
Un ancien banquier d'affaires, formé dans les meilleurs établissements de son pays, qui ne se satisfait plus de son portefeuille de ministre de l'Economie et des Finances, trahit son mentor et se lance à l'assaut de la magistrature suprême. Les similitudes entre l'ascension de Rishi Sunak et celle d'Emmanuel Macron sont frappantes. Révélatrices, aussi, d'une nouvelle génération de dirigeants qui a fait ses classes dans la haute finance entre Paris et Londres, Singapour et San Francisco. Avant de songer à la politique comme on ajoute une ligne à un CV déjà éloquent.
Au-delà d'un cursus honorum calqué sur celui du président de la République française, l'histoire de Rishi Sunak a des allures de « rêve britannique », une formule signée The Economist à relativiser car les origines sociales de Sunak n'ont rien de modeste. Néanmoins, le parcours singulier de l'ancien Chancellor of the Exchequer représente une force dans la campagne qui l'oppose à Liz Truss, son ex-collègue des Affaires étrangères au gouvernement.
Favori annoncé puis secoué dans les sondages
Les couloirs de Westminster bruissent de longue date du nom de Sunak comme successeur annoncé d'un Boris Johnson mis à genoux par les scandales. Le 2 juillet, la démission fracassante de Rishi Sunak dans une lettre rendue publique lui porte le coup de grâce. Celui qui est député depuis 7 ans a définitivement adopté les mœurs politiciennes, parfois cyniques mais indispensables à qui veut marcher dans les pas de Margaret Thatcher ou Tony Blair.
C'est à Southampton, ville portuaire du Sud de l'Angleterre, qu'a grandi l'aîné d'une fratrie de trois enfants, élevée au sein d'une famille de médecins d'origine indienne arrivés en Grande-Bretagne dans les années 1960. Quand il n'étudie pas au so british internat de Winchester College, établissement où sont passés nombre de premiers ministres et politiciens britanniques, le jeune homme travaille dans l'officine de sa mère pharmacienne. Il y tient les comptes.
Son aisance avec les chiffres et les affaires s'affirme à Oxford. Puis dans la banque américaine Goldman Sachs où il officie comme analyste pendant trois ans avant de s'envoler pour l'université Stanford aux Etats-Unis. Sur les bancs de la meilleure faculté californienne, le Britannique suit un MBA (Master in Business Administration), diplôme idéal pour s'ouvrir les portes de l'élite économique mondialisée, étoffer son réseau professionnel... et personnel. A San Francisco, Sunak noue une idylle avec sa future épouse Akshata Murty, héritière d'une grande fortune indienne. Son père a fondé le géant informatique Infosys dont elle possède des parts évaluées à 430 millions de livres.
Richissime par sa réussite (et son mariage)
A son retour sur les bords de la Tamise, un fonds spéculatif l'embauche, il s'y forme et monte son propre hedge fund. Richissime par sa réussite (et son mariage) à 35 ans, le golden boy éprouve peut-être le sentiment d'avoir fait le tour de la City. Vient l'heure de s'intéresser à la vie de la cité.
En politique, son premier fait d'armes ne tarde pas. Parachuté dans le Yorkshire en 2015, il y est élu député d'une circonscription désindustrialisée du Nord. Il devient l'un des plus jeunes, et le plus riche, membre de la Chambre des communes.
A l'image du Parlement, le Royaume-Uni se déchire à ce moment précis autour du référendum de 2016 sur la sortie de l'Union européenne. Le « maharadja du Yorkshire », titre mi-pompeux mi-ironique que lui donne la presse britannique, prend alors fait et cause pour le Brexit. Un positionnement clair, validé par le référendum victorieux des Brexiters, qui fait encore sa popularité aujourd'hui quand sa concurrente Liz Truss avait soutenu le maintien dans l'UE.
Réélu en 2017, son envol politique se poursuit de cabinet en sous-secrétariat sous Theresa May. Jusqu'à être nommé ministre des Finances après le triomphe de Boris Johnson aux élections législatives de 2019. Très exposé, le poste fait figure de tremplin vers le 10 Downing Street. Sa prochaine étape sur un itinéraire doré ?
Loin de lui être reprochée, comme cela arrive encore à Emmanuel Macron en France, l'expérience de Rishi Sunak à la City sert sa crédibilité vis-à-vis des électeurs tories. Le scrutin, organisé du 5 août au 5 septembre, doit trancher l'identité du futur premier ministre, les conservateurs ayant la majorité au Parlement jusqu'aux prochaines élections générales du printemps 2024.
Son parcours: une force pour surmonter trois handicaps
« Le parcours professionnel de Sunak lui donne une grande légitimité dans la gestion des dossiers économiques. Avoir été banquier d'affaires est perçu comme un atout en Grande-Bretagne. On le qualifie d' "homme de Davos". Dans la bouche des Britanniques, cela sonne comme un compliment. En tant que financier, il a l'image d'un homme pragmatique, sérieux et cohérent. Cette image est renforcée par son bilan de ministre des Finances jugé positif lors de la pandémie où il a mis en place les dispositifs d'indemnisation des salariés et des entreprises », rapporte à La Tribune Sophie Loussouarn, universitaire spécialiste du Royaume-Uni.
