
Tant pis, si le Medef n'est pas content. Alors que le patronat freine des quatre fers, les entreprises n'échapperont pas à un « index » sur l'emploi des seniors, sur le modèle de celui mis en place en 2019 pour favoriser l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Visant à favoriser le maintien des séniors en emploi, le système obligerait les entreprises à renseigner l'accès à la formation des plus de 55 ans, ainsi que leur mobilité professionnelle, ou encore les aménagements du temps de travail possible. Il s'agirait d'un dispositif qui évaluerait comment l'entreprise prépare ses seniors à la dernière partie de leur carrière. Selon le gouvernement, il devra tout à la fois traiter la question de l'embauche mais aussi des déroulements de parcours professionnels des seniors.
Selon les informations de la Tribune, Elisabeth Borne a décidé de passer par la méthode forte. « Assez discuté, il nous faut des indicateurs fiables, nous allons imposer aux entreprises l'index senior », assure-t-on à Matignon. Ce nouveau dispositif sera mis en place dans le cadre de la réforme des retraites, qui sera présentée le 10 janvier prochain.
L'emploi des seniors, l'angle mort de la réforme
Alors qu'il prévoit de repousser l'âge de départ à 64 ou 65 ans dans le privé, l'exécutif a conscience que le maintien des seniors dans l'emploi constitue l'un des angles morts de sa réforme.
La France a certes fait des progrès ces dernières années en la matière, mais elle reste néanmoins très en retard par rapport à ses voisins européens. Le taux d'emploi des 55- 64 ans atteint, en effet, 56 % aujourd'hui dans l'Hexagone - contre 29 % à la fin des années 90. Soit trois points de moins que la moyenne européenne. Et il comporte d'importantes disparités : ainsi, le taux d'emploi des 55-59 ans est de 75 %, mais après 60 ans, il décroît très brutalement à 35,5 %, selon la Dares. Entre 65 et 69 ans, à peine plus de 8,5% des personnes travaillent encore.
Surtout, l'âge reste le facteur numéro un de discrimination dans le retour à l'emploi. Insupportable alors que l'Hexagone connaît de telles tensions de recrutement. « On l'a vu, et cela nous a profondément choqué, lors de la crise Covid, les grandes entreprises ont fait des plans de sauvegarde de l'emploi, en faisant partir les plus de 55 ans, ce n'est plus admissible », s'agace l'entourage de la Première ministre.
Selon Matignon, les entreprises doivent donc négocier des mesures de recrutement, mais aussi de maintien dans l'emploi des quinquagénaires. Mais si les représentants des organisations patronales reconnaissent qu'ils peuvent mieux faire, ils refusent tout dispositif contraignant. Geoffroy Roux de Bézieux, le patron du Medef a souvent expliqué être opposé à « un pourcentage minimal de seniors dans les entreprises, car cela n'a aucun sens dans les startups par exemple ».
Les employeurs assurent aussi qu'ils ne sont pas les seuls responsables du faible taux d'emploi des plus âgés en France. Par conséquent, ils ne veulent pas être les seuls à porter le chapeau.
La complicité des syndicats pour faire partir les plus âgés
Une sorte d'hypocrisie partagée que reconnaissent volontiers les services de la Première ministre : « Quand les entreprises négocient des dispositifs de maintien dans l'emploi des plus âgés, elles se trouvent souvent face à des syndicats de salariés qui, souvent, encouragent les départs des personnes en fin de carrière. Car les actifs eux-mêmes ont envie de prendre un chèque et de partir plus tôt. »
Autrement dit, si le patronat est fautif, il n'est pas le seul à devoir faire évoluer les mentalités. Les syndicats de salariés sont donc invités, selon Matignon, à voir les choses autrement. Reste que dans la société, certains préjugés ont la vie dure : les seniors prennent l'emploi des jeunes, ou encore, les plus vieux sont moins productifs au travail etc...
Mais si Matignon entend finalement imposer l'index senior aux entreprises, c'est pour répondre - en partie - aux critiques de certaines centrales, au premier rang desquelles la CFDT. En effet, Laurent Berger, le chef de file du syndicat réformiste, est violemment monté au créneau alors que la durée, mais aussi le montant d'indemnisation des chômeurs les plus âgés, promet d'être réduite avec la réforme de l'Assurance chômage qui entrera en vigueur le 1er février prochain : « Je note que la contrainte, c'est toujours pour les travailleurs, alors que l'incitation 'soft' c'est pour les entreprises. »
Au regard des difficultés à trouver ou rester en emploi après 60 ans, les syndicats ont fait valoir à de nombreuses reprises que le report de de l'âge de départ à la retraite à 64 ou 65 ans allait générer de la casse sociale. Pour en finir avec ces habitudes, l'index senior serait donc un premier instrument.
Les limites d'un tel outil
Reste à voir si toutes les sociétés seraient concernées, il est probable que les moins de 50 salariés en soient exclus. Par ailleurs, quid des sanctions ? Y en aura-t-il ? Et sous quelles formes ? Des amendes financières ? La publication de tous les noms des mauvais élèves et des entreprises qui jouent la carte du « jeunisme », selon la pratique du "name & shame" qui fait parfois si peur aux sociétés soucieuses de leur réputation ?
Enfin, si l'ANDRH, l'Association des directeurs des ressources humaines se dit favorable à la création d'un index senior, elle alerte aussi : « Attention, trop d'index risquent de tuer l'index.» Autrement dit, à trop multiplier ces indicateurs dans les entreprises, plus aucun ne sera vraiment efficace.
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