« Get Brexit done ». Le slogan de Boris Johnson lors de sa campagne législative de 2019 avait le mérite de la clarté. De l'efficacité aussi pour séduire une opinion publique lassée par les tergiversations post-référendum de Theresa May sur la forme que prendrait le Brexit, sans cesse repoussé à cause d'interminables négociations avec Bruxelles. Porté par sa formule-programme, le succès dans les urnes de Boris Johnson a été total à l'automne 2019. Le parti conservateur a remporté la majorité des sièges à la Chambre des communes.
La promesse d'acter la sortie de la Grande-Bretagne du Royaume-Uni, devenue effective en janvier 2021, a été tenue par Boris Johnson. « Il restera comme le premier ministre qui a réalisé le Brexit et éviter un no-deal avec l'Union européenne grâce à un traité qui pose les bases des futures relations avec l'Union européenne mais doit être complété. Cela ne se fera pas en deux ou trois ans », estime le président de l'Observatoire du Brexit Aurélien Antoine, professeur de droit public à l'université Jean-Monnet de Saint-Etienne.
L'après Brexit fut plus chaotique. Loin de permettre au Royaume-Uni de libérer « tout son potentiel » une fois affranchi du carcan européen comme le prétendait l'ancien maire de Londres, le pays pâtit désormais des retombées négatives du Brexit. Les chaînes d'approvisionnement, irriguées pendant des décennies en marchandises et en main d'œuvre venus d'Europe, se sont taries et sont profondément désorganisées depuis la sortie du Marché commun. Une situation aggravée aussi, il est vrai, par l'engorgement généralisé de la logistique mondiale et la guerre en Ukraine.
Économie désorganisée
A l'automne 2021, le manque de 100.000 chauffeurs de camions, après le départ des routiers venus d'Europe de l'Est, a provoqué des pénuries inédites de produits dans les rayons alimentaires et d'essence de stations-service... finalement ravitaillée par l'Armée. Les pénuries alimentaires restent à l'ordre du jour, le gouverneur de la Banque d'Angleterre qualifie la situation dans les supermarchés d'apocalyptique. Tout comme dans les aéroports ou les transports bousculés par le manque de personnel. Moteur de l'économie londonienne et britannique, la City, place forte de la finance mondiale, n'a pas subi le « Brexodus » (exode des talents vers le continent à cause du Brexit). Si elle conserve son attractivité, Boris Johnson et son ministre des Finances Rishi Sunak ne sont pas parvenus à arracher à l'Union européenne la fameuse « équivalence ». Cette autorisation légale permettrait aux banques de la City d'opérer sur le marché européen sans y posséder de succursale... comme quand elles faisaient partie du Marché commun.
La période coïncide avec le retour de l'inflation, hors de contrôle. Elle atteint +9,1% en mai sur un an, un record en quarante ans, quand la croissance marque le pas depuis le début de l'année 2022. Sur ce dossier brûlant, l'économie britannique subit comme d'autres nations les affres de la conjoncture mondiale, déstabilisée aussi par l'engorgement généralisé de la logistique mondiale et la guerre en Ukraine. « Le problème de Boris Johnson, c'est d'avoir refusé de dire que l'adaptation de l'économie au Brexit prendrait du temps, serait difficile à court terme par posture politicienne avec son discours sur l'opportunité formidable que le Brexit était censé représenter dans son discours », observe Aurélien Antoine.
Au-delà de ces difficultés conjoncturelles, Boris Johnson a commencé s'attaquer aux carences structurelles de l'économie britannique notamment le manque d'infrastructures et de services publics dans le cadre des programmes de relance post-Covid, dont 70 milliards dans les transports, et 50 milliards dans l'énergie financés à moitié par le public et le privé. Le gouvernement de Boris Johnson a donné le feu vert au projet de ligne ferroviaire à grande vitesse reliant Londres au Nord du pays, chantier emblématique du « rééquilibrage » des dépenses publiques en faveur des anciens bastions ouvriers du Nord. « Par ses dépenses pour le NHS (l'hôpital public), la police et les infrastructures, Boris Johnson a investi beaucoup plus que ce qu'on aurait pu attendre d'un premier ministre conservateur », observe Aurélien Antoine, président de l'Observatoire du Brexit.
Le risque de fracturation interne du Royaume demeure
A l'Ouest du Royaume, l'ancien journaliste Boris Johnson n'a pas soldé les problèmes nés du Brexit en Irlande du Nord. S'il a évité le rétablissement de la frontière dure entre les deux Irlandes, son choix de déporter la frontière entre la république d'Irlande et l'Irlande du Nord, qui est aussi une frontière UE-Royaume-Uni, en mer du Nord ne satisfait pas les unionistes alliés des conservateurs britanniques. Ces derniers disent craindre une fracturation interne au Royaume-Uni avec cette nouvelle frontière maritime, qui marginalise l'Irlande du Nord.
Autre risque, celui d'une sortie de l'Ecosse qui réclame son indépendance par la voix de sa première ministre Nicola Sturgeon, insatisfaite que le Brexit boute l'Ecosse hors de l'Union européenne. « Dans la continuité des gouvernements britanniques depuis 10 ans, Boris Johnson n'a tendu aucune main à Edimbourg à qui il aurait pu accorder une autonomie sur certains dossiers, comme sur les lois fiscales », estime Aurélien Antoine. L'expert du Royaume-Uni juge cependant que sur le sujet de l'immigration Boris Johnson « a rempli son engagement ». Le premier ministre a scellé en juin un accord avec le Rwanda, qui permet de rerouter les immigrants illégalement entrés au Royaume-Uni vers le Rwanda où ils resteront le temps que leur demande d'immigration soit traitée.
« La politique de Boris Johnson a été pleine de paradoxe, d'ambivalence. Mais finalement il est destitué pour sa méthode personnelle de gouvernement plus que pour ses orientations politiques. Son successeur conservateur maintiendra probablement ces orientations », conclut le président de l'Observatoire du Brexit.