La réforme est jugée "indispensable", selon les mots d'Olivia Grégoire, porte-parole du gouvernement, ce mercredi 1er juin, après le conseil des ministres. "Indispensable" pour équilibrer un régime en déficit ? Pour répondre à cette question, on attendait le rapport du Conseil d'orientation des retraites, le COR qui fait traditionnellement office de référence, et qui devait être publié le 22 juin prochain.
Mais, cette année, il faudra être bien plus patient. A cause des élections mais aussi du contexte international - le conflit en Ukraine- , le gouvernement n'a pas transmis ses prévisions macro-économiques. Des prévisions - de croissance, de chômage, d'inflation etc- que l'exécutif transmet d'habitude avant le 15 avril à Bruxelles mais aussi à l'institution. Le COR dispose en général de deux mois pour agréger ces données, faire ses projections et rédiger son rapport.
Un rapport du COR reporté à la rentrée
Cette année il faudra attendre la rentrée, sans qu'aucune date n'ait été communiquée.
"De quoi laisser aussi le temps de mener une concertation avec les partenaires sociaux avant la réforme promise par Emmanuel Macron ", plaide un membre du gouvernement, qui cherche à temporiser, face à un dossier explosif socialement. Les discussions avec les partenaires sociaux doivent se tenir dès la fin août.
Mais les syndicats sont dubitatifs. "Une concertation sans rapport du COR, c'est une discussion sans cadrage, sans base de travail ", s'agace un membre de la CGT. Et d'ajouter : "A moins que le gouvernement ait déjà l'idée de ce que cela va donner, peu importe la situation des régimes".
Un déficit de 10 milliards par an à combler
De quoi encore alimenter le flou autour de ce dossier. Les syndicats, opposés à la réforme d'Emmanuel Macron, estiment qu'étant donné les besoins de financement du régime, il n'y a aucune raison de se précipiter.
Ils se réfèrent d'ailleurs aux dernières conclusions du COR, de 2021, qui assure : "malgré le vieillissement progressif de la population, la part des dépenses de retraite dans le PIB reste sur une trajectoire maîtrisée, à l'issue de la projection... ( c'est à dire les années 2070)", et les experts d'ajouter : "C'était un résultat qui prévalait avant la crise sanitaire et il demeure valable aujourd'hui".
La situation financière est surtout tendue jusqu'en 2035, - car les enfants du pic démographique des années 2000 ne sont pas totalement insérés .... et les baby-boomers ne se sont pas encore éteints-. Ensuite, les comptes ont plutôt tendance à se stabiliser... .
Du côté du gouvernement, le déficit, qui se situe autour de 10 milliards d'euros par an, doit être comblé rapidement. Aucune raison de reporter.
Financer d'autres chantiers sociaux
Car, au-delà du seul régime des retraites, le gouvernement ne cache pas son intention de retrouver des marges de manœuvre plus globales : "pour financer le progrès social et un meilleur accompagnement de nos concitoyens" justifie Olivia Grégoire, la porte-parole. Au-delà du seul équilibre comptable, il s'agit donc de financer d'autres chantiers sociaux.
"Repousser l'âge légal de départ, c'est le seul moyen de faire rentrer rapidement de l'argent dans les caisses, pour pouvoir financer notre modèle social, payer des services publics, rétablir nos finances publiques, baisser la dette ", plaide encore Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie et des Finances. Et une autre membre du gouvernement d'ajouter : " Et puis, il faut financer la dépendance et l'autonomie. Nous allons avoir plus de 100.000 centenaires d'ici 20 ans".
Vers la fin d'un système contributif ?
Autant d'arguments que ne comprennent pas les syndicats et qui viennent encore alimenter leur opposition. " C'est comme si cette réforme des retraites venait tout résoudre, plaide un membre de la CFTC. Or, ce n'est pas son rôle.... On ne peut pas tout faire reposer sur les seuls actifs".
Aussi, pour eux, cette réforme des retraites telle qu'elle est présentée signe un violent coup de canif dans un contrat vieux de plus de 70 ans. Un changement complet de logique qu'ils entendent bien ne pas laisser passer.
"La retraite, c'est un système contributif ... il faut arrêter de tout mélanger", s'agace Yves Veyrier chez FO. Ainsi, le financement de la dépendance ne doit-il pas relever de la solidarité nationale ? Les centrales posent la question, surtout, qu'à l'origine, il devait d'ailleurs être assuré par le prolongement de la CRDS, au-delà de 2024.
Dans ce contexte, leur opposition à un décalage de l'âge légal de 62 ans à 64 ou 65 ans s'ancre encore un peu plus. Pour Philippe Martinez de la CGT " il faut surtout donner du travail à tout le monde et le problème sera résolu".
Augmenter le taux d'emploi des seniors, la solution ?
L'étude menée par les équipes de l'économistes Jean-Hervé Lorenzi et publiée ce 2 juin va dans ce sens : "une hausse de dix points du taux d'emploi des 55-64 ans permettrait d'équilibrer les comptes du système des retraites, sans toucher à l'âge légal, ni à la durée de cotisation". Si le taux d'emploi des seniors a progressé dans notre pays, ces dernières années, il reste encore très en deçà de nos voisins européens. Passer de 56 à 66 % est donc un défi de taille.
"Mais, il ne faut pas oublier, qu'un des éléments qui fait le plus vite progresser le taux d'emploi des seniors est le décalage, justement, de l'âge légal ! ", répond un conseiller de l'Elysée, "car du coup, les entreprises les gardent plus longtemps en poste, les accompagnent dans des cursus de formation etc".
Chacun affûte ses arguments. La bataille autour de la réforme des retraites ne fait que commencer....Elle devrait battre son plein à l'automne prochain. De son côté, Emmanuel Macron assure que la réforme entrera en vigueur "dès l'été 2023".