En Russie, le poison lent des sanctions

Si le Kremlin a développé une stratégie de contournement, l’économie du pays commence à en pâtir lourdement.
Robert Jules
Le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, lors d’une visite d’usine d’hélicoptères dans le territoire de Primorsk (Est).
Le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, lors d’une visite d’usine d’hélicoptères dans le territoire de Primorsk (Est). (Crédits : © VADIM SAVITSKII/RUSSIAN DEFENCE MINISTRY/SPUTNIK/ABACA)

Les sanctions imposées à la Russie par les membres du G7, l'Union européenne et leurs alliés vont-elles faire plier Moscou ? Pour le moment, cet objectif n'a pas été atteint, même si la Russie, avec son statut d'État paria, voit son économie accuser le coup. En avril, la Banque centrale du pays avait prévu une croissance de 4,9 % pour cette année ; elle table désormais sur une fourchette entre 1,5 % et 2,5 %. L'institution monétaire a dû relever ses taux à 15 % pour enrayer une inflation qui a atteint 6,7 % en octobre, alors qu'elle n'était que de 2,1 % en avril, en raison de l'affaiblissement du rouble, qui renchérit le prix des importations.

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« Un durcissement des sanctions n'appellerait probablement qu'une plus grande ingéniosité à les contourner, estime Laurence Daziano, maître de conférences en économie à Sciences-Po. Les effets ne se feraient pas sentir dans le temps nécessaire pour avoir une influence sur l'ouverture de négociations. »

L'UE s'inscrit précisément dans ce long terme. « Les sanctions poursuivent trois objectifs, rappelle David O'Sullivan, envoyé spécial pour les sanctions de l'UE : priver la Russie des technologies critiques et réduire sa capacité à mener la guerre de façon technologiquement sophistiquée, compromettre sa capacité à financer la guerre et affaiblir sa base industrielle à court et à moyen terme. »

Ainsi, sur la liste des 7 500 produits soumis à sanctions, la priorité a été donnée aux puces électroniques et aux mémoires flash pour affaiblir le potentiel militaire russe en le privant des technologies critiques nécessaires au matériel militaire de pointe. « Sur le champ de bataille, il s'agit de donner un avantage technologique à l'Ukraine qui bénéficie de l'appui technologique des États-Unis et des pays de l'Union », explique le responsable européen.

Pour contourner l'interdiction, la Russie importe ces composants électroniques utilisés aussi dans des produits de consommation courante, qu'elle détourne grâce à une réorientation des chaînes d'approvisionnement via des pays tiers non signataires de l'accord sur les sanctions comme le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, l'Arménie, la Turquie, la Géorgie, la Serbie ou encore les Émirats arabes unis. Ces derniers ont d'ailleurs vu leurs relations commerciales s'intensifier avec la Russie depuis la guerre. L'UE et les États-Unis informent les gouvernements de ces circuits pour les démanteler, agitant le risque réputationnel et l'extraterritorialité du droit américain. En début de mois, le Trésor américain a sanctionné 130 entreprises dont certaines en Turquie, aux Émirats arabes unis et en Chine, pays qui se sont transformés en « nœuds commerciaux d'exportation, de réexportation et de transfert vers la Russie de technologies et équipements étrangers ». Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a qualifié la mesure de « très forte » et de « nécessaire », estimant que ce nouveau train de sanctions américaines visait des « secteurs critiques pour l'économie » russe.

Il s'agit de limiter la capacité de reconstruire une puissance militaire à même de lancer des offensives

David O'Sullivan, Envoyé spécial pour les sanctions de l'UE

L'objectif est de rendre plus compliquée, plus longue et plus chère l'obtention de ces produits pour la Russie, même à travers sa stratégie de contournement. Les entreprises des pays de l'UE peuvent d'ailleurs sans le savoir participer à de tels circuits, certains membres ayant obtenu des dérogations dans leurs relations avec le Kremlin avant de signer l'accord sur les sanctions. Accord pour lequel un vote à l'unanimité des Vingt-Sept est requis. « Ces sanctions ont surtout un impact sur les pays européens qui avaient tissé des liens économiques et commerciaux et des liens de dépendance énergétique avec la Russie », rappelle Laurence Daziano.

Un autre volet vise l'exportation de matières premières. Les diamants viennent d'être sanctionnés, mais pas encore l'uranium enrichi livré aux États-Unis. Le pétrole et le gaz livrés par gazoduc, première source de revenus du pays, sont soumis à un embargo européen. Les pays du G7 et leurs alliés ont imposé en décembre 2022 un plafonnement du prix du baril de brut à 60 dollars, entraînant une baisse des revenus pétroliers de 47 % sur les six premiers mois de l'année par rapport à la même période de 2022. L'année dernière, la Chine et l'Inde se sont substitués aux pays de l'UE, premiers acheteurs avant la guerre. Moscou a trouvé des moyens de contournement : achat d'une flotte fantôme de vieux tankers pour disposer de ses propres moyens maritimes, transvasement dans les eaux territoriales, falsification de documents d'assurance, gonflement des prix du transport pour rester sous les 60 dollars le baril.

Reste le troisième objectif, affaiblir durablement l'économie russe pour peser sur sa politique expansionniste à l'échelle internationale. Quelque 1 000 entreprises occidentales ont quitté la Russie ; 1 à 2 millions de Russes parmi la population la plus jeune, la mieux formée et la plus éduquée ont émigré. Des forces vives qui manqueront demain au pays. « Il s'agit de limiter la capacité de reconstruire une puissance militaire à même de lancer des offensives telles que nous l'avons vu en Ukraine », assure David O'Sullivan, qui souligne qu'« aujourd'hui 30 % des dépenses publiques sont consacrées au secteur militaire, ce qui représente l'équivalent de 6 à 10 % du PIB, au détriment du social, de l'éducation, de la santé, et des investissements en R&D ». En attendant, et malgré les sanctions, le cap est bien orienté sur la guerre : les députés de la Douma viennent de voter une hausse du budget de la défense de près de 70 % pour 2024. ■

Robert Jules
Commentaires 10
à écrit le 13/11/2023 à 8:46
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Chacun son opinion car on est sur du subjectif a ce niveau vu la propagande et la désinformation sur tout ce qui touche a cette guerre. Pour ma part je pense que ça va renforcer le pays et on aurait besoin chez nous de ce genre d'embargo pour reconst...

à écrit le 12/11/2023 à 23:53
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Et la croissance de l'europe, c'est combien ?

à écrit le 12/11/2023 à 18:11
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@Réponse de PM Faut peut être pas pousser le bouchon trop loin... La Russie arrive à produire autre chose que de l'alcool de patate ! Par exemple la moitié des projets de construction de centrales nucléaires dans le monde vont être réalisés ...

à écrit le 12/11/2023 à 6:41
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La Russie va gagner la guerre en Ukraine

le 12/11/2023 à 10:51
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Si est ce qu elle aura gagné ? Un boycott économique et touristique du pays , Des centaines de milliers de jeunes morts , 2 millions de cerveaux partis a l étranger une population vieillissant plus Rapidement qu en Occident, des retards technologiq...

le 12/11/2023 à 10:54
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Qu est ce qu elle aura gagné ? Un boycott économique et touristique du pays , Des centaines de milliers de jeunes morts qui manqueront comme main. D’œuvre et cotisations impositions , 2 millions de cerveaux partis a l étranger qui ne reviendront ce...

le 12/11/2023 à 14:50
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@ @charlie Vous oubliez le Nord Est de la Russie; laquelle est bien plus proche de Pékin que de Moscou. Et au rythme actuel des échanges commerciaux avec les chinois la Russie va encore se rabougrir. Pour l'instant sur son territoire, elle héberge 2 ...

le 12/11/2023 à 19:42
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Elle l'a gagné...

le 12/11/2023 à 21:25
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@Charlie Souvenez vous, combien de pays on gagne la guerre et ont fini par retourner chez eux?

le 12/11/2023 à 23:14
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20 % du territoire annexé qui produit 40% des richesses du pays La population Ukrainienne qui est passée de 40 millions a 20 la population étant réfugiée en Occident ou en Russie ,oui l Russie a gagné !

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