A l'Opep+, une réduction de l'offre pas si surprenante

La réduction de l'offre pétrolière de l'Opep intervient à un moment où la reprise économique mondiale reste soumise à de nombreuses incertitudes, synonymes de besoins moindres d'or noir. Les pays membres de l'Opep+ veulent éviter une baisse des prix en dessous de 80 dollars le baril.
Robert Jules
(Crédits : Reuters)

La décision de l'Opep annoncée le 2 avril de réduire dès le mois de mai son offre de 1,16 million de barils par jour (mb/j) dont près de la moitié assumée par l'Arabie Saoudite, a surpris le marché. Elle contredit en effet la position affirmée deux semaines auparavant par le ministre saoudien de l'Énergie, le prince Abdelaziz ben Salman, alors même que les prix du baril étaient au plus bas depuis 15 mois.

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« À ceux qui continuent de penser que nous allons ajuster l'accord [celui d'octobre dernier d'une réduction de l'offre de l'Opep+ de 2 mb/j] avant la fin de l'année, je leur dis qu'ils devront attendre jusqu'au vendredi 29 décembre 2023 pour leur démontrer notre engagement à tenir notre accord actuel », assénait-il quinze jours plus tôt.

Un minimum de 75 dollars le baril

Cette volte-face justifiée comme « mesure de précaution » vient rappeler que la boussole qui guide la politique des 13 pays membres de l'organisation et les 10 autres pays qui font partie de l'Opep+ est d'abord et avant tout la variation du prix du baril dont dépendent leurs budgets publics. Ainsi, l'Arabie saoudite, qui doit financer les projets pharaoniques du prince héritier pour faire de son pays une économie moderne émancipée de l'or noir, se base structurellement sur une minimum de 75 dollars le baril. D'autre part, la Russie, soumise sur ses ventes à un prix plafonné à 60 dollars, a besoin d'un cours élevé pour optimiser ses revenus pétroliers et financer sa coûteuse guerre en Ukraine.

Car malgré l'annonce de la réduction d'octobre dernier et une demande pétrolière mondiale prévue par l'Agence internationale de l'énergie (AIE) en hausse de 2% en 2023, à 101,9 mb/j, les prix du baril sont tendanciellement à la baisse (voir graphique) de 40% depuis juin 2022 jusqu'à leur point bas de la mi-mars. Même les achats de la Chine, dont l'activité a repris depuis la fin de sa politique de « zéro Covid » en novembre dernier, n'ont pas eu l'effet escompté. Néanmoins, une hausse s'est enclenchée depuis la mi-mars, qui s'est accélérée depuis le début d'avril. En un mois, le prix du baril de Brent a repris 17% de sa valeur. Ce lundi, dans l'après-midi, il évoluait en légère baisse au-dessus de 85,8 dollars tandis que celui du WTI perdait près de 1%, à 81,88 dollars.

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Les fonds d'investissement pris à contrepied

Un rebond qui s'explique davantage par le changement des positions des fonds d'investissement pris à contre-pied sur les marchés à terme. Anticipant une baisse des cours dans les prochains mois, la plupart d'entre eux avaient pris des positions «courtes », vendant à découvert. Depuis le début du mois, ils sont repassés à l'achat, augmentant considérablement leurs positions « longues », anticipant désormais une hausse des cours. Par le passé, le ministre de l'Energie saoudien a régulièrement mis en garde les investisseurs dont les positions prises sur le marché pétrolier « papier » influencent les prix du baril en tant que référence.

« La réduction de la production de pétrole brut décidée par l'OPEP+ n'aurait pas dû prendre les marchés de court, malgré un calendrier surprenant. Cette baisse intervient dans un contexte d'offre excédentaire sur le marché pétrolier alors même que la demande mondiale montre des signes de ralentissement », estime Stéphane Monier, responsable des investissements chez Lombard Odier Private Bank.

La projection de la demande de pétrole inchangée en 2023

En effet, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) dans son dernier rapport mensuel n'a pas modifié son estimation de la demande mondiale de pétrole en 2023, maintenant une hausse de 2%, à 101,9 mb/j. Néanmoins, elle souligne combien « les perspectives macroéconomiques mondiales restent capricieuses », faisant allusion à la crise bancaire aux Etats-Unis et en Suisse, avec la faillite de Silicon Valley Bank, et le rachat du Credit Suisse, qui même si elle a été rapidement jugulée par l'intervention publique a toutefois relevé des risques systémiques qui peuvent plomber la reprise économique. La semaine dernière, le FMI a révisé à la baisse son estimation de la croissance mondiale, tablant désormais sur 2,8% contre 2,9%, et s'attend cette année à une récession en Allemagne et en Grande-Bretagne. La situation reste fragile, particulièrement en Europe, où les conséquences de la guerre russe en Ukraine pèsent sur la conjoncture, et la croissance mondiale repose en large part sur celle de la Chine qui devrait voir son PIB augmenter de 5,3% cette année.

De même, la nouvelle demande pétrolière mondiale en 2023 dépend à 90% de celle de la Chine, dont les besoins vont bondir de 7,7% à 16,6 mb/j cette année. Aussi, un prix élevé du pétrole est de nature à entraver la convalescence des économies de l'OCDE. Car même si la politique restrictive sous forme de hausse des taux et de réduction de la masse monétaire a ralenti l'inflation, celle-ci reste élevée, notamment en raison de la cherté des produits alimentaires.

Un potentiel de flambée des cours limité

Pour autant, le potentiel d'une flambée des cours de l'or noir reste limité. Derrière les annonces théoriques, les réalités du marché pétrolier sont plus complexes au regard des données. « De nombreux pays ont pompé l'année dernière à des niveaux largement inférieurs à leurs quotas en raison de problèmes opérationnels et de limitations de capacités, ce qui leur a permis de maintenir ou même d'augmenter leurs productions sans violer l'accord », indique l'AIE. Au mois de mars, la production de l'Opep+ soumise à quotas était inférieure de 2,16 mb/j à sa cible. Si l'on intègre tous les membres (notamment les pays non soumis à quotas), le partenariat a pompé ce mois-là 44,17 mb/j, laissant 3,7 mb/j de capacités de production non utilisée.

« La Russie, le membre « plus » de l'Opep, a réduit sa production de 300.000 b/j en mars, alors qu'elle s'était fixé un objectif de 500.000 b/j. En conséquence, les marchés estiment que cette récente réduction décidée par l'Opep+ se traduira par une baisse nette de la production plus proche de 700.000 b/j, ce qui signifie un total d'environ un million de bp/j en moins affluant de l'Opep+ vers le marché pétrolier dès le mois de mai », calcule de son côté Stéphane Monier.

Cette différence entre la communication sur l'offre et sa réalité est une façon pour l'Opep+ qui ne représente qu'un peu plus de 40% de l'offre pétrolière mondiale de réaffirmer son leadership sur un marché où plusieurs de ses membres (Russie, Venezuela, Iran) se trouvent sous sanctions des Etats-Unis.

Une incitation à accélérer la transition énergétique

« Je ne pense pas qu'une légère hausse du prix du pétrole puisse enrayer la tendance désinflationniste mondiale, à moins qu'ils ne s'approchent des 100 dollars le baril. La trajectoire des marchés du travail constitue un facteur beaucoup plus important dans le combat contre l'inflation », juge Stéphane Monier.

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Une flambée de l'or noir est d'autant moins à redouter que l'Opep+  a augmenté sa capacité de production additionnelle, un facteur de stabilisation des prix. Et le cartel sait également que des prix trop élevés sont le meilleur moyen d'accélérer une transition énergétique qui se passe d'hydrocarbures !

Robert Jules
Commentaire 1
à écrit le 17/04/2023 à 17:30
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Et puis un pétrole cher, c'est écologique. Il faut donc soutenir la politique de L'OPEP+

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