Emmanuel Macron fait un pari osé : pour l'emporter sur Marine Le Pen, il lui faut rallier des voix de gauche, et notamment une partie des 22 % de votes exprimés en faveur de Jean Luc Mélenchon. Le candidat sait aussi que la réforme la plus clivante concerne celle qu'il appelle "la mère de toutes les réformes", les retraites.
Et l'âge de départ qu'il a proposé pendant toute la campagne, fixé à 65 ans est un marqueur, un chiffon rouge, un repoussoir pour les électeurs de gauche. C'était notamment l'âge de départ inscrit dans le programme de Valérie Pécresse, la candidate des LR.
Un infléchissement politiquement périlleux
D'où cet infléchissement d'Emmanuel Macron, qui évoque désormais, plutôt un décalage progressif pour parvenir à 64 ans, à la fin du quinquennat. Le candidat se dit prêt à faire évoluer le rythme et les bornes de sa réforme. "Je suis prêt à faire une réforme qui ne va pas jusqu'à 2030, si on sent trop d'angoisse chez les gens". Et d'envisager une "clause de revoyure" en 2027, pourquoi pas un référendum.
C'est un pari politique. Car même à 64 ans, la proposition d'Emmanuel Macron reste loin de celle portée par Jean-Luc Mélenchon qui voulait revenir à la retraite à 60 ans. Loin aussi des propositions d'Anne Hidalgo ou de Yannick Jadot qui ne changeaient pas le système actuel.
Avec cette volte-face, Emmanuel Macron prend le risque de décevoir les sympathisants de droite, favorables à une réforme plus dure. Il peut donner le sentiment d'être opportuniste, peu fiable, fluctuant, et faire fuir des troupes y compris dans son camp. Certains lui reprocheront de faire du "Hollande", en référence à François Hollande qui avait dû mal à trancher.
Une nécessité économique
Reste que si Emmanuel Macron veut décaler l'âge légal, c'est aussi pour rééquilibrer financièrement un système, "un trésor", selon ses termes, et ne pas "laisser à nos enfants", le poids d'une dette trop lourde. Aujourd'hui, le système général des retraites est loin d'être à l'équilibre. Après un déficit de 13 milliards d'euros en 2020 à cause de la pandémie, les comptes se sont un peu améliorés avec la reprise - meilleure que prévue -, mais le déficit reste au moins à 2,5 milliards d'euros.
Tout dépendra aussi des prochaines estimations du Conseil d'orientation des retraites, le COR, publiées jeudi. Selon le Figaro, qui a eu accès aux documents de travail en amont, le déficit des retraites devrait continuer à se creuser pour les années à venir. Dans le pire des cas, jusqu'à 0,8% du PIB d'ici 50 ans. Ce qui signifie devoir trouver entre 30 et 40 milliards d'euros.
Quoi qu'il en soit, étant donné la démographie, ce sont surtout les 10 années à venir qui sont délicates en termes budgétaire. Car le système doit prendre en charge les pensions des baby-boomers, alors que les générations des jeunes nés dans les années 2000 ne sont pas encore totalement insérées sur le marché du travail et donc ne cotisent pas.
Outre la remise à flot du régime, le clan d'Emmanuel Macron ne cache pas aussi son intention de retrouver des marges budgétaires pour financer d'autres pans de notre modèle social, et notamment la dépendance et la perte d'autonomie des plus âgés. Les besoins, en la matière, sont estimés à 10 milliards d'euros par an.
Marine Le Pen revient à 60 ans dans certains cas
De son côté, Marine Le Pen, elle, dénonce "la manoeuvre". Et de fustiger le changement de pied de son compétiteur sur le sujet : "entre 64 et 65 ans, c'est tout aussi terrible, c'est tout aussi injuste", a-t-elle commenté ce matin. "En réalité, la retraite à 65 ans, il ira au bout car c'est son obsession".
Après avoir proposé une réforme à 60 ans pour tous, la candidate du Rassemblement national a, elle, aussi revu sa copie, en février dernier. Pour être plus réaliste face aux contraintes budgétaires, elle a finalement opté pour un système progressif, en fonction de l'âge d'entrée sur le marché du travail. Autrement dit, ne bénéficieront d'un départ à 60 ans que les Français qui ont commencé à travailler tôt, avant 20 ans. Les autres partiront plus tard.