C'est une note qui pourrait faire l'effet d'une bombe. Alors que le gouvernement peaufine la présentation de son projet de réforme des retraites prévue le 10 janvier prochain, France Stratégie, un organisme de réflexion rattaché à Matignon, a passé au scalpel l'évolution du pouvoir d'achat sur un échantillon de plus d'un million de personnes nées entre 1941 et 1980 durant la dernière décennie.
Résultat, le niveau de vie des Français a progressé de seulement 5,4% sur cette période, soit une moyenne de 0,6% par an.« La décennie 2010 se caractérise par un ralentissement de la progression du niveau de vie par rapport à la décennie précédente, » a déclaré Gautier Maigne, directeur du département Société et politiques sociales lors d'un point presse jeudi 5 janvier. Mais cette dynamique masque de fortes disparités selon les catégories d'âge.
Un recul de 200 euros par mois en moyenne chez les retraités
Les grands perdants sont les retraités et les personnes proches de la retraite. Ce sont les deux seules catégories à avoir enregistré un recul de leur niveau de vie entre 2010 et 2019, de l'ordre de 200 euros par mois en moyenne (-7%). Leur revenu est ainsi passé de 2.412 euros à 2.238 euros.
A l'opposé, les autres classes d'âge ont globalement connu une hausse de leur pouvoir d'achat. Sans surprise, les grands gagnants sont la tranche d'âge des 40-49 ans et des 50-54 ans. Cette catégorie correspond aux actifs qui ont parfois connu une progression de carrière.
Evolution sur dix ans du niveau de vie des individus regroupés par classe d'âge
Une baisse importante des revenus du patrimoine après la crise de 2008
La « grande récession » de 2008 a porté un coup de massue à l'économie européenne. Après la crise des « subprimes » aux Etats-Unis, l'onde de choc s'est propagée sur le Vieux continent provoquant une récession dans les pays du Sud et en France.
Après cette crise financière, la crise des dettes souveraines a laissé de profondes séquelles sur les économies en Europe. Ces différents chocs ont pesé lourdement sur le pouvoir d'achat des retraités. « Les plus âgés ont connu une évolution moins rapide sur la décennie 2010 que les personnes en milieu de vie, » a ajouté Gautier Maigne.
L'autre grand facteur avancé par les chercheurs est la baisse des revenus issus du patrimoine pour les retraités les plus riches. « Pour la génération retraitée, il y a un effet revenu du patrimoine. Cette génération a vu ses revenus fondre en raison de la baisse du rendement du capital. La baisse des taux d'intérêt a pesé sur les revenus de ces ménages, » a ajouté Clément Dherbécourt, chef de projet chez France Stratégie.
L'originalité de cette note est que la baisse du pouvoir d'achat des retraités ne s'explique pas principalement par la fiscalité, des effets de redistribution, ou une chute des pensions mais par une baisse des revenus issus de l'épargne des ménages. « La baisse des revenus du patrimoine, constatée quel que soit le niveau de revenu, a contribué en moyenne à une baisse de 6,5 % du niveau de vie au sein de la cohorte, » soulignent les auteurs de la note. Les augmentations d'impôt des années 2010-2014 ont été compensées par les baisses des années suivantes, ajoutent-ils.
Les 30-39 ans également frappés par le ralentissement de leur pouvoir d'achat
Les retraités ne sont pas les seuls à avoir payé un lourd tribut dans les années post-crise. Les jeunes actifs âgés de 30-39 ans ont enregistré une hausse de leur pouvoir d'achat de 7% entre 2010 et 2019, soit une moyenne de seulement 0,7% par an. Le niveau de vie moyen est ainsi passé de 2.076 euros à 2.222 euros sur cette décennie. Sans surprise, « l'arrivée des enfants va peser sur le niveau de vie des 30-39 ans », indique Clément Dherbécourt.
Dans leur étude, les économistes expliquent cette faible dynamique par les revenus issus de l'activité. Il faut dire que la croissance économique a été particulièrement atone sur une grande partie de la décennie 2010-2019. En revanche, la baisse du rendement du capital n'a quasiment pas eu de répercussions sur le pouvoir d'achat de cette catégorie. Ayant peu de patrimoine, ils sont logiquement moins touchés que les retraités les plus aisés.