La Banque centrale européenne (BCE) a confirmé jeudi lors de la réunion de son conseil des gouverneurs sa volonté de resserrer sa politique monétaire, en cessant son programme de rachats d'actifs obligataires durant le troisième trimestre de cette année. D'ici là, elle réduira régulièrement ses achats nets d'obligations mensuels, de 40 milliards d'euros en avril, de 30 milliards d'euros en mai et de 20 milliards d'euros en juin, confirmant les plans antérieurs, indique le communiqué.
L'institution laisse donc pour le moment ses taux directeurs (0,5 %, 0% et -0,5%), inchangés depuis près de huit ans, alors que le taux d'inflation a atteint 7,5% en mars sur un an dans la zone euro, largement au-dessus de la cible des 2% que doit viser la BCE.
"Nous conserverons nos options, notre approche progressive et notre flexibilité dans la conduite de la politique monétaire", a argumenté la présidente de la BCE, Christine Lagarde, lors de sa conférence de presse. Elle a expliqué que l'arrêt des achats d'obligations pouvait intervenir à tout moment entre le début et la fin du troisième trimestre et que le moment auquel la BCE commencerait à relever les taux n'était pas fixé, précisant que le délai entre la fin des achats et la première hausse de taux pourrait aller "d'une semaine à plusieurs mois".
"Dans le contexte actuel, la complaisance de Christine Lagarde face au danger inflationniste imminent sape complètement la crédibilité de la BCE. Si la BCE ne peut même pas agir de manière décisive dans un contexte d'inflation record, elle a pratiquement renoncé à son mandat visant à la stabilité des prix", a critiqué le député européen conservateur, l'allemand Markus Ferber, membre de la commission des Affaires économiques et monétaires.
Persistance des perturbations dans les chaînes d'approvisionnement
Cette prudence est justifiée par la guerre en Ukraine qui a débuté le 24 février dernier avec l'invasion russe. L'approvisionnement énergétique en Europe, qui dépend en large partie de la Russie, est perturbé par les sanctions imposées par l'Occident à Moscou qui a fait monter notamment les prix du pétrole. Cette guerre non seulement alimente l'inflation mais menace aussi de ralentir la croissance économique en Europe, en pesant sur la confiance des ménages et des entreprises. Elle contribue également à perturber les chaînes d'approvisionnement mondiales de biens intermédiaires, déjà sous tension, dont ont besoin les entreprises du Vieux continent pour fonctionner au rythme d'avant la pandémie.
"S'il est compréhensible que Christine Lagarde ait évité de s'engager sur la voie d'une normalisation de la politique monétaire au vu des vents contraires qui pèsent actuellement sur la demande des consommateurs et la confiance des entreprises en Europe, le risque évident est, bien sûr, que la BCE prenne encore plus de retard, ce qui pourrait la contraindre à agir encore plus énergiquement dans le courant de l'année si l'inflation continue de régner en maître", avertit Wolfgang Bauer, gérant obligataire chez M&G Investments.
L'équation à résoudre entre soutien à la croissance et nécessité de freiner l'inflation pour la BCE relève du casse-tête. Selon la dernière estimation de l'agence Fitch, la croissance ne devrait être plus que de 3% cette année contre 4,5% estimés précédemment, et l'inflation devrait s'afficher en moyenne à 5 % cette année.
La BCE à rebours des autres banques centrales
La démarche de la BCE qui a racheté pour près de 5.000 milliards d'euros de dette publique et privée depuis 2014 dans le cadre de sa stratégie d'"assouplissement quantitatif", continue à être à rebours des autres institutions monétaires.
Les principales banques centrales, y compris la Réserve fédérale, ont d'ores et déjà enclenché le cycle de hausses de taux d'intérêt le plus agressif depuis des décennies, avec des implications considérables pour les prix des actifs mondiaux. Les banques centrales du Canada et de la Nouvelle-Zélande ont annoncé mercredi des hausses de taux de 0,5 point de pourcentage . Quant à la Fed, ses responsables ont voté le mois dernier une augmentation le taux de référence des fonds fédéraux d'un quart de point de pourcentage, qui évoluent désormais dans une fourchette comprise entre 0,25% et 0,5%. Six autres augmentations d'ici la fin de l'année sont prévues, ce qui constituera le rythme de hausse des taux le plus agressif en plus de 15 ans.