La Cisjordanie, un territoire fragmenté

La solution à deux États se heurte à l’expansion des colonies israéliennes.
Garance Le Caisne
(Crédits : Carte réalisée par Louise Allain pour La Tribune Dimanche)

Elle habite à plus de 80 kilomètres de Gaza, dans la ville de Ramallah en Cisjordanie, mais elle vit chaque heure qui passe avec les habitants de l'enclave bombardée. « Nous avons tous perdu des êtres chers, explique Nour Odeh, analyste politique. L'atmosphère est très lourde à Ramallah, c'est un deuil permanent. Il y a un tel sentiment d'impuissance... d'autant plus que, depuis le 7 octobre, les Israéliens ont fermé aux Palestiniens les routes qui permettent d'entrer et de sortir de la ville. Nous sommes encore plus isolés qu'avant. » Si la bande de Gaza est d'un seul tenant, la Cisjordanie est morcelée. Un archipel d'îlots palestiniens, reliés les uns aux autres par des routes contrôlées par les autorités israéliennes. « Nous sommes dépendants de leur volonté de les ouvrir ou de les fermer, poursuit Nour Odeh. Cela donne l'impression d'être assiégé en permanence, car on n'a pas le contrôle de notre propre vie. Ce système s'immisce dans les moindres détails de notre quotidien. À l'épicerie, des produits peuvent manquer si la circulation a été fermée. Il faut planifier tous ses déplacements... »

Cette fragmentation trouve son origine dans les accords d'Oslo, signés en 1993 entre Yasser Arafat, alors chef de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), et Yitzhak Rabin, Premier ministre travailliste israélien. Salués à l'époque comme une avancée majeure pour la paix, ces accords de reconnaissance mutuelle étaient un pari sur l'avenir. Celui de la confiance et d'une solution à deux États, avec l'instauration progressive d'une souveraineté palestinienne sur la Palestine, dans les frontières fixées après la guerre de 1967.

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En signant, l'OLP accepte la division de la Cisjordanie en trois zones. La zone A, régie par l'Autorité palestinienne, regroupe les grandes villes. Dans la zone B, les autres localités et les villages sont sous l'autorité palestinienne pour les questions civiles et sous le contrôle d'Israël pour tout ce qui concerne la sécurité. La zone C, la plus grande, comprenant 60 % du territoire, est entièrement sous contrôle israélien. Composée de terres agricoles et de réserves naturelles, de colonies et de routes, cette zone devait passer sous contrôle palestinien. Mais les extrémistes des deux camps et l'expansion des colonies, entre autres, ont miné les accords.

« Oslo ne mentionnait pas la fin de la colonisation, explique Xavier Guignard, spécialiste de la Palestine au centre Noria Research. L'arrêt de la colonisation n'a d'ailleurs jamais été le programme d'un quelconque parti en Israël, de gauche ou de droite, voire d'extrême droite aujourd'hui. » Résultat, le nombre de colons et d'implantations juives a explosé. En 1993, 266 000 Israéliens habitaient dans les territoires palestiniens occupés, dont la moitié à Jérusalem-Est. Aujourd'hui, 685 000 colons vivent dans 145 implantations en Cisjordanie, au milieu des 3,3 millions de Palestiniens. En violation du droit international et des résolutions de l'ONU.

« Tout est contrôlé par Israël »

Pour faciliter la circulation des colons, des routes et des tunnels de contournement sont imposés aux Palestiniens, divisant leur territoire. « Comment peut-on parler d'une solution à deux États aujourd'hui ? C'est une chimère, totalement déconnectée des réalités sur place, affirme Inès Abdel Razek, responsable du plaidoyer de l'Institut palestinien pour la diplomatie publique (PIPD), établi à Ramallah. Répéter le mantra de la "solution à deux États" sans prendre aucune action pour mettre fin à la colonisation, l'occupation et l'apartheid, a de fait toujours empêché qu'un État palestinien voie le jour. Tout est contrôlé par Israël : l'accès au foncier, à l'eau, l'électricité, les cartes d'identité... »

Vert, c'est la couleur des cartes d'identité des Palestiniens de Cisjordanie, qui ne peuvent se déplacer comme ils le veulent. Bleu, celle des Palestiniens de Jérusalem-Est, annexé par Israël en 1980. Une couleur magique qui permet d'accéder à tout Israël et ouvre des droits à la sécurité sociale israélienne.

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La carte d'identité d'Ubaï Aboudeh, directeur du Centre de développement et de recherche Bisan, à Ramallah, est verte. Celle de son épouse, Hind, bleue. Vivre en dehors de Jérusalem-Est ferait perdre à Hind sa carte de résidente de la Ville sainte. Mais Ubaï n'a pas le droit d'y aller.

Ils vivent donc à Kufr Aqab, dans la banlieue de Jérusalem-Est. Un quartier hybride, surpeuplé, administré par Israël, installé du côté palestinien du mur de séparation érigé par les Israéliens. Pour la naissance de ses trois garçons, Khaled, 9 ans, et les jumeaux de 7 ans Ghassan et Basel, Hind est allée accoucher à Jérusalem-Est afin de leur permettre d'obtenir le permis de résidence. Avec sa carte verte, Ubaï est resté de l'autre côté du mur.

« Un niveau record de violence »

« Ces différentes cartes, ces zones de Cisjordanie empêchent les familles de vivre une vie normale, explique le père de famille de 39 ans. L'Autorité palestinienne était censée nous mener vers la paix et la liberté, elle a fait l'inverse. » Il y a deux ans, Ubaï Aboudeh a été arrêté vingt-quatre heures pour avoir défilé contre cette autorité corrompue, dirigée par un président de 88 ans qui refuse la tenue d'élections. Perçue comme une espèce d'auxiliaire d'Israël, contrainte par les accords d'Oslo, elle est devenue illégitime pour une large majorité de Palestiniens. Ce qui a entraîné un vide politique laissant la place à des groupes de jeunes armés, organisés ou spontanés, qui font la loi dans le nord de la Cisjordanie, comme à Jénine.

Aux abords des implantations, ce sont souvent des colons qui font le coup de feu et expulsent des villageois de leurs maisons, grignotant du terrain. Profitant de la guerre à Gaza, les attaques de colons contre des Palestiniens ont d'ailleurs explosé depuis le 7 octobre. « On atteint un niveau record de violence », souffle Nour Odeh, l'analyste politique de Ramallah. Pendant qu'elle parle au téléphone, elle regarde par sa fenêtre. « De chez moi, je vois une colonie, