Conflit israélo-palestinien : « À chaque guerre à Gaza, nous sommes déchirés »

La minorité arabe d’Israël condamne les attaques terroristes et les opérations de Tsahal mais préfère souvent garder le silence par peur des représailles.
Loui Haj (à g.), ancien cadre supérieur d’Apple, habitant d’Acre, et Mohammad Darawshe, responsable de la fondation Givat Haviva, dans les collines de Nazareth, vendredi.
Loui Haj (à g.), ancien cadre supérieur d’Apple, habitant d’Acre, et Mohammad Darawshe, responsable de la fondation Givat Haviva, dans les collines de Nazareth, vendredi. (Crédits : ⓒ Rafael Yaghobzadeh pour La Tribune Dimanche)

AMIR BADRAN NE DÉCOLÈRE PAS.

Escorté cette semaine par une vingtaine de volontaires pour coller des affiches appelant à l'arrêt de la violence et du racisme, sur la rue principale de Jaffa, cet avocat a dû renoncer à devenir le premier candidat arabe à briguer la mairie de Tel-Aviv. Initialement prévues à la fin du mois, les élections municipales ont été reportées à fin janvier. Dans ce quartier du sud de Tel-Aviv peuplé à 26 % de résidents arabes, Amir Badran enrage de ne pouvoir exprimer sa douleur. Au lendemain du 7 octobre, l'homme a pourtant lancé une initiative de « garde civile » pour éviter un soulèvement ou des affrontements de sa communauté avec leurs concitoyens juifs, comme ceux de mai 2021, lors du dernier conflit militaire entre l'État hébreu et le Hamas.

« Si des Arabes d'Israël, ou des Palestiniens d'Israël, comme on s'appelle aussi, manifestaient contre l'opération menée par le gouvernement israélien à Gaza, confie Amir Badran, ils se feraient arrêter. » L'avocat condamne « sans ambiguïté » le massacre des civils en Israël, mais aussi « la politique de vengeance » menée par le gouvernement israélien à Gaza. « Près de 200 000 Gazaouis sont originaires de Jaffa. La situation est difficile à vivre pour nous qui nous retrouvons des deux côtés du conflit. Les Arabes israéliens craignent de s'exprimer de peur d'être désignés comme traîtres ou fauteurs de troubles. »

Amir Badran n'est pas le seul à évoquer le malaise vécu par la minorité arabe. Pour la plupart musulmans, les Arabes d'Israël descendent des Palestiniens expulsés ou qui ont dû fuir leur maison à la création de l'État d'Israël en 1948. Par souci de sécurité et d'éthique, ils sont exemptés du service militaire obligatoire, à l'exception des Druzes. Aujourd'hui, beaucoup se retranchent dans le silence. Même si selon l'un des rares sondages, effectué par le chercheur Nimrod Nir de l'université hébraïque de Jérusalem les 11 et 12 octobre, 80 % des Arabes d'Israël disent réprouver l'assaut surprise du Hamas et 85 % l'enlèvement de civils. 66 % estiment aussi que l'État d'Israël a le droit de se défendre.

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« Chasse aux sorcières »

« La minorité arabe a payé un lourd tribut lors des attaques du Hamas, avec près de 30 tués et une dizaine d'otages à Gaza », confie Mohammad Darawshe, responsable de la fondation Givat Haviva, émanant du mouvement des kibboutz et qui œuvre dans l'éducation au rapprochement entre Juifs et Arabes. Depuis son domicile situé en bordure de Nazareth, l'homme juge que sa communauté n'a rien à prouver. Il a lui-même perdu son cousin ambulancier de 23 ans. Awad a été tué le 7 octobre alors qu'il portait secours aux festivaliers de Tribe of Nova dans le désert du Néguev.

Mohammad Darawshe tient à énumérer la proportion des Arabes israéliens au sein de certaines professions : le tiers du personnel médical, 55 % des pharmaciens, la moitié des conducteurs de bus du pays.

« Malgré leur peine ressentie pour les civils bombardés ou les déplacés à Gaza, ils répondent tous présent, précise-t-il. C'est la meilleure preuve de solidarité. » Pourtant, depuis trois semaines, il ressent une atmosphère d'intimidation ou, pire, une sorte de « chasse aux sorcières » : arrestations d'activistes arabes israéliens pour des posts interprétés comme favorables au Hamas, pertes d'emploi.

« Tragédie insupportable »

« À chaque guerre à Gaza, nous sommes déchirés, pointe Loui Haj, un ancien cadre supérieur d'Apple qui habite à Acre. Cette fois, c'est différent : il est impossible de ne pas condamner la boucherie du 7 octobre, et on ne peut pas manifester aujourd'hui contre la guerre menée par le gouvernement le plus extrémiste de l'Histoire alors que tous les Israéliens enterrent toujours leurs morts. » Mais dans la nuit de vendredi à samedi, quand Tsahal a commencé à élargir ses opérations terrestres dans l'enclave palestinienne, l'émotion l'a submergé. « Je suis dévasté par les atrocités indescriptibles commises par le Hamas contre mes concitoyens et mes amis juifs, aussi proches que ma chère famille. Mais la perte écrasante de vies civiles innocentes à Gaza me remplit d'une profonde tristesse. La dévastation à laquelle sont confrontés les plus vulnérables, y compris les réfugiés vivant dans des conditions désastreuses en raison des pressions exercées par mon pays [Israël] et de l'emprise sanglante Hamas à l'intérieur de Gaza, est une tragédie insupportable. »

Commentaires 2
à écrit le 02/12/2023 à 18:42
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La démocratie est devenue est de tuer les citoyens par milliers par jour a GAZA La démocratie est devenue donner un cheque a blanc par les USA a Israël cette démocratie aujourd'hui a fait naitre une haine cette haine a fait naitre la violence en...

à écrit le 29/10/2023 à 9:40
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Une pensée émue à tout ces juifs qui pleurent les morts d'un camp comme de l'autre, c'est ça l'humanité, et ils sont bien plus nombreux que les journalistes des plateaux télé. Merci beaucoup pour cet article serein, autant dire que c'est très rare pa...

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