« Sous Emmanuel Macron, les maires non-franciliens ont du mal à se faire entendre »

ENTRETIEN. A cinq mois du premier tour de l'élection présidentielle et pour la première fois depuis le début de la crise sanitaire, les maires de France se réunissent en congrès à Paris ces 16, 17 et 18 novembre. Ils doivent élire leur nouveau président, Philippe Laurent ou David Lisnard, avant d'écouter le chef de l'Etat, Emmanuel Macron, qui viendra défendre son bilan. Un quinquennat marqué la crise des "Gilets jaunes", la crise sanitaire et la vague verte aux élections municipales de 2020. Un changement de paradigme analysé par le haut fonctionnaire et essayiste Jean-Victor Roux pour La Tribune.
César Armand
Jean-Victor Roux est l'auteur de Les Sentinelles de la République - Une histoire des maires de France (Editions du Cerf).
Jean-Victor Roux est l'auteur de "Les Sentinelles de la République - Une histoire des maires de France (Editions du Cerf)". (Crédits : Claude Almodovar)

LA TRIBUNE. Dans votre livre Les sentinelles de la République - Une histoire des maires de France (Editions du Cerf) vous écrivez : « Les maires d'aujourd'hui sont pris en étau, assaillis de demandes contradictoires. L'équation budgétaire imposée par l'Etat contredit la nécessité de répondre aux besoins croissants exprimés par la population ». Comment résoudre ce grand écart a priori insoluble ?

JEAN-VICTOR ROUX. C'est en effet particulièrement difficile. Pour y parvenir, cela nécessite un contrat clair, un pacte démocratique avec les populations pour afficher les priorités des campagnes électorales sur les projets.

Mais du fait du contexte de crise sanitaire et d'un entre-deux-tours qui a duré trois mois, les maires qui ont été élus en juin 2020 n'ont pas pu faire campagne sur leurs projets. C'est pourtant ce qui fonctionne.

Avant de se faire élire à Montpellier, Georges Frêche avait commencé par monter une association baptisée « Citoyens et urbanisme » qui avait fait un diagnostic précis de la ville et des préconisations destinées à alimenter son programme. Cette volonté d'élargir le champ des personnes impliquées peut être, j'insiste, une solution pour définir les grands projets.

En réalité, les maires peuvent-ils conduire encore des grands projets ? Europacity, Gare du Nord, Notre-Dame-des-Landes, tous ces projets sont tombés à l'eau...

Nous assistons à la fin de l'époque des maires bâtisseurs, qui a duré des années 1980 au milieu des années 2000. Cela passait par toujours plus d'équipements publics et c'était encouragé par l'Etat et sa vision des métropoles d'équilibres.

Si les grands projets sont de plus en plus contestés, c'est aussi parce que des élus de grandes villes portent une vision de sobriété, comme le maire de Lyon qui s'oppose à la liaison ferroviaire avec Turin dans une optique de décroissance.

C'est tout le paradoxe : un maire qui développe sa ville obtient des dotations supplémentaires. Aussi, la croissance a longtemps été l'objectif des maires pour acquérir des financements. Mais la crise des « Gilets jaunes » a illustré le revers de la médaille de la quête de l'attractivité : il est de plus en plus difficile de se loger dans les villes centres.

Que faire pour répondre à ces aspirations légitimes face à ces villes-centres qui se referment sur elles-mêmes tels des châteaux forts ?

Le modèle des villes attractives semble avoir vécu au profit des grands projets de transports. Peut-être qu'au lieu d'évoquer la « fabrique de la ville », devrions-nous désormais parler de « connexions vers la ville » et des maillages de transport.

Avant même le Grand Paris Express, la question des transports en commun et de leur connexion avec le cœur d'agglomération s'est par exemple posée dès le départ dans la métropole Aix-Marseille. Idem avec le métro intercommunal Lille-Roubaix-Tourcoing dès les années 1980 pour désengorger les routes et connecter les trois villes.

Dans le même temps, à la suite des confinements, les grandes villes se vident au profit des villes moyennes et des petites villes, redessinant, peut-être, une nouvelle carte des territoires.

Ce redéploiement concerne surtout Paris qui avait déjà perdu, entre 2012 et 2017, 53.000 habitants, mais il est vrai qu'avec le recours au télétravail, beaucoup de maires de villes moyennes souhaitent tirer leur épingle du jeu avec des campagnes de marketing territorial.

Vendôme, Blois, et l'ensemble du Loir-et-Cher, tout comme la Bretagne, restent assez prisées, car se situant à 1h-1h30 de Paris en transports en commun. Tout comme Limoges ou Mont-de-Marsan dans les Landes qui offrent une densité de population plus faible que Bordeaux et qui ne sont pas si loin de la mer, mais aussi et surtout parce que le marché de l'immobilier n'y est pas saturé et que les prix n'y ont pas autant augmenté.

Est-ce que cela signifie que le clivage Paris versus le "désert" français est révolu ?

Non. Regardez l'association des maires de France, qui se réunit en congrès ces 16, 17 et 18 novembre. Elle a toujours été dirigée par les élus de région : Edouard Herriot, Jacques Pelissard et François Baroin.

Depuis le début du mandat d'Emmanuel Macron, les édiles qui ne sont pas franciliens ont témoigné de difficultés à se faire entendre des ministères, des administrations et de l'exécutif dans un contexte de non-cumul des mandats qui déconnecte la vie politique locale de la vie politique nationale. A l'inverse, les élus franciliens ont plus de capacité à être écoutés et sollicités. Par exemple, le maire de Poissy dans les Yvelines, Karl Olive, est un proche du président de la République.

A l'instar de Jacques Chirac en son temps, la maire de Paris, Anne Hidalgo, est pourtant candidate à l'élection présidentielle, en tentant de s'adresser à tous les Français...

A la différence de Jacques Chirac, qui avait la capacité de dépasser cet antagonisme Paris-Province, en étant à la fois député de Corrèze et maire de Paris, dès qu'Anne Hidalgo s'exprime en figure nationale, elle peine à dépasser cette image avant tout parisienne.

Toujours est-il qu'outre Anne Hidalgo, d'autres maires se présentent au scrutin suprême, en rupture avec l'actuel chef de l'Etat qui n'a jamais été élu local...

Il est certain que son élection a marqué une rupture avec le cursus honorum des Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy et Hollande qui ont tous été maires. De Gaulle et Pompidou ne l'ont jamais été et, aujourd'hui, les principaux candidats n'ont pas d'ancrage non plus.

Ce n'est plus une exception. Regardez Yannick Jadot, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen, qui ont uniquement été parlementaires, ou même Éric Zemmour, qui revendique de ne pas appartenir au personnel politique classique. Il y a comme une aspiration à s'éloigner de plus en plus du local pour viser le national.

Chez les Républicains, le modèle reste en revanche celui des élus locaux, mais il est peu probable que le ou la candidate puisse l'emporter en avril prochain.

César Armand
Commentaires 3
à écrit le 16/11/2021 à 10:21
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La TH est compensée (pas totalement) par l'état aux collectivités locales. Les maries bons gestionnaires n'ont pas augmenté la TF.

à écrit le 16/11/2021 à 9:21
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Il a déjà du mal à comprendre Paris, alors la France pfff... que c'est compliqué !

à écrit le 16/11/2021 à 9:19
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Macron en supprimant la TH a complètement déstabilisé les finances locales. Les Maires n'ont plus d'argent et vont se rattraper sur les 50 % de propriétaires en augmentant la TF massivement (en plus de l'IFI). Les résidents secondaires seront taxés p...

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