
La grève SNCF des contrôleurs, qui a empêché de nombreux voyageurs d'avoir leur train et de passer Noël en famille, a donné des sueurs froides au plus haut niveau de l'Etat. « Et si c'était ça qui nous attendait en 2023 », confie, inquiet, un conseiller ministériel.
Derrière le « ça », il faut entendre des mouvements spontanés, radicaux, qui échappent aux structures habituelles comme les syndicats et trouvent écho du ras-le-bol sur les réseaux sociaux... Pour calmer la grogne sociale, et éviter la contagion, la SNCF a d'ailleurs rapidement lâché du lest aux contrôleurs qui débrayaient. La compagnie ferroviaire a aussi promis d'importantes compensations aux clients lésés. Pas question de prendre le risque d'un embrasement en cette fin d'année.
Certes, le conflit s'est arrêté, et le trafic ferroviaire est en partie revenu à la normale. Les festivités du Nouvel an sont sauvées. Mais le gouvernement reste sur le qui-vive. Car dans la « macronie », ce conflit a ravivé le traumatisme du mouvement des Gilets Jaunes. « Souvenez-vous, poursuit ce conseiller ministériel, c'était parti de pages Facebook... Les Français appelaient à se regrouper sur les ronds-points après une hausse de la TVA sur le carburant... On connait la suite... »
Crainte de mouvements d'usagers
La macronie regarde avec attention, par exemple, cet appel à la grève des billets lancés par des voyageurs réguliers de la ligne TGV Tours-Paris. Pour protester contre les débrayages récurrents de la SNCF, ces clients - qui paient entre 500 et 600 euros par mois leurs trajets - incitent les utilisateurs des trains à ne pas acheter de titre de transports en janvier. Leur objectif : faire pression sur la direction de la SNCF pour être dédommagés. Mais aussi faire en sorte que leur mouvement fasse tâche d'huile.
Difficile de dire si cette initiative trouvera un écho, mais il ne faut pas sous-estimer ce ras-le-bol des usagers. Surtout qu'à partir du 10 janvier, la SNCF va augmenter ses tarifs de 5 % en moyenne.
Le gouvernement craint que dans d'autres secteurs, les usagers n'embrayent sur une grève des factures. Au Royaume Uni, le mouvement « Don't pay », incitant les Britannique à ne pas régler leur note d'électricité et de gaz, à cause de l'envolée des tarifs, est suivi par des milliers de personnes. Idem en Italie... « Jusqu'à présent, en France, le gouvernement a toutefois préservé les ménages des hausses de prix, note Jérôme Fourquet, directeur du département opinion et stratégie de l'IFOP. Mais on n'est pas à l'abri d'un débordement, par exemple, venu d'un petit patron, d'un boulanger, qui met la clef sous la porte parce qu'il ne parvient plus à payer sa facture... et qui émeut le pays ».
En 2023, plusieurs aides du gouvernement réduites
Certes, en France, l'inflation reste plus contenue que chez nos voisins européens. Mais en 2023, les ménages vont voir leur pouvoir d'achat se réduire. Et ce, alors même qu'aujourd'hui, un tiers des Français déclare joindre difficilement les deux bouts.
Dès samedi 31 décembre à minuit, la ristourne à la pompe - 10 centimes d'euros par litre - est arrêtée. Un dispositif de 100 euros pour les travailleurs les plus modestes, dépendant de leur voiture pour leur activité, prendra le relais. Mais cette aide sera distribuée en fonction des revenus, et il faudra en faire la demande sur le site des finances publiques. Ce sera donc nettement moins avantageux.
Douloureuse aussi pour le porte-monnaie, la réduction du bouclier tarifaire sur le gaz et l'électricité... Dès dimanche, les tarifs du gaz ne seront plus gelés et pourront enregistrer jusqu'à 15 % de hausse. Ce qui, sur les factures, se traduira par des augmentations de quelques centimes à une vingtaine d'euros par mois, selon les usages.
Pour l'électricité, la fin du plafond à 4 % de hausse aura lieu le 1er février, pour passer, là aussi, à 15 %. Par ailleurs, les notes vont encore s'alourdir lors des passages en caisses au supermarché. Il y a l'alimentation mais aussi les transports - par exemple, à la RATP, le pass navigo va passer de 75 euros à plus de 84 euros -, les différents services, comme les mutuelles etc. Le coût de la vie va donc continuer à augmenter en France.
Le gouvernement promet de protéger les Français, mais en ciblant mieux son soutien sur les plus démunis. Tout en essayant de sortir du « quoi qu'il en coûte », il distribue des chèques (fioul, bois, etc. ) aux ménages les plus modestes pour les aider à boucler leurs fins de mois.
L'inflation, premier sujet de tension sociale pour 2023
Et pour cause, s'il est aussi volontariste, c'est que tous les analystes des sondages s'accordent : aujourd'hui, le pouvoir d'achat est largement en tête des préoccupations des Français. « Et ce, alors qu'il y a encore quelques temps, c'était le chômage et l'emploi », rappelle ainsi Jérôme Fourquet, directeur à l'IFOP. Et de noter aussi que la conflictualité en entreprises a augmenté en 2022 autour des questions de salaire. Avec une hausse de l'inflation qui va se poursuivre en 2023 - l'Insee table sur 7 % au premier trimestre -, ces tensions risquent de perdurer, surtout que les négociations obligatoires vont se tenir dans les sociétés.
Elles vont mettre au défi les syndicats d'obtenir des résultats. Affaiblis, ces derniers parviendront-ils à avoir les revalorisations attendues pour les salariés ? Pas si sûr. De quoi alimenter, dans ce cas aussi, la grogne sociale.
La réforme des retraites, sujet politique de conflit
En outre, pour Jérome Fourquet, de l'IFOP, observateur aiguisé de la société française, le risque en 2023 d'un conflit autour de la réforme des retraites ne doit pas être minimisé. « Car c'est un sujet politique par excellence, que vont exploiter les partis... mais aussi parce que tous les syndicats sont très opposés à cette réforme... et qu'enfin, plus des 2/3 des Français se disent clairement contre », avertit-il.
Pourtant, malgré ce contexte sensible, Emmanuel Macron en a fait un point d'honneur. Cette reforme sera présentée le 10 janvier prochain, pour une application rapide, dès l'été 2023. L'entourage du président répète "qu'il n'y a jamais de bon moment pour réformer le pays."
« Tout dépendra, aussi, de là où il mettra le curseur : il y a une différence de 15 points de mécontentements entre un décalage de l'âge de départ à 65 ou à 64 ans, souligne encore Jérome Fourquet. Une chose est sûre : la retraite est perçue comme un acquis social à préserver dans un moment où le sentiment de déclassement de la société française est très fort. »
Selon le politologue, « après le Covid, et face à des incertitudes géopolitiques, climatiques, la guerre, etc., la société française est très fatiguée, et elle observe, impuissante les services publics se dégrader que ce soit à l'hôpital, à l'école, dans les transports... »
Reste à voir si en 2023, cette lassitude en restera à de la résignation silencieuse. Ou si à la faveur d'une étincelle - qu'aujourd'hui, personne ne peut prévoir -, un important mouvement social éclatera. Emmanuel Macron est, en tout cas, prêt à prendre le risque de le déclencher.
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