À la veille du second tour de la présidentielle, la pression monte sur les deux candidats Macron et Le Pen. Après une campagne jugée atone par beaucoup d'observateurs, la dernière ligne droite s'annonce particulièrement serrée entre les deux prétendants à l'Elysée. Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont sillonné ces derniers jours la France à la recherche de votes avant le second tour prévu dimanche.
Même si la pandémie et la guerre en Ukraine ont jeté une ombre sur une grande partie de la campagne présidentielle, le choc énergétique a relancé tous les débats sur le coût de la vie pour les Français. "Tout le débat politique se fait autour du pouvoir d'achat. On a l'impression que l'élection va se jouer sur ce thème alors que le chiffrage, les prévisions de croissance, de déficit et de dette ont été évacués. On ne fait pas trop attention aux chiffrages des programmes et leurs conséquences sur les finances publiques", a déclaré Daniela Ordonez, cheffe Economiste France chez Oxford Economics lors d'un récent point presse. Pour le nouvel exécutif, les 100 premiers jours au pouvoir pourraient être très périlleux.
La croissance française se tasse, des embauches en baisse à prévoir
Après avoir culminé à 7% en 2021, la croissance économique risque de marquer le pas dans les prochains mois. La plupart des instituts de prévision ont dégradé récemment leurs chiffres de croissance du PIB pour 2022. Même s'il est encore difficile à ce stade de mesurer toutes les conséquences économiques de la guerre en Ukraine sur l'activité, le FMI a récemment dégradé sa prévision de croissance de 0,6 point en avril, passant de 3,5% à 2,9% pour 2022.
En janvier, les économistes du Fonds tablaient sur une croissance de 3,8%, soit un chiffre proche de celui du gouvernement. A ce rythme, les prévisions pourraient encore se dégrader, surtout que l'armée russe n'est pas prête de baisser les armes. La perspective d'une guerre à rallonge pesant sur l'activité se profile. Résultat, les embauches devraient être moins bonnes que prévu alors que le taux de chômage à la fin du quinquennat Macron avait baissé à 7,4% de la population active.
L'inflation risque d'entraîner des pertes de pouvoir d'achat et des inégalités
Après deux longues années de pandémie, l'invasion de l'armée russe à la fin du mois de février a ravivé des sentiments d'anxiété et d'exaspération chez un grand nombre de Français. Les derniers chiffres de l'inflation dévoilés par l'Insee vendredi dernier révèlent que l'indice des prix à la consommation a grimpé à 4,5% au mois de mars poussé par le choc énergétique et les prix de l'alimentaire. "Pour le prochain gouvernement, l'équation va être très compliquée. Il devra gérer les effets de cette inflation sur le pouvoir d'achat des ménages", souligne l'économiste de Ostrum Asset Management Philippe Waechter. "Comme aucun gouvernement ne veut rentrer dans des procédures d'indexation, il y a forcement des pertes de pouvoir d'achat et donc des inégalités qui vont augmenter", rappelle-t-il.
Sur ce point, la hausse des prix des carburants ces dernières semaines a accentué les disparités territoriales en France. Tous les ménages vivant dans des zones rurales et dépendant de la voiture se retrouvent de fait pénalisés par la hausse des prix des carburants. "Les dépenses sont extrêmement hétérogènes entre les déciles mais aussi à l'intérieur des déciles. Sans surprise, les ménages vivant en zone rurale subissent plus les effets que ceux vivant dans les villes. Les ménages du premier décile sont en partie compensés du choc inflationniste", avait déclaré l'économiste de l'OFCE, Raul Sampognaro, lors d'un récent point presse. Même si le gouvernement a mis en oeuvre plusieurs mesures comme la remise de 18 centimes sur les prix du carburant ou encore le chèque inflation, ces dispositifs non ciblés profitent à un grand nombre de ménages sans distinction.
Plusieurs travaux récents d'économistes ont montré que ces mesures pouvaient creuser le fossé entre les catégories de population alors que ceux en bas de l'échelle sont les plus exposés. En outre, "le prochain gouvernement aura à gérer la sortie du bouclier énergétique à la fin du mois de juin prochain. Il devra absolument éviter que la situation soit dramatique" ajoute Philippe Waechter. Programmé jusqu'au 30 juin prochain, ce dispositif a permis d'amortir la hausse des prix énergétiques sur de nombreux ménages.
