Chine : la chute du géant de l'immobilier Evergrande fragilise Pékin

Le placement en liquidation judiciaire à Hong Kong de l'ex-numéro un mondial de l'immobilier est le dernier épisode de la crise du secteur.
Robert Jules
Constructions inachevées du groupe Evergrande, en périphérie de Shijiazhuang (province du Hebei), le 1er février.
de Shijiazhuang (province du Hebei), le 1er février.
Constructions inachevées du groupe Evergrande, en périphérie de Shijiazhuang (province du Hebei), le 1er février. de Shijiazhuang (province du Hebei), le 1er février. (Crédits : © REUTERS/Tingshu Wang)

« Trop c'est trop ! » a tranché lundi dernier Linda Chan, juge à la tête d'un tribunal de Hong Kong, justifiant la liquidation judiciaire d'Evergrande, pressé par ses créanciers. Si la cession des actifs hong-kongais du groupe symbole de la crise immobilière de la République populaire ne fait pas de doute, qu'en est-il ailleurs ? « Cette décision pose la question de la saisie des actifs d'Evergrande, qui se trouvent à 90 % en Chine continentale, pour rembourser les créances du groupe à Hong Kong, explique François Chimits, analyste au Mercator Institute for China Studies. S'il y a un cadre juridique entre Hong Kong et la Chine continentale qui permet normalement d'appliquer des décisions de justice de l'île sur le continent, dans les faits, cela dépend de la volonté de Pékin. »

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Or, les autorités chinoises font preuve de discrétion en matière de crise de l'immobilier. Car ce n'est pas la première fois qu'Evergrande défraie la chronique internationale. En 2021, n'ayant pas honoré des remboursements de dette aux États-Unis, le groupe avait fait défaut avant d'être mis en faillite en 2023. Pourtant, malgré ces vicissitudes, la saga de l'ex-numéro un mondial de l'immobilier se poursuit. Même plombé par une dette colossale de 300 milliards de dollars, il gère encore 240 milliards de dollars d'actifs, essentiellement en Chine continentale, où il se finance principalement en yuans, sous le contrôle strict des autorités.

« Depuis trois ans déjà, l'entreprise semble en voie de restructuration, voire de démembrement, dans un processus qui se fait au ralenti, décrypte Nathan Sperber, docteur en sociologie, chercheur à l'université Fudan de Shanghai de 2017 à 2021. Des gouvernements locaux chinois - villes, districts - prennent le contrôle des projets de construction qu'Evergrande ne peut plus financer. Différents organes gouvernementaux, au niveau local, lui imposent des instructions de façon informelle. Son fondateur et patron, Xu Jiayin, est sous contrôle policier. » Le spécialiste ajoute : « Cela fait longtemps qu'Evergrande n'a plus son destin en main et n'opère plus comme un acteur économique indépendant. »

Le passé glorieux du groupe est lié au boom de l'urbanisation et de la construction d'infrastructures qui ont, pendant des décennies, fait de l'immobilier un des moteurs de la croissance de l'empire du Milieu et qui lui ont permis de se hisser au rang de deuxième économie du monde. Le secteur pèse 30 % du PIB du pays, contre 17 % aux États-Unis. Il est aussi un vecteur d'épargne pour les ménages chinois, qui y investissent 80 % de leur richesse, notamment en raison de la faiblesse de la couverture sociale.

L'immobilier est un vecteur d'épargne pour les ménages chinois, qui y investissent 80 % de leur richesse

Les déboires d'Evergrande et d'autres entreprises du secteur comme Country Garden ont d'ailleurs provoqué la colère de certains acheteurs particuliers. « Le Parti communiste, particulièrement sensible au risque d'instabilité sociale, a apporté une réponse en demandant au secteur bancaire de fournir les ressources financières pour achever et livrer les constructions de logements financés par avance sur plan », indique François Chimits.

La décision lundi du tribunal de Hong Kong a également ravivé les craintes que les problèmes s'étendent au système financier international. « Ce ne sera pas une faillite à la Lehman Brothers [banque américaine dont la disparition en septembre 2008 avait transformé la crise des subprimes en crise financière systémique mondiale], mais plutôt un long dépècement organisé et coordonné à différentes échelles - nationale, provinciale, municipale - par la bureaucratie chinoise et les créanciers, en particulier les banques », explique Nathan Sperber. Pour l'expert, il ne devrait donc pas y avoir de contagion financière incontrôlée : « Les créanciers domestiques d'Evergrande, en partie des acteurs étatiques, comme des banques publiques, sont déjà étroitement impliqués dans ce processus de restructuration, ou de démembrement, de l'entreprise. »

Si le risque systémique n'est pas à craindre, l'impact pourrait néanmoins se transmettre par d'autres canaux. « L'exposition du monde au secteur financier chinois est limitée, les déboires d'Evergrande n'auront pas d'effet direct, considère François Chimits. En revanche, cela peut avoir un effet indirect avec la perte de confiance des investisseurs envers l'économie de la Chine. Ce qui contribuera à amplifier ses difficultés et pèsera sur la croissance mondiale. »

Vendredi, le Fonds monétaire international (FMI) a estimé à 4,6 % la hausse du PIB de la Chine en 2024, qui devrait continuer à ralentir à 3,5 % à l'horizon 2028, reléguant les croissances à deux chiffres du début des années 2000 au rayon des souvenirs, quand la Chine était la locomotive de l'économie mondiale.

Contrairement à ce qui s'était passé en 2008, le Parti communiste n'a pas lancé un plan de relance massif après la fin de la politique « zéro Covid » en 2022. « Ce qui a surpris les observateurs est la détermination des autorités en 2023 à vouloir mettre à bas l'ancien modèle de croissance fondé notamment sur l'immobilier, constate François Chimits. Alors qu'on s'attendait à des mesures de relance dans tous les secteurs, les autorités ont choisi de faire de la consolidation budgétaire. En 2023, la Chine a ainsi réduit d'environ 1 à 2 points de PIB son déficit budgétaire par rapport à 2022. »

Ce choix politique est guidé par la volonté du Parti communiste de réorienter le modèle de développement afin qu'il soit moins dépendant des exportations et de l'immobilier. Un objectif inscrit dans les derniers plans quinquennaux mais qui rencontre des résistances internes. « Les autorités ont mis au pas certains acteurs comme les promoteurs immobiliers, les gouvernements provinciaux, les banques et les investisseurs locaux, qui étaient les maîtres d'œuvre de l'ancien modèle de croissance, explique François Chimits. Elles ne veulent pas que se reproduisent les gabegies de la décennie précédente et visent toujours à rééquilibrer leur modèle de développement en l'appuyant sur la consommation domestique alimentée par la compétitivité, l'innovation, les profits et le progrès technologique. » Avec un bémol toutefois sur la route du changement. La confiance des investisseurs et des ménages est en effet grevée par le secteur de l'immobilier.

Robert Jules
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