L’Ukraine ordonne le blocage de plusieurs sites et réseaux sociaux russes

La présidence ukrainienne a publié ce mardi 16 mai un décret interdisant l'accès à certains sites et réseaux sociaux russes. La décision suscite le mécontentement des 25 millions d'utilisateurs ukrainiens et provoque la colère des défenseurs des droits de l'Homme.
"C'est le jeu préféré du gouvernement ukrainien: se tirer une balle dans le pied," explique le ministre russe de la communication Alexei Volin, au sujet du décret de Petro Porochenko sur le blocage de certains sites internet russes en Ukraine.

"Les cyberattaques russes, massives dans le monde entier - notamment leur interférence dans la campagne de l'élection présidentielle française - montrent qu'il est grand temps d'agir différemment et de manière plus décisive." C'est ce qu'affirme le Président ukrainien Petro Porochenko dans un décret publié ce mardi 16 mai. Le sujet de cette ordonnance ? Renforcer les anciennes sanctions et interdictions de 1.228 individus et 468 entreprises russes sur le territoire ukrainien. Mais, nouveauté, Porochenko interdit désormais l'accès à de nombreux sites internet et réseaux sociaux russes. La mesure pourrait pousser la Russie à retirer ses troupes du territoire et à cesser l'agression dont l'Ukraine est victime.

Cette guerre entre l'Ukraine et la Russie, qui a fait plus de 10.000 morts depuis trois ans, bien qu'elle ne fasse plus récemment la Une de l'actualité, persiste. Elle se développe désormais de plus en plus à travers des offensives virtuelles et des cyberattaques, nouvelles armes technologiques d'aujourd'hui.

"Les challenges de cette guerre hybride demandent des réponses adéquates," explique M. Porochenko sur sa page VK (VKontakte), l'équivalent de Facebook en Russie.

> Lire aussi : L'Ukraine a-t-elle été victime de 6.500 cyberattaques russes en deux mois?

VK et Odnoklassniki, les "Facebook russes", seront donc concernés par cette démarche, mais aussi le moteur de recherche Yandex, très populaire à New York, la messagerie en ligne Mail.ru du milliardaire Alicher Ousmanov et le laboratoire Kaspersky spécialisé en antivirus. Résultat: le troisième site le plus consulté d'Ukraine, VK (12 millions d'utilisateurs sur une population de 42 millions) est désormais bloqué.

D'après le Monde, le Conseil de sécurité nationale ukrainien tente de rassurer et explique que cette sanction n'a pas seulement pour but de s'attaquer à l'économie de leur voisin mais de se protéger contre l'infiltration russe qui "menace l'espace informationnel et la cyber sécurité de l'Ukraine."

Toujours d'après un article du Monde,  Yevhen Fedchenko, créateur de "StopFake", un site luttant contre le phénomène grandissant de "fake news", notamment au sujet des événements en Ukraine, ce blocage permettrait de faire barrage à cette guerre d'informations, et serait "la plus grande contribution jamais faite à la souveraineté informationnelle de l'Ukraine".

L'Ukraine, un peu trop semblable à la Russie ?

D'après le ministère russe des Affaires étrangères, "le régime de Kiev se dirige à grands pas vers la construction d'un Etat autoritaire". Le nombre d'interdictions et de sanctions croissant inquiète le peuple ukrainien qui se voit retirer de plus en plus de libertés dans cette guerre économique et informationnelle.

De leur côté, les Russes semblent trouver cette démarche plutôt drôle et ridicule: ils se réjouissent de voir leurs voisins qui, en essayant de tout faire pour ne pas leur ressembler, sont finalement soumis à la même surveillance et aux mêmes restrictions qu'eux. Sur un ton plus sérieux, le porte-parole de Vladimir Poutine, le président russe, n'a pas manqué d'insister sur le fait que son pays "n'avait pas oublié le principe de réciprocité", et qu'il y aura des conséquences à cette sanction.

Cette histoire suscite aussi la colère des défenseurs des droits de l'Homme et de la liberté d'expression.

Tanya Cooper, une chercheuse à Human Rights Watch, s'exprime sur ce décret qu'elle considère comme étant "encore une décision politique mal orientée et un coup terrible porté à la liberté d'internet et à la liberté de l'information en Ukraine."

Mais ce sont les Ukrainiens, notamment les 25 millions d'entre eux qui utilisent ces sites russes, qui sont les plus mécontents de cette situation. D'après un sondage sur le site UNIAN, 66% des 11.000 sondés se sont dit "catégoriquement opposés" à ce décret.

Les sites Internet solidaires avec les utilisateurs

Oksana Romaniouk de Reporters Sans Frontières en Ukraine affiche son indignation sur Facebook en expliquant que cette sanction n'était pas vraiment dirigée contre la Russie mais que "ce sont des sanctions contre les citoyens eux-mêmes". En pleine guerre, ces sites sont un moyen de communication vital pour partager l'actualité et dire au monde ce qu'il se passe réellement en Ukraine.

"Nous ressemblons de plus en plus à la Russie... mais sans pétrole," confirme Mikhaïl Minakov, un philosophe politique qui voit l'Ukraine couler sous le contrôle d'un gouvernement radical et nationaliste, et qui plonge vers un régime beaucoup plus autoritaire.

Par ailleurs, certains n'hésitent pas à commenter sur la quasi impossibilité ou complexité de mettre en œuvre une telle démarche. Ce projet serait très coûteux et prendrait beaucoup de temps à être mis en place.Tous ces efforts pour rien, puisque cette sanction pourra facilement être détournée par les utilisateurs ukrainiens en utilisant des réseaux virtuels privés.

D'après le Guardian, "l'internet, par nature, n'a pas de frontières" a expliqué un porte-parole de VK au journal russe TJournal.

Les réseaux sociaux et sites visés par ce décret ont affirmé, suite à cette annonce, qu'ils viendraient en aide à leurs utilisateurs. Mail.ru a même publié sur son site un guide pour expliquer comment détourner l'interdiction.

Mauvais timing

Ne craignant pas les répercussions financières très minimes qu'aurait ce projet de la présidence ukrainienne sur son chiffre d'affaire, Sergeï Petrenko, l'ancien directeur du groupe Yandex a montré une attitude confiante et pas du tout inquiète à l'égard de ce décret. Il demande ironiquement:  "Personne n'a informé Porochenko que les Ukrainiens changent plus souvent leurs présidents que leurs paramètres de navigateur ?"

Certains soutiennent tout de même cette interdiction dans le contexte conflictuel actuel. D'après le Financial Times, Adrian Karatnycky, qui travaille au Conseil Atlantic, cette décision est "raisonnable", étant donné de la situation de guerre dans laquelle se trouve l'Ukraine.

"Le pays est en guerre avec la Russie. La Russie lance des cyberattaques contre l'Ukraine et il est clair que les sites russes sont sujets au partage d'informations", explique M. Karatnycky.

Ce n'est pas la première fois que le gouvernement ukrainien est critiqué

En 2015, l'Ukraine avait déjà été critiquée pour avoir voulu interdire l'entrée sur son sol à des journalistes, dont la plupart étaient de nationalité russe. De nombreuses censures de livres ou de films avaient fait scandale. Le gouvernement ukrainien a aussi interdit aux compagnies aériennes russes de voler dans son territoire en 2016.

Le pays est même allé jusqu'à bannir certaines personnalités, notamment cette année Ioulia Samoïlova, la candidate russe à l'Eurovision, ou encore Gérard Depardieu, suite à sa demande d'obtention de la nationalité russe.

Pour ce qu'il en est de la situation actuelle, rien n'est encore fait. Les sites russes fonctionnaient encore en Ukraine dans l'après-midi du mardi 16 mai. Ukrtelecom, le principal fournisseur d'Internet du pays a confirmé avoir déjà lancé la procédure de blocage, d'après le site Novoye Vremya.

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