Relocalisations : l'impossible retour des emplois perdus

Relocaliser pour réindustrialiser la France: malgré le volontarisme du gouvernement, ce ne sera possible que dans les secteurs robotisables et ne créera pas d'emplois massivement, selon des économistes. Il s'agira plutôt d'une transformation des emplois avec des compétences techniques plus poussées.
(Crédits : Sipa)

Bridgestone, Zodiac, Airbus,....la pandémie a provoqué de terribles remous sur le front de l'emploi. La récession a plongé un grand nombre de secteurs dans de grandes difficultés. Dans ce contexte, les débats sur la relocalisation des sites industriels ont pris de l'ampleur.  "La France a de vraies capacités d'avoir des relocalisations industrielles", déclarait à la mi-septembre le ministre de l'Économie Bruno le Maire à l'occasion de la tenue d'un Conseil national de l'industrie.

Depuis la crise financière de 2008, la question du "made in France" revient régulièrement sur la table. Car "la France a été le pays européen qui a le plus délocalisé" avec un million d'emplois industriels perdus entre 2000 et 2016, a rappelé le 12 septembre lors des Rencontres économiques d'Aix-en-Provence la ministre déléguée à l'Industrie Agnès Pannier-Runacher.

Une désindustrialisation généralement mise sur le compte d'un coût du travail trop élevé, de la difficulté à licencier, d'une fiscalité trop lourde ou d'une trop grande complexité administrative.

Aussi le gouvernement a-t-il prévu dans son plan de relance des aides à la modernisation et à la localisation, mais celles-ci devront être "soutenables économiquement" pour ne pas financer des projets à perte, affirme la ministre.

"Candidats naturels"

Toutefois, "la réindustrialisation n'est pas une solution à la crise" immédiate, même si elle "peut être une solution à des problèmes plus fondamentaux de l'économie française", tempère Vincent Vicard, spécialiste de la compétitivité française au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii).

Il relève que "dans tous les pays riches, l'industrie est un secteur en diminution en termes d'emplois parce qu'il a des gains de productivité plus élevés que le reste de l'économie, notamment du fait de l'automatisation qui est importante".

Pour El Mouhoub Mouhoud, professeur d'économie à Paris-Dauphine, il n'est pas toujours nécessaire de distribuer des aides publiques.

"Il y a des secteurs qui sont candidats naturels à la relocalisation ou à la non-délocalisation, indépendamment des aides de l'État, et pour lesquels ce n'est pas la peine de gaspiller de l'argent public en direction des entreprises", selon lui.

Il s'agit des secteurs "pour lesquels il n'y a pas d'obstacle technique à la robotisation des chaînes d'assemblage et de montage", par exemple l'automobile, la mécanique, y compris le bois, l'ameublement", détaille l'économiste.

Au contraire, des industries intenses en main d'œuvre et dont les tâches ne sont pas robotisables ne reviendront pas en France. "On va recréer des emplois, mais pas ceux qu'on a perdus en délocalisant", résume M. Mouhoud, auteur d'un livre intitulé "Mondialisation et délocalisation des entreprises" (éd. La Découverte).

Il existe "des secteurs sur lesquels on avait un savoir-faire qu'on a plus du tout parce que les technologies ont évolué" comme celui des écrans pour téléviseurs, relève pour sa part Paul-Adrien Hyppolite, auteur d'un récent fascicule intitulé "Relocaliser la production après la pandémie?"

Dans l'électronique notamment, "les parts de marché ont été gagnées par des géants asiatiques. Faire produire par un producteur français ou européen ne serait pas du tout envisageable", argue-t-il, mais "on pourrait envisager d'attirer en Europe des producteurs asiatiques qui sont en pointe sur ces technologies" comme le font les Américains avec une usine du géant taïwanais de la sous-traitance Foxconn dans le Wisconsin.

Cibler les aides

Pour M. Mouhoud, ce qui fait sens en matière d'aides publiques, c'est "la politique d'investissement dans l'innovation, d'aide à la recherche, parce que ça aide aussi ces entreprises à devenir plus efficaces si on diffuse les aides vers les territoires et les travailleurs qualifiés pour les former davantage".

Dans l'industrie, les coûts du travail ne sont pas déterminants et "ne permettent absolument pas d'expliquer la différence entre la France et l'Allemagne" même si on intègre le poids de la fiscalité, estime pour sa part M. Vicard, pour lequel entrent davantage en considération des questions d'organisation comme le choix de nombreux grands groupes français de produire à l'étranger plutôt qu'en France.

Des études outre-Rhin montrent que le fait que la moitié des membres des conseils de surveillance sont des représentants du personnel dans les grands groupes allemands "a tendance à réduire l'externalisation, à réduire les délocalisations", selon cet économiste.

En France, les aides pour réduire le coût du travail ont jusqu'ici été inefficaces. Une étude que vient de publier France Stratégie, une agence qui conseille le gouvernement, montre que le Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), a coûté en 2016 quelque 18 milliards pour créer seulement 100.000 emplois, soit 180.000 euros par poste. Et le CICE a eu "un impact sur les exportations et l'investissement nul", toujours selon M. Vicard.

Commentaires 17
à écrit le 23/09/2020 à 16:04
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ma réponse est si difficile a produire?

à écrit le 23/09/2020 à 13:27
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On veut nous "relocaliser" tout ce qui sera inutile dans un proche avenir! Encore des subventions et désillusions a la clef!

à écrit le 23/09/2020 à 12:09
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1 - "Impossible" n'est pas français 2 - toujours ce défaitisme de nos pseudo-élites, et ce mépris très petit bourgeois pour l'industrie : le travail manuel, c'est salissant 3 - il n'y a que l'industrie pour fabriquer de la richesse : la France s'es...

à écrit le 23/09/2020 à 9:14
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Avec les singeries des politiques autour de la fermeture de bridgestone , c'est vrai que la première envie d'une société est de vouloir ouvrir une usine en France!

à écrit le 23/09/2020 à 4:51
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La relocalisation incertaine ? Dans le contexte de la mondialisation et de l'ultra-libéralisme, c'est effectivement une mission impossible. Mais c'est aussi oublier que nous ne sommes plus maître de nos frontières et de nos décisions. Alors ??? ...

à écrit le 22/09/2020 à 21:15
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d'une transformation des emplois avec des compétences techniques plus poussées. En clair : Uniquement du télétravail , vidéoconférence, IA , l’avenir à distance et sans contact et sans humains pour enrichir les 1% de privilégiés mondiaux.

à écrit le 22/09/2020 à 19:46
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Bayrou ? un littéraire, Macron ? un entremetteur en affaires... Que comprennent ils à l'industrie et aux nouvelles technologies ? La plupart inventées, conçues, élaborées hors de France en plus...

à écrit le 22/09/2020 à 19:21
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Concernant le CICE, il faudrait peut-être rajouter les emplois maintenus menacés de disparition dt on a évité la délocalisation, en plus des emplois créés. Relocaliser l'industrie ne sera véritablement profitable collectivement que si la production ...

le 23/09/2020 à 14:57
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Aucune des études réalisées sur l'impacts sur le CICE sont valables, les équations ne sont pas assez fournies ni assez nombreuses. Le CICE a été utilisé différemment selon les entreprises et selon les années. Il a notamment été utilisé pour rehauss...

à écrit le 22/09/2020 à 17:57
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Le fait que nous importions de la main d'oeuvre sous-qualifiée pose aussi un grave problème. Comment allons-nous pouvoir les intégrer ? La formation au poste n'est pas envisageable à court terme car le personnel pour les former est déjà en tension. L...

à écrit le 22/09/2020 à 17:07
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le COVID A BON DOS !!!!!!!! POUR relocaliser il faut baisser les charges donc baisser le train de vie de l'etat qui fait tout le contraire ; ex les 15 millions pour acheter BAYROU et ces 100 collaborateurs ,la hausse sur salaires de 70 % dans les ...

à écrit le 22/09/2020 à 14:58
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France Stratégie : des très hauts fonctionnaires technocrates et financiers pour gérer des conseils principalement orientés pour satisfaire le social, donc tempérer la gauche ! Des doutes sur leurs compétences à comprendre les industries, la recherc...

à écrit le 22/09/2020 à 14:49
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Ayant fait un plan social sur des produits d'avenir, si les "décideurs" avaient tant de compréhension que cela, nous n'en serions pas la ! Comme souvent ils sont dépositaires d'actions, le court termisme et le manque de vision fait que l'on en es...

à écrit le 22/09/2020 à 14:39
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En France on aime les choses complexes, jamais les choses simples. Au lieu du CICE, il aurait mieux valu baisser directement les taux d'impôts pour une plus grande lisibilité. On a préféré un mécanisme alambiqué comme sait très bien faire l'administr...

le 22/09/2020 à 15:40
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En France, dès lors qu'on fait confiance aux entreprises, elles ne jouent pas le jeu. Voir la baisse de la TVA dans la restauration, qui s'était engagée à embaucher et baisser les prix. Ils en rigolent encore. Et cela vaut pour tout. Le problème, ce ...

à écrit le 22/09/2020 à 13:18
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"le Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), a coûté en 2016 quelque 18 milliards pour créer seulement 100.000 emplois" Mais bon sang ils font quoi de tout ce fric ?!

le 22/09/2020 à 14:29
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Ils le versent aux actionnaires, non ? Les moyens consacrés à la recherche (souvent réduits) sont annulés vu que le CICE va apporter cet argent, gentiment, pourquoi dépenser ? Réduire des charges en pensant que ça va ruisseler c'est souvent vain, i...

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