"La Blockchain fluidifiera les échanges économiques entre pays africains"

À l'occasion de l'Africa Blockchain Summit qui se tiendra lundi 14 mai à Tunis, le "serial entrepreneur" Mehdi Houas, ancien ministre tunisien et Président de Talan, nous décrypte les usages présents et futurs de la technologie Blockchain en Afrique.
Laurent Lequien
Mehdi Houas, Président de Talan.
Mehdi Houas, Président de Talan. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Pensez-vous qu'il y ait un intérêt de déployer la technologie Blockchain (BC) en Afrique ?

MEHDI HOUAS - Aujourd'hui, les tiers de confiance existent : ce sont les états, ce sont les établissements financiers, etc. Dans des pays structurés, cela fonctionne bien. La réponse est bien plus nuancée dans des pays moins structurés comme on peut en rencontrer parfois en Afrique.

Si on veut donner l'opportunité aux Africains de créer de la richesse, il faut commencer par l'énergie. Or le continent africain n'est éclairé qu'à 30% de sa capacité. Si je suis en Europe et que je veux augmenter ma capacité énergétique, je n'ai qu'à construire une centrale électrique, les infrastructures existent déjà. Si je suis en Afrique, construire une centrale ne suffit pas : je dois construire la centrale et le réseau de distribution qui va avec. Cela alourdit tellement la facture de manière exponentielle qu'un grand nombre de chefs d'État africains hésite à engager de telles dépenses.

Par contre, si je mets en place des micro-smart grids où tout un chacun peut devenir producteur en construisant localement sa propre usine à énergie -à partir de l'éolien ou du solaire- et si ceux-ci deviennent fournisseurs avec le surplus d'énergie produite non consommée, alors on va se retrouver dans 10 ans avec un système de distribution qui peut fournir de l'énergie à tout un continent. Et là, le protocole BC va permettre simplement de vendre et d'échanger l'énergie sur le réseau.


Le déploiement en Afrique de la BC semble similaire à celui du téléphone mobile : facile à mettre en œuvre avec des structures adaptées et frugales...

L'Afrique a besoin d'innovation technologique pour sauter une génération et rattraper son retard, et l'innovation technologique a besoin de l'Afrique pour disposer d'un terrain de jeu vierge et valider, en grandeur nature, de nouveaux concepts. Le seul frein au déploiement d'une technologie, c'est l'existant.

En Afrique, nous n'avons pas le handicap des systèmes déjà en place qui bloquent l'arrivée de nouvelles infrastructures. C'est l'exemple que donne Lionel Zinsou [économiste franco-béninois, Ndlr] quand il parle de l'arrivée du service Uber dans son pays :

« Au Bénin, Uber ne va pas faire du mal à l'existant parce qu'il n'y a pas de taxi. »

Ici, la solution technologique de la société californienne aide à mettre en place un service qui n'existe pas encore localement.


Quelles seraient les premières applications pour la BC en Afrique ?

Le cadastre est la première grosse application à déployer. L'Afrique a besoin de capitaux pour se développer. Les investisseurs eux ont besoin d'actifs en gage pour prêter de l'argent. La terre reste aujourd'hui encore le premier actif qui existe en Afrique. Si je veux être en capacité de mettre en garantie mes terres, j'ai besoin de rassurer des investisseurs futurs.

Dans certains pays africains, la corruption et la fraude doivent être éradiquées. Beaucoup de grands investisseurs expliquent leur non-présence sur le continent par l'existence de telles pratiques. Ici, la BC peut être une solution simple pour éradiquer ces agissements mafieux. En mars dernier, la Sierra Leone a utilisé la technologie BC pour son élection présidentielle. Cela va dans le bon sens : en devenant le premier pays au monde à utiliser ce tiers de confiance numérique pour une élection, la Sierra Leone a fait preuve d'un haut niveau de démocratie et a rassuré ses partenaires internationaux.


Rencontre-t-on beaucoup de « mineurs » de cryptomonnaies en Afrique ?

Il y a énormément de « mineurs » de cyptomonnaies en Afrique. Nous avons identifié pas moins de 1.000 acteurs au Maroc ; et ceci pour une raison simple : les devises en Afrique ne sont pas convertibles.

Quand les acteurs économiques veulent acheter des matières premières, de nouveaux outils, de nouveaux logiciels... ils utilisent maintenant des cryptomonnaies pour faire payer leurs achats. Le plus souvent, ces transactions se font en bitcoin. Et les banques centrales africaines ne se sont pas trompées en mettant en chantier leurs propres crypto-devises. On fluidifiera ainsi les échanges entre pays africains et on facilitera l'économie horizontale au sein du continent. Cela rendra les échanges bien moins compliqués que de passer par un négociant basé en Europe qui prendra une commission lors de la transaction.


Au sein de la société Talan, vous avez mis en place une monnaie interne basée sur la BC pour vos salariés, le TalanCoin. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette démarche ?

Notre métier est d'accompagner la transformation des entreprises en actionnant le levier technologique accélérateur des transformations. Nous avons identifié quatre leviers technologiques : captage, stockage, analyse et échange des informations. Sur le pilier particulier des échanges, la BC joue un rôle déterminant.

Avec ce POC [Proof of Concept, Ndlr] du TalanCoin, nous avons cherché aussi bien à développer notre expertise sur cette technologie que de tester une solution RH innovante. Sur ce dernier point, il nous a semblé faire sens de valoriser et donc favoriser toute forme de création et d'échange de valeur au sein de l'entreprise, de manière individuelle ou collective. La première étape a été d'introduire le TalanCoin via une plateforme interne et d'en donner l'accès aux collaborateurs, en France comme à l'international, grâce à une application mobile.

Aujourd'hui, chaque collaborateur Talan peut gagner des TalanCoins en participant à la création de valeurs individuelle ou collective (animation d'une communauté d'experts, rédaction d'articles, participation à un forum, amélioration d'un processus interne, etc.). Les collaborateurs ont la possibilité de convertir leurs crypto-actifs en avantages non monétaires via une plateforme d'échanges ad hoc : formations, temps disponible pour des projets personnels utiles au groupe, "goodies", don à une association caritative, etc.

Cette innovation RH est aujourd'hui une offre que nous mettons à disposition pour nos clients.

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Propos recueillis par Laurent Lequien

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>> Pour en savoir plus sur le sommet Africa Blockchain Summit

Laurent Lequien
Commentaires 2
à écrit le 14/05/2018 à 10:08
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On oublie très vite que la blockchain va massivement être adoptée par l'ensemble des banques du monde car elle permet d'éviter les fraudes en garantissant que personne ne manipule les chiffres. Cette fonctionnalité du code permet donc de se passer d'...

à écrit le 13/05/2018 à 11:35
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Pour fluidifier, il faut simplifier et non compliquer en pensant fluidifier, bref, ne pas faire comme la machine administrative qu'est l'UE de Bruxelles!

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