Un an après, le bilan mitigé de l'état d'urgence

Un rapport parlementaire sur ce régime d'exception émet des recommandations pour améliorer l'efficacité du dispositif et en sortir à terme. Plus de douze mois après son entrée en vigueur, les deux rapporteurs, Dominique Raimbourg et Jean-Frédéric Poisson, estiment qu'il est difficile de mesurer l'efficacité de l'état d'urgence dans la lutte contre le terrorisme.
Nicolas Raffin
"Il n'est guère facile de sortir de l'état d'urgence" constate le rapport...

Dans la nuit du 13 au 14 décembre, l'état d'urgence, instauré le 14 novembre 2015 après les attentats de Paris et Saint-Denis, a été prolongé une cinquième fois par les députés, jusqu'au 15 juillet 2017. Pourtant, le Conseil d'Etat a récemment rappelé pour la quatrième fois cette année que "les renouvellements de l'état d'urgence ne sauraient se succéder indéfiniment et que l'état d'urgence doit demeurer temporaire".

Le rapport publié la semaine dernière par la Commission des lois de l'Assemblée nationale, dans le cadre du contrôle parlementaire de l'état d'urgence, va également dans le même sens."On ne saurait se satisfaire d'une gestion routinière - à « bas bruit » - de cet état d'exception" notent ses auteurs, Dominique Raimbourg (PS) et Jean-Frédéric Poisson (LR) dans une analyse très documentée plus d'un an après la mise en oeuvre de ce régime. Les auteurs y proposaient plusieurs aménagements, qui n'ont pas été repris par l'Assemblée mardi soir, hormis la limitation dans le temps des assignations à résidence. La Tribune décrypte les principaux enseignements du rapport.

Les perquisitions administratives : en chute libre, mais plus ciblées

Ce type de perquisition permettait à l'origine de fouiller un domicile hors des horaires "judiciaires" (entre 6 heures et 21 heures), sans contrôle a priori d'un juge. Les auteurs du rapport distinguent deux périodes. La première court du 14 novembre 2015 au 25 mai 2016, date à laquelle les perquisitions administratives sont arrêtées, "la plupart des lieux identifiés ayant déjà fait l'objet des investigations nécessaires". Sur ce laps de temps, 3750 perquisitions ont eu lieu, dont 54% ont été réalisées en novembre.

Les perquisitions administratives sont de nouveau autorisées après l'attentat du 14-Juillet à Nice. Au 14 novembre 2016, seulement 500 perquisitions avaient eu lieu depuis l'été, dont une grande partie en juillet et en août. Le graphique ci-dessous, tiré du rapport, montre une nette décroissance du nombre de perquisitions (en bleu) au fur et à mesure des semaines.

graphique rapport état urgence

L'autre évolution de ce dispositif concerne l'horaire : "Dans la première semaine de l'état d'urgence, 68% des perquisitions ont lieu de nuit" alors qu'à partir de juillet 2016, "moins de 18% des perquisitions sont réalisées la nuit" expliquent les rapporteurs, notant que "la plupart" ont désormais lieu entre 6 heures et 8 heures du matin, ce qui correspond "aux pratiques judiciaires ordinaires". De plus, rappellent les parlementaires, la loi du 3 juin 2016 permet désormais les perquisitions de nuit, dans des enquêtes à caractère terroriste, sans avoir recours à l'état d'urgence.

Quelle efficacité ont eu ces actions ? En prenant en compte les procédures judiciaires ouvertes après les perquisitions, on note un meilleur "ciblage" au fur et à mesure de l'année 2016. En effet, "entre le 14 novembre 2015 et le 25 mai 2016, selon le ministère de la Justice, 605 perquisitions ont abouti à une procédure judiciaire, dont 36 pour des faits en lien avec le terrorisme". Néanmoins, sur ces 36 procédures, 27 relevaient de l'apologie du terrorisme, et seulement 9 ont été gérées par la section anti-terroriste du parquet de Paris.

Du 21 juillet 2016 au 2 décembre, les auteurs relèvent seulement 65 perquisitions administratives : mais 11 procédures judiciaires ont été initiées par la section anti-terroriste. Le rapport précise que les procédures ouvertes "grâce" à l'état d'urgence "restent toutefois une contribution modeste à l'activité générale du parquet anti-terroriste" puisqu'elles représentent 12% des procédures ouvertes par cette section en 2016 en lien avec la zone Irak-Syrie.

Assignation à résidence : de possibles abus et une durée à limiter

Les deux parlementaires se sont également penchés sur la situation des personnes assignées à résidence dans le cadre de l'état d'urgence, et qui doivent pointer au commissariat plusieurs fois par jour. Au 15 novembre 2016, 95 personnes étaient assignées à résidence : environ la moitié (47 personnes) le sont depuis la proclamation de l'état d'urgence en 2015. Or, le rapport s'alarme du fait qu'un an après, aucune procédure judiciaire n'ait été engagée à l'encontre de plusieurs d'entre eux : "Il ne semble guère concevable que des personnes puissent être maintenues durablement dans un dispositif d'assignation à résidence sans élément de nature à constituer une infraction pénale, sauf à méconnaître les principes fondateurs de l'État de droit".

Autre problème de taille soulevé par cette mesure, le fait que de nombreux individus soient fragiles psychologiquement. "La mesure d'assignation semble alors être un palliatif à un dispositif de droit commun (...) voire un substitut à des mesures d'internement d'office" assène le rapport, qui recommande de renforcer le suivi psychiatrique des personnes en ayant besoin.

L'assignation à résidence a été légèrement revue après le vote de mardi soir : l'Assemblée nationale a décidé qu'elle ne pourrait excéder 12 mois, mais le ministre de l'Intérieur peut demander une prolongation (renouvelable) de 3 mois au juge des référés du Conseil d'Etat, ce qui permet de maintenir la personne à son domicile tout le temps de l'état d'urgence.

Réformer ou arrêter ?

En conclusion, Dominique Raimbourg et Jean-Frédéric Poisson ménagent la chèvre et le chou. Certes, il reconnaissent qu'il est "difficile de mesurer l'efficacité de l'état d'urgence dans la lutte contre le terrorisme". Certes, ils sont convaincus que "la voie judiciaire est l'outil prééminent de la lutte antiterroriste". Pour autant, ils ne vont pas jusqu'à réclamer la fin de l'état d'urgence, mais demandent un recentrage des mesures administratives sur la lutte contre le terrorisme : certaines de ses dispositions (interdictions de séjour notamment) ont en effet servi au moment des manifestations contre la loi Travail ou lors de la COP 21.

Les deux parlementaires proposent aussi de "conférer un caractère organique à la loi d'application sur l'état d'urgence", c'est-à-dire de l'élever d'un cran dans la hiérarchie des normes et ce afin d'éviter "des modifications législatives improvisées" qui pourraient conduire à un détournement de ce régime. Malgré toutes ces précautions, "il n'est guère facile de sortir de l'état d'urgence" notent les rapporteurs, bien conscients de la très forte sensibilité politique et sociétale du sujet.

Nicolas Raffin
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