Retraites : Emmanuel Macron invente le crash test politique

POLITISCOPE. La réponse d'Emmanuel Macron aux syndicats amplifie la colère de ces derniers, qui la compare au "bras d'honneur" de son ministre de la Justice. Droit dans ses bottes, le chef de l'Etat la joue "Juppé" 1995 et renvoie au vote du Parlement, en CMP mercredi prochain. Selon l'Elysée, il n'y a plus rien à négocier après les concessions déjà accordées. Reste donc à attendre le verdict au Parlement, alors que la majorité sur la réforme demeure introuvable et incertaine, pour ne pas dire "ric-rac". Attention à la motion de censure, portée une alliance de députés modérés, car elle pourrait bien rassembler une majorité d'opposants, comme il y a une majorité de Français opposés aux 64 ans. Ce qui sonnerait la fin du gouvernement Borne voire ouvrirait la voie à une dissolution.
Marc Endeweld
(Crédits : Reuters)

Une fin de non recevoir. Emmanuel Macron a décidé de ne pas recevoir les organisations syndicales avant la fin du « travail parlementaire » concernant le texte de son projet sur les retraites. La réponse du chef de l'État a été transmise vendredi via une lettre aux huit syndicats et cinq organisations de jeunesse qui lui avaient écrit un jour plus tôt pour dénoncer « l'absence de réponse » tant du chef de l'Etat que du gouvernement face aux « mobilisations massives ».

Dans sa missive, le président Macron reste droit dans ses bottes et estime ainsi que le temps de la concertation avec les syndicats est passé. Peu importe si les syndicats ont réussi à mettre dans la rue des centaines de milliers de personnes au cours des 7 journées de mobilisation depuis janvier : « Le gouvernement a travaillé pendant plusieurs mois avec l'ensemble des partenaires sociaux et des groupes parlementaires pour élaborer un projet de loi qui tienne compte de ces discussions. Suite à ces concertations (...) de nombreuses évolutions ont été apportées au projet initial », écrit Emmanuel Macron, prenant pour exemple son renoncement à porter l'âge légal de départ à 65 ans... Autant dire : il n'y a plus rien à négocier.

Vendredi, cette lettre n'a pas été la seule prise de position du président.  L'après-midi, lors d'une conférence de presse commune avec le premier ministre britannique, Rishi Sunak, à Paris, Emmanuel Macron a déclaré que son projet devait aller à son « terme » au Parlement, alors que les oppositions dénoncent un « passage en force » avec l'usage de l'article 44.3 au Sénat, qui permet au gouvernement de procéder à un vote bloqué sur son texte. Résultat, alors que de nouvelles mobilisations se profilent et que les syndicats appellent à des grèves reconductibles dans plusieurs secteurs de l'économie, aucun rendez-vous n'est pour le moment programmé entre l'exécutif et les organisations syndicales, même si Matignon a fait savoir aux journalistes que tout était « ouvert ».

Du côté des syndicats, ce mépris présidentiel (qui ressemble à l'indifférence du président à l'égard des élus locaux avant que l'épisode des gilets jaunes ne surviennent à la fin de 2018), est bien évidement très mal perçu. Et notamment par les syndicats considérés habituellement comme les plus « modérés » et les plus conciliants : « Il est dans la négation de la réalité », juge François Hommeril, président de la CFE-CGC. Il est rejoint par Laurent Escure, secrétaire général de l'UNSA : « C'est un peu "Circulez, il n'y a rien à voir", et c'est très grave. Il semble déconnecté de la réalité du pays ». Et leur collègue de la CFTC, Cyril Chabanier, semble dépité : « Ce courrier est un peu hors-sol : il n'apporte même pas de réponse claire à notre demande d'être reçus à l'Elysée. On doit en déduire que c'est non ».

Négation de la réalité ?

Négation de la réalité ? À la lecture de la lettre présidentielle, ce jugement peut sembler pertinent. Le président estime en effet que son projet, un « choix clair » qui imposera aux Français « de travailler un peu plus longtemps » se fera « en épargnant les plus fragiles ». Drôle de manière de s'adresser aux organisations syndicales qui ont pourtant largement réussi à démontrer les multiples mensonges du gouvernement à ce sujet; notamment concernant les 1200 euros minimum de retraite promis pour les petites retraites qui ne concerneront au mieux qu'entre 10 000 et 20 000 personnes. Une disposition cosmétique donc, un gadget d'« élément de langage » qui a provoqué un véritable accident industriel de communication pour l'exécutif.

Au-delà du contenu du projet, le déni de réalité présidentiel concerne avant tout la réalité politique du moment. Lors de la conférence de presse, Emmanuel Macron a ainsi esquivé les questions des journalistes au sujet d'un éventuel usage du 49.3 à l'Assemblée Nationale jeudi prochain, au lendemain de la réunion de Commission mixte paritaire sur le projet retraites : « Je ne ferai pas ici de politique-fiction, parce que ce n'est pas mon rôle. »

Or, tous les acteurs et observateurs constatent que le « compte n'y est pas » à l'Assemblée. « C'est trop ric rac et aléatoire pour tenter le coup d'un vote », estime l'un d'eux. Cruel constat peut-être, mais qui rappelle douloureusement au locataire de l'Élysée qu'il ne dispose que d'une majorité très relative dans l'hémicycle depuis les législatives ratées de juin dernier.

