Infirmiers, éboueurs, agriculteurs, caissiers... pendant les périodes de confinement, certaines professions ont été rudement sollicitées pour permettre au pays de vivre, de se soigner et à l'économie de fonctionner. A la veille de la réouverture de nombreux secteurs, la direction statistique du ministère du Travail (Dares) dresse une photographie alarmante de tous des métiers de la seconde ligne. Dans une enquête détaillée, les statisticiens de la rue de Grenelle et les chercheurs du Conservatoire nationale des arts métiers (CNAM) ont retenu 17 professions qui représente environ 4,6 millions de personnes dans le secteur privé. Cette liste a d'ailleurs servi de base de discussions entre les partenaires sociaux et la ministre du Travail Elisabeth Borne sur la question épineuse des revalorisations notamment. Les auteurs rappellent que ces travailleurs ont "encouru un risque de contamination durant la crise sanitaire en continuant d'apporter à la population les services indispensables à la vie quotidienne."
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Des conditions de travail bien plus précaires
Sans surprise, les auteurs de l'étude montrent que la plupart de ces travailleurs sont confrontés à des situations professionnelles très précaires. Sur les sept critères étudiés (salaires, accidents déclarés, part des temps partiel...), ces actifs de la deuxième ligne, parfois appelés "les premiers de corvée", sont à chaque fois en position bien plus défavorables que dans le reste de l'économie.
Ils sont avant tout plus souvent en CDD (10,5%) que la moyenne des autres salariés du secteur privé (7,5%). Ce type de contrat est particulièrement répandu dans l'agriculture ou dans le bâtiment. Si la réforme de l'assurance-chômage du gouvernement cherche à mettre en place un bonus-malus pour limiter le nombre de CDD abusif, la pandémie a freiné cette mesure qui devrait entrer en application à partir de 2022. La proportion de travailleurs intérimaires est également deux fois plus importante dans les métiers de la deuxième ligne que dans le reste de l'économie marchande (7,2% contre 3%).
Concernant les salaires, les indicateurs sont également dans le rouge. Ils gagnent en moyenne 30% de moins que dans le secteur privé et la part des bas salaires frôle les 20%, contre 12% pour le secteur privé. Du point de vue des conditions de travail et de la sécurité, les écarts sont particulièrement criants avec une proportions d'accidents déclarés deux fois plus importantes que dans le reste de du secteur privé. Enfin, la proportion de postes soumise à des contraintes physiques est de 61% contre 36% pour le reste de la population active.
Une trajectoire professionnelle défavorable
L'un des enseignements spectaculaire de cette étude est qu'elle révèle que les trajectoires de ces professionnels se dégradent au fur et à mesure de l'avancée dans leur carrière. Ainsi, les différences salariales tendent à se creuser avec l'âge. Il est de 17% pour les personnes âgées entre 25 et 29 ans contre 37% pour la tranche des 55-59 ans. "Si les travailleurs des métiers de la deuxième ligne changent plus souvent de postes ou d'employeurs (46% contre 40%), ces mobilités s'avèrent moins payantes pour eux (8,5% des mobilités se soldent par une promotion, contre 14,8%" ajoutent les auteurs. Cet accroissement des inégalités peut s'expliquer en partie par l'absence ou presque de formation au cours de leur carrière professionnelle dans ces métiers. "Sur cinq ans, 34,4% des travailleurs de seconde ligne accèdent à une formation, contre 38% pour l'ensemble des salariés, et ces formations sont plus fréquemment certifiantes (en lien avec des obligations légales de sécurité notamment) et moins souvent diplômantes" indique l'étude. Et la pandémie pourrait encore détériorer ces conditions.