Trouver du pétrole. C'est devenu l'obsession des Etats-Unis depuis la décision mardi du président Joe Biden de cesser d'importer du pétrole russe, ce qui a fait s'envoler le cours du baril sur les marchés jusqu'à 133 dollars en séance mardi. Alors que se profilent les élections de mi-mandat, le président américain craint que sa fragile majorité démocrate à la Chambre ne soit renversée par le vote des automobilistes américains qui grognent contre la cherté de l'essence. En Californie, le gallon (3,78 litres) s'affiche jusqu'à 5 dollars, un prix rarement vu dans le pays le plus consommateur de pétrole au monde.
L'administration Biden a déjà repris contact avec le Venezuela, à qui elle impose un embargo sur leurs exportations pétrolières depuis 2019. L'Iran est aussi une piste prometteuse à condition qu'un accord soit trouvé sur le dossier nucléaire, mais les discussions s'éternisent en raison des exigences de la Russie.
Une capacité d'augmentation de 2,1 mbj pour les Saoudiens
Hormis les Etats-Unis, les pays pouvant augmenter leur production sont rares, et se trouvent au sein de l'Opep+, qui regroupe les membres de l'Opep auxquels s'ajoutent 10 pays exportateurs non-membres parmi lesquels la Russie, l'Azerbaïdjan, le Kazakhstan, la Malaisie ou encore le Mexique. Ce sont surtout les Emirats Arabes Unis (EAU), qui se sont abstenus lors du vote à l'Onu sur la résolution condamnant l'invasion russe de l'Ukraine, et l'Arabie Saoudite qui ont des capacités.
Selon le dernier rapport mensuel (février) de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), l'Arabie Saoudite peut immédiatement ajouter 1,2 million de barils par jour (mbj), une capacité qui peut monter à 2,1 mbj sous 90 jours. Pour les Émirats, le potentiel à court terme est de 600.000 barils par jour, et de 1,2 mbj sous 90 jours. Au total, l'Opep+ pourrait théoriquement pomper 2,2 mbj à court terme et 5,1 mbj sous 90 jours, en ajoutant les hausses marginales de l'Irak, du Koweït et de la... Russie.
Or, selon des informations révélées par le Wall Street Journal (WSJ), tant le leader des EAU, Mohammed ben Zayed, que celui de l'Arabie Saoudite, Mohammed ben Salmane, refusent de s'entretenir avec l'hôte de la Maison Blanche. Il est de notoriété publique que contrairement à l'administration Trump, l'administration Biden n'entretient pas de bonnes relations avec Riyad. Toutefois, selon le quotidien financier américain, des rencontres avec les Saoudiens ont commencé le mois dernier. Brett McGurk, le coordinateur du Conseil de sécurité nationale pour le Moyen-Orient, et Amos Hochstein, chargé de l'énergie au département d'État, se sont tous deux rendus à Riyad pour retisser les liens. Brett McGurk a également rencontré le cheikh Mohammed à Abou Dhabi.
Trois conditions
Il en ressort que les Saoudiens ont posé leurs conditions pour augmenter leur offre pétrolière : un appui technologique et le partage d'informations pour soutenir leur intervention militaire dans la guerre civile au Yémen, où ils affrontent des rebelles houthis soutenus par l'Iran, une aide technologique pour développer leur propre programme nucléaire et, last but not least, l'immunité pour le prince héritier Mohamed ben Salmane pour se rendre aux Etats-Unis. Sur le sol américain, plusieurs plaintes ont été déposées contre lui après l'assassinat en 2018 en Turquie du journaliste saoudien réfugié aux Etats-Unis Jamal Khashoggi. A l'époque, le prince héritier avait fait l'objet d'une réprobation internationale sauf par Vladimir Poutine.
Les Emirats Arabes Unis sont dans le même état d'esprit. Présents également militairement sur le terrain au Yémen, ils ont souligné le peu d'engagement américain lorsque leur pays a été récemment la cible des missiles envoyés selon eux par les rebelles houthis.
En outre, les deux pouvoirs du Golfe s'inquiètent d'un retour sur la scène internationale de leur ennemi de toujours, l'Iran, en cas d'accord sur le nucléaire. Et ils comptent bien défendre leurs intérêts dans le nouveau rapport de forces international qui se dessine avec l'invasion russe en Ukraine.
Le respect de l'accord au sein de l'Opep+
Pour le moment, cela n'a pas déclenché d'augmentation de la production pétrolière. Les Saoudiens et les Emiratis rappellent qu'ils sont également liés par l'accord qui régit les relations des pays membres au sein de l'Opep+, qui fixe des quotas de production à chaque membre. Or cette politique a jusqu'ici plutôt bien marché en permettant au baril de passer de quelque 20 dollars en mars 2020 à plus de 120 dollars aujourd'hui.
Évidemment, ce travail - et cet intérêt - commun a rapproché l'Arabie Saoudite de Moscou, avec qui le lien est maintenu, et qui semble aujourd'hui suffisamment solide pour faire patienter la Maison Blanche.