La difficile volatilité des prix des denrées alimentaires et des matières premières agricoles
L'autre dossier sensible qui attend le prochain exécutif est la montée des prix dans l'alimentaire et les matières premières agricoles. En effet, la guerre en Ukraine a provoqué la flambée des prix des céréales comme le blé qui a directement des répercussions sur le prix des produits alimentaires de base. En France, l'indice des prix de l'alimentation s'est aussi accru, avec une hausse de 2,9% en mars, après 2,1% en février. Les produits frais connaissent en particulier un bond de 7,6% sur un an.
À l'inverse, les prix des produits manufacturés ont un peu ralenti (+2,1%, après +2,2% en février). "Ce qui va être compliqué pour le prochain gouvernement est la volatilité des prix des matières premières et des denrées agricoles. Ce sont des marchés ouverts avec des brokers ( des intermédiaires) qui font de la spéculation. Le prochain gouvernement va devoir anticiper", explique Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste chez BDO à La Tribune.
Un risque accru de tensions sociales
Le prochain gouvernement aura également la lourde tâche de juguler les fortes tensions sociales si l'inflation se poursuit dans les prochains mois. Déjà au cours de la campagne présidentielle, de nombreuses opérations escargots et blocages de dépôts de carburants ont eu lieu sur tout le territoire. La grogne pourrait s'amplifier à mesure que l'activité économique marque le pas. "L'inflation a généré des crises politiques tout au long du 20ème siècle. L'inflation a débouché sur des crises sociales dans beaucoup de pays", rappelle Anne-Sophie Alsif.
Déjà pendant la pandémie, l'OCDE avait alerté sur le risque d'explosion sociale dans les pays en développement en particulier déjà frappé par des années de marasme économique et de crises à répétition. En France, la situation est loin d'être aussi difficile. Il reste que la crise des gilets jaunes en 2018 et les multiples manifestations à l'encontre de la réforme des retraites ont montré que les tensions sociales étaient loin d'être apaisées sous la Macronie.
Une équation budgétaire périlleuse
L'inflation et le coup de frein de la croissance risquent également de compliquer l'équation budgétaire du prochain exécutif. Après les années de "quoi qu'il en coûte", le président candidat Macron a souvent répété qu'il voulait redresser la trajectoire des finances publiques en faisant reculer le déficit public en dessous de 3% d'ici 2027.
La persistance de l'inflation devrait amener le gouvernement à faire des rallonges budgétaires dans les mois à venir. Le prolongement de la crise sanitaire en fin d'année 2021 et l'éclatement du conflit ont sans cesse repoussé la sortie du "quoi qu'il en coûte" promis à plusieurs reprises par le ministre de l'Economie Bruno Le Maire.
L'annonce du plan de résilience à quelques semaines du premier tour de l'élection présidentielle n'a pas manqué de susciter des critiques chez les Républicains et des défenseurs de l'orthodoxie budgétaire. De son côté, les baisses de TVA sur les prix de l'énergie ou la suppression de taxe sur une sélection de produits alimentaire proposées par Marine Le Pen peinent à convaincre les économistes et les juristes. "Les baisses de taux de TVA ne fonctionnent pas. La proposition de Marine Le Pen sur la baisse de TVA ne sert à rien. Dans la restauration, la baisse de la TVA a été absorbée par les restaurateurs", souligne Philippe Waechter.
En outre, plusieurs études récentes ont montré que ces propositions étaient incompatibles avec les traités européens et obligeraient Marine Le Pen à engager un bras de fer avec les autorités bruxelloises sans avoir de grandes chances d'aboutir sauf si elle sort la France des traités. Ce qu'elle a pour l'instant exclu. Philippe Waechter estime "qu'il faudra réfléchir à des mécanismes de redistribution plus sophistiquées. La popularité du prochain gouvernement se jouera sur cette question. C'est une question très épineuse."