Après des mois d'évitement et de déni, voire de bravade, l'Élysée fait donc face la semaine prochaine au mur de la réalité parlementaire. Et Emmanuel Macron semble bien décidé à continuer sa cavalerie politicienne, telle l'initiateur d'une pyramide de Ponzi, amenant ses troupes à un véritable crash test politique. Tel un joueur de poker qui demande de « faire tapis », ça passe ou ça casse. Le président fantasmerait-il le « there is no alternative » de Margaret Thatcher qui avait réussi dans les années 1980 à casser durement le mouvement de grève des mineurs anglais, affaiblissant durablement par la même occasion les syndicats britanniques ? Ce dessein en pleine guerre en Ukraine et dans un pays au bord de la crise de nerf après le Covid pourrait se révéler hasardeux.

Cette véritable fuite en avant n'amène d'ailleurs pas les syndicats à faiblir sur la mobilisation : de plus en plus de voix syndicales montent pour faire des prochaines mobilisations une question de vie ou de mort pour la subsistance dans le pays de forces de contestation sociale. De fait, cet élargissement des enjeux pour les syndicats pourrait amener le pouvoir actuel dans une impasse. Mais l'Élysée continue de parier sur le « pourrissement » du mouvement. Un pari étonnant alors qu'une très large majorité des Français soutiennent aujourd'hui les syndicats et s'affirment totalement opposés au projet du gouvernement. Et une posture d'équilibriste sur le front parlementaire : « Attention à la motion de censure !  Tout dépendra qui la porte », estime un ancien macroniste. Or, en cas de 49.3, des députés des groupes LR, LIOT (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires) ainsi que des députés de gauche réfléchissent à déposer une motion de censure transpartisane qui, votée par le RN et la NUPES, pourrait conduire à faire tomber le gouvernement. « LIOT et LR sont les seuls à pouvoir déposer une motion de censure qui serait votée par la NUPES et le RN », me décrypte un bon connaisseur de la vie parlementaire.

Ce scénario expliquerait la montée des tensions au sein même de Renaissance. On a ainsi assisté ces derniers jours à un véritable festival de crises de nerf parmi les macronistes : entre les bras d'honneur du Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti en plein hémicycle contre le patron du groupe LR, le pétage de plomb à la télévision de la secrétaire d'État Marlène Schiappa qui a carrément dit « merde » à une militante féministe, l'accusation d'un sénateur centriste contre François Patriat, le patron macroniste au Sénat qui aurait voulu le « buter », ou le coup de colère d'Aurore Bergé, pourtant patronne du groupe Renaissance, qui n'a pas réussi à faire voter sa proposition de loi. Pour ne rien arranger, les rumeurs les plus folles parcourent les rangs macronistes, entre les spéculations sur un article du Monde qui enterre déjà Elisabeth Borne avant le combat ultime, l'évocation d'une éventuelle « dissolution imminente » de l'Assemblée, ou plus glauque encore, l'état de santé d'Édouard Philippe (qui a communiqué récemment sur son alopécie) devenu l'ennemi public numéro 1 de l'Élysée.

« Un mort dans une manifestation », une parole irresponsable

Au château justement, et pour ne rien arranger, l'entourage du président semble plus que jamais « hors sol ». Cette semaine, L'Opinion a cité ainsi un conseiller qui estime que son patron pourrait reculer ou céder si et seulement si le pays est « à l'arrêt » avec une « grève générale reconductible », « si Paris est en feu » ou si survient « un mort dans une manifestation, un attentat ». Des paroles provocatrices, irresponsables.

Bras d'honneur, « buter », autant de mimiques d'un président qui, en privé, adore  mimer les dialogues d'un Michel Audiard, notamment ceux des Tontons flingueurs, pour mettre en scène face à ses interlocuteurs les rapports de force politique. « Il semble ne pas comprendre. Nous allons passer aux balles réelles », avait ainsi confié le futur président quelques semaines avant sa victoire de 2017 à l'un de ses fidèles grognard à propos de Manuel Valls avec qui il s'affrontait alors. Mais le faire en privé est une chose, l'exprimer (ou le faire) en public en est une autre. C'est ouvrir la boîte de Pandore de la violence, c'est être dans la négation du politique, de la politique.

Marc Endeweld.

Marc Endeweld
Commentaires 5
à écrit le 12/03/2023 à 18:41
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si le 49/3 est degaine c'est la bombe atomique nul ne sait ou cela peut nous embarquer comme disait mon grand pere chauffe un marron sa le peter et bonjour les degats là a tout les coups on risque fort la dissolution et qui fait ses offres de serv...

à écrit le 12/03/2023 à 12:37
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Mr Retailleau a voté la réforme des retraites qui va impacter le plus les travailleurs qui se lèvent tôt habitent loin de leur lieu de travail etc …non par choix mais par prix. Mr Retailleau est le chantre de l exemplarité : il est’ mis en cause d...

à écrit le 11/03/2023 à 17:27
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nous sommes la risee de nos voisinsMacron passe pour un president qui deconnecte completement et l'assemblee pour le cirque Pinder ce n'est pas peu dire il est grand temps qu'une dissolution arrive et que l'on reparte avec des gens plus serieux su...

à écrit le 11/03/2023 à 17:07
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Seule explications logique : il cherche à créer les conditions d'une prochaine dissolution.

à écrit le 11/03/2023 à 16:22
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On cherche toujours ce qui l'a pu faire de positif depuis son "apparition" médiatique dans le staff d'Hollande ! ;-)

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