Tiers lieux : « En 2018, le mot n'avait pas encore passé le périph' »

En visite en Normandie, le premier ministre a annoncé le déblocage de 130 millions d’euros au bénéfice des tiers lieux qu’il présente comme « l’un des piliers de la relance ».
Jean Castex en visite à l'Atelier Normand, un tiers lieu de production où une dizaine d'artisans travaille le bois et le métal sur un parc de machines partagé
Jean Castex en visite à l'Atelier Normand, un tiers lieu de production où une dizaine d'artisans travaille le bois et le métal sur un parc de machines partagé (Crédits : DR)

Fini le temps où les tiers lieux étaient vus comme des « machins portés par des gens avec des cheveux longs », dixit Patrick Levy Waitz, le très influent président de France Tiers Lieux. En se transportant ce vendredi avec quatre de ses ministres dans deux d'entre eux à Caen, Jean Castex a définitivement réhabilité ce modèle que la technocratie parisienne a longtemps considéré avec circonspection, pour ne pas dire méfiance. « En 2018, le mot n'avait pas encore passé le périph' » se souvient leur porte-voix national. Trois ans et une crise plus tard, ces lieux hybrides, laboratoires d'innovations sociales et économiques, accèdent donc à la reconnaissance de l'Etat central.

Il faut dire qu'entre-temps le mouvement, héritier des maisons des jeunes et la culture de Malraux, a pris de l'ampleur jusqu'à devenir un phénomène de société. En atteste le rapport remis par Patrick Levy Waitz au premier ministre. Les chiffres sont édifiants. D'une poignée au début des années 2010, on dénombre aujourd'hui 2.500 tiers lieux à travers toute la France dont un peu plus de la moitié hors des grandes métropoles où la dynamique ralentit au profit des zones rurales et des villes moyennes. Région pionnière, la Nouvelle Aquitaine par exemple en abrite plus de 330 juste derrière l'Ile de France (près de 400).

Un mouvement citoyen

Difficile cependant d'établir un profil type tant la galaxie foisonnante des tiers lieux est hétérogène aussi bien sur le plan géographique et statutaire (association, SCOP, SAS...) que sur celui de l'activité. Si la majorité (75%) proposent des espaces de travail partagé, ils opèrent indifféremment dans le numérique, l'artisanat, la culture ou l'agriculture. Qu'ils prennent la forme d'ateliers, de foodlabs ou de fablabs voire de petites fabriques, ils affichent toutefois un point commun. Ils sont tous ou presque le fruit d'initiatives citoyennes qui transcendent les cadres institutionnels et déboussolent parfois les pouvoirs politiques.

Si le gouvernement s'y intéresse jusqu'à les considérer comme « l'un des piliers de la relance et le visage de la France qui se réinvente » (dixit Jean Castex), c'est que leur poids économique est devenu non négligeable, au fil du temps. Selon les auteurs du rapport, 150.000 personnes y travaillent régulièrement aux côtés de 6.300 salariés permanents. Lesquels génèrent un chiffre d'affaires cumulé de près de 250 millions d'euros. En outre, la pandémie a révélé leur agilité et leur capacité d'adaptation. Bien que déficitaires pour un tiers d'entre eux, ils ont joué un rôle d'amortisseur pendant la crise sanitaire . « Neuf tiers lieux sur dix se sont engagés dans des actions de solidarité ou dans la fabrication de matériel médical », rappelle France Tiers Lieux.

De quoi décider l'Etat à engager 130 millions d'euros à leur profit (dont la moitié provenant du plan de relance). Cinquante millions sont fléchés vers le développement de la formation professionnelle et la diffusion des méthodes d'apprentissage innovantes, 15 vers l'inclusion numérique, 20 pour la création de 3.000 postes de services civiques et 30 pour l'installation d'une centaine de  « manufactures de proximité » sur le modèle de l'Atelier Normand, visité par le premier ministre dans la banlieue caennaise. Ces futurs tiers lieux de production, qui seront parrainés par le pâtissier Pierre Hermé, devront offrir un espace de travail et parc de machines partagés pour permettre à des artisans, TPE ou entrepreneurs de développer leur activité en mutualisant moyens et compétences. L'antidote au repli sur soi ?

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