Pendant la pandémie, Sunak s'est illustré comme un partisan des restrictions les plus légères possibles, soucieux de ne pas briser la croissance. Si sa compétence économique est avérée, sera-t-elle suffisante pour l'emporter contre Liz Truss ? Les deux finalistes de la primaire conservatrice s'affrontent principalement sur leur programmes économiques et surtout fiscaux, questions brûlantes chez les 170.000 adhérents au Parti tory appelés à voter.
Ici, il ne s'agit guère de convaincre tout le peuple britannique mais les 170 000 membres du Parti conservateur. Une base militante « essentiellement masculine, aisée, âgée et installée majoritairement dans le Sud du pays » d'après l'historienne de la Grande-Bretagne Sophie Loussouarn qui pointe le retard du quadragénaire dans les sondages sur Liz Truss. Qu'elle ne juge pas insurmontable.
« Sunak a trois handicaps : il souhaite augmenter les impôts dans l'immédiat alors que sa rivale Liz Truss s'engage à les baisser, il est perçu comme un traître à la suite de sa démission le 5 juillet du gouvernement de Boris Johnson qu'il a accusé de manquer d'intégrité, enfin son épouse Akshata Narayan Murty bénéficie d'un statut de non résident fiscal au Royaume-Uni, en tant qu'actionnaire d'Infosys, l'entreprise multinationale indienne créée par son père », note la professeure à l'université Jules-Verne d'Amiens.
« Thatchérisme de bon sens »
C'est d'ailleurs à Grantham, bourgade de naissance de Thatcher, qu'il a effectué son premier déplacement de campagne en juillet. La dame de fer demeure une figure politique révérée au Panthéon des conservateurs. Pour autant, la brutalité des coupes sociales qu'elle a imposées expliquent encore pour partie les carences du NHS (système hospitalier national). La pandémie les a crûment mis en lumière. Une tâche sur son héritage politique aux yeux de certains Britanniques.
Plus mesuré et consensuel, Sunak prône un abscons « thatchérisme de bon sens ». Comprendre : un libéralisme pragmatique qui ne casse pas les services publics tout en s'attachant à l'équilibre des caisses de l'Etat. Le fait de convoquer le nom de Margaret Thatcher tient aussi à la conjoncture économique, semblable à celle du début des années 1980 avec une inflation au-dessus de 10% (9,4% sur un an à l'heure actuelle et 13% attendus en octobre par la Banque d'Angleterre) qu'était parvenue à endiguer la première femme à accéder aux responsabilités de Premier ministre.
« Notre priorité numéro 1 est de lutter contre l'inflation et de ne pas l'aggraver », a déclaré au micro de la BBC Rishi Sunak. Lequel avait tout de même tardé à prendre des mesures contre la hausse des prix, avant de se résoudre à débloquer des dizaines de milliards de livres d'aides aux ménages sous la pression des grèves. Conscient toutefois de l'ardoise que laisse ce plan d'urgence, Sunak s'oppose à une baisse d'impôts à court-terme, lui préférant la promesse de sérieux budgétaire même s'il s'est montré ouvert à une baisse de la TVA sur l'énergie. Une hausse d'autres impôts n'est d'ailleurs pas exclue s'il prend les rênes du Royaume-Uni.
Baisser l'inflation pour baisser les impôts
Son programme : maîtriser l'inflation puis baisser les impôts. « L'ancien ministre des Finances veut attendre que le pic de l'inflation prévu pour la fin de l'été-début de l'automne soit passé pour faire un stimulus budgétaire en réduisant les impôts », analyse la directrice de la recherche économique d'Allianz Trade Ana Boata, experte de l'économie britannique. En contrepied, Liz Truss fustige une politique qui aboutirait selon elle à « la récession » et propose une réduction immédiate de taxes.
L'ancienne cheffe de la diplomatie britannique compte se démarquer grâce à sa stature internationale. A la tête du Foreign Office, cette autre admiratrice de Margaret Thatcher, qui s'autorise à copier certaines tenues de l'Iron Lady, a pris des positions martiales sur Taïwan, la Chine et l'invasion de l'Ukraine décidée par Vladimir Poutine.
Davantage identifié sur l'économie, Sunak tente également de faire entendre sa voix sur les enjeux géopolitiques. « La Chine est la plus grande menace à long-terme pour le Royaume-Uni », a clamé celui qui s'engage à fermer les 30 instituts Confucius du pays soupçonnés de propagande pro-chinoise et d'espionnage. Une posture intraitable afin de durcir son image lisse, soignée à la manière de sa coupe en brosse. Sunak l'a sciemment construite via une abondante communication sur les réseaux sociaux.
Sur son profil Twitter défilent des clichés de sa famille, de son enfance avec des traits d'humour ou de ses sessions de télétravail dans son salon en sweat à capuche. Clin d'oeil involontaire aux photos publiées par l'Elysée d'un Emmanuel Macron mal rasé vêtu d'une veste de sport en session travail du dimanche. Peut-être les deux hommes auront-ils l'occasion de se croiser à la table des puissants dans les semaines à venir. Cela marquerait pour Sunak à seulement 42 ans l'apogée d'une carrière politique aussi fulgurante que le fût sa réussite dans les affaires.
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