement de la protection sociale.

Le retour à l'équilibre n'est pas pour demain. Selon les chiffres communiqués par le ministère de l'Economie ce lundi 30 septembre, le déficit des comptes de la Sécurité sociale atteindrait 5,4 milliards d'euros en 2019 et 5,1 milliards d'euros en 2020, un niveau similaire à celui enregistré lors de l'arrivée au pouvoir d'Emmanuel Macron.

Outre le coup de frein de l'économie, les mesures d'urgence économiques et sociales comme la baisse de la contribution sociale générale (CSG) pour les retraités et la désocialisation des heures supplémentaires ont pu affaiblir les comptes de l'Etat-providence. Si le gouvernement a prévu de transférer une partie des recettes de la TVA pour compenser les pertes de la Sécurité sociale, c'est le modèle traditionnel de financement de la protection sociale par les cotisations qui est ébranlé.

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Les branches vieillesse et maladie dans le rouge

Les comptes des branches vieillesse et maladie plongent. D'après les estimations de l'administration, le solde de la branche maladie devrait passer de -700 millions d'euros en 2018 à -3 milliards en 2019 et en 2020. Dans la branche vieillesse, les comptes devraient passer de 200 millions d'euros en 2018 à -2,1 milliards en 2019 et -2,7 milliards en 2021.

À l'opposé, les soldes de la branche accidents du travail et de la branche famille sont dans le vert. Pour cette dernière, la balance budgétaire devrait rester largement positive passant de 500 millions d'euros en 2018 à 800 millions d'euros en 2019 et 700 millions d'euros en 2020. Pour la branche accidents du travail, le solde s'améliore franchement sur la même période passant de 700 millions d'euros en 2018 à 1,1 milliard en 2019 et 1,4 milliard d'euros en 2020. Au total ,le budget du regime général se creuse passant de 500 millions d'euros en 2018 à -3,1 milliards d'euros en 2019 et -3,8 milliards d'euros en 2020. À ce déficit s'ajoute celui du fonds de solidarité vieillesse avec -1,8 milliard en 2018, -5,4 milliards en 2019 et -5,1 milliards en 2020.

Des prévisions macroéconomiques trop ambitieuses

Alors que le gouvernement avait promis un retour à l'équilibre des comptes de la protection sociale, la conjoncture économique s'est fortement dégradée. Dans un document spécifique, les experts de la Sécurité sociale expliquaient que la projection de croissance du produit intérieur brut (PIB) associée au projet de loi de finances avait été fixée à 1,7%, celle de la masse salariale et donc des cotisations à 3,5% et de l'inflation hors tabac à 1,3%. Depuis, le gouvernement et la plupart des instituts de statistiques ont revu à la baisse leurs projections.

La banque de France a récemment dégradé ses prévisions à 1,3% pour 2019 et l'Insee devrait mettre à jour ses statistiques relatives au PIB le 3 octobre prochain. Dans un avis publié vendredi dernier, le haut conseil des finances publiques (HCFP) a indiqué que "les prévisions de croissance du gouvernement sont atteignables pour 2019 (+1,4%) et plausibles pour 2020 (+1,3%). Le HCFP souligne que cette prévision ne prend pas en compte l'éventualité d'un Brexit sans accord et ses conséquences sur l'économie française".

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Les mesures d'urgence économiques et sociales

Quelques semaines après le début des "gilets jaunes", le chef de l'Etat avait annoncé une batterie de mesures pour tenter d'éteindre la colère sociale. Dans le détail, plusieurs dispositifs ont directement eu des conséquences sur la comptabilité budgétaire de la protection sociale. Emmanuel Macron avait entre autres, annoncé l'avancement au premier janvier 2019 (au lieu du premier septembre 2019) de l'exonération de cotisations sociales sur les heures supplémentaires, la réduction de la CSG pour les retraités ayant une pension inférieure à 2.000 euros et une exonération de cotisations et contributions sociales sur les primes exceptionnelles versées par les entreprises avec un plafond fixé à 1.000 euros. Rien que le coût des deux premières mesures est estimé respectivement à 1,3 milliard d'euros et 1,5 milliard d'euros. Les débats des prochaines semaines vont principalement se focaliser sur la compensation ou non de ces dépenses par l'Etat. Si le gouvernement décide de ne pas respecter le principe général de compensation imposé par la loi Veil de 1994, les comptes de la Sécurité sociale pourraient à nouveau se détériorer.

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La prime exceptionnelle reconduite

Le dispositif de la prime exceptionnelle devrait être reconduit ont annoncé Bruno Le Maire et Gérald Darmanin lors de la présentation du projet de loi de finances 2020 à Bercy jeudi 26 septembre. Dans son dossier de presse, l'exécutif affirme que par cette décision, il veut "valoriser le travail". Selon les chiffres communiqués par Bercy, 7,2 millions de salariés du secteur privé ont réalisé plus de 475 millions d'heures supplémentaires. Le gain moyen de pouvoir d'achat a atteint 400 euros en moyenne. La reconduction de cette prime pourrait à nouveau plomber les comptes de la Sécurité sociale.

Les syndicats vent debout

Plusieurs syndicats ont immédiatement réagi à la publication de ces comptes. Dans un communiqué publié ce lundi, l'Unsa explique "le déficit attendu est identique à celui connu en 2017, soit -5,4 milliards d'euros. Pis encore, celui-ci devrait connaitre sensiblement la même trajectoire pour 2020 (-5,1 milliards d'euros). Ce coup d'arrêt brutal n'est pas dû aux comportements des assurés sociaux, mais bien aux choix budgétaires du gouvernement. En effet, suite à la crise des gilets jaunes, le gouvernement a pris différentes mesures en faveur du pouvoir d'achat (désocialisation des heures supplémentaires, baisse du taux de CSG pour une partie des retraités, ...) qui impactent les recettes de la Sécurité sociale".