Renouer le dialogue, tel était le but du sommet entre la Turquie et l'Union européenne (UE) mardi 6 avril, alors que les relations sont au plus bas après plusieurs années de durcissement de la politique intérieure turque menée par le président Recep Tayyip Erdogan. Un sommet voulu notamment par le président turc qui a envoyé ces derniers mois plusieurs signes à Bruxelles pour relancer les négociations sur deux points en particulier.
Crise migratoire
Le premier, important également aux yeux de l'Union, touche au très sensible Plan d'Action UE-Turquie et à la « Facilité de l'UE pour les réfugiés de Turquie » établie en 2016 à la suite de la crise migratoire. Ce plan prévoyait 6 milliards d'euros sur 10 ans d'investissements européens en échange du maintien ou du renvoi en Turquie des réfugiés, majoritairement syriens, désirant rejoindre le continent. Les quelque 4 millions de réfugiés syriens présents sur le sol turc depuis le début de la crise migratoire sont en effet régulièrement utilisés comme moyen de pression sur les pays occidentaux pour les dissuader d'appliquer des sanctions à la Turquie, ce qui a fonctionné jusqu'à aujourd'hui. Ankara souhaite donc renouveler cet accord dont la seconde phase vient seulement d'être entamée.
Modernisation de l'union douanière
Le second sujet sur la table des négociations concerne une modernisation de l'union douanière qui unit les deux marchés depuis 1995. C'est un enjeu vital pour la Turquie. L'UE est son premier partenaire commercial, absorbant plus de 41 % de ses exportations en 2020, selon l'agence officielle des statistiques turques. L'économie du pays est fragilisée par un taux d'inflation élevé, une croissance ralentie, et une trop forte dépendance aux investissements étrangers, une situation aggravée par l'impact de la pandémie actuelle. Que plus est, la croissance, avertit le Fond monétaire international (FMI), est majoritairement soutenue par des crédits internationaux, entraînant une dollarisation croissante de l'économie. Cette fragilité économique se conjugue à l'isolement géopolitique du pays dans la région entraîné par ses actions menées en Méditerranée orientale, ses divergences avec la Russie sur la Syrie et la Libye et l'arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche. Cela explique pourquoi Ankara est si désireuse de renouer des liens avec ses anciens partenaires privilégiés que sont les Européens.
Briser l'isolement diplomatique
Outre les échanges commerciaux avec le plus grand marché du monde, ce rapprochement envoie un signal aux marchés internationaux montrant que malgré le renforcement autocratique du pouvoir ces dernières années, la Turquie est un partenaire fiable. « Cet isolement diplomatique n'est pas soutenable, surtout vu l'état extrêmement fragile de l'économie turque », souligne Seda Gurkan, chercheuse à l'Université Libre de Bruxelles et spécialiste des relations UE-Turquie. Elle explique que la reprise du dialogue est également due à la réorientation de la politique de l'UE qui donne la priorités à ses propres intérêts stratégiques sur des considérations comme l'état de la démocratie en Turquie. « Cette politique pragmatique de l'Union convient parfaitement à Erdogan qui d'une part continue à préserver le statu quo dans ses relations avec l'UE et obtient des intérêts financiers et économiques ainsi qu'une légitimité internationale et d'autre part évite les critiques concernant la dérive autoritaire en Turquie », analyse-t-elle.
Si donc Erdogan, comme l'ont largement montré les médias, a pu passer pour rétrograde en refusant un fauteuil à la présidente de l'UE, Ursula von der Leyen, et en la reléguant sur le divan, en revanche, il sort renforcé de ce sommet avec l'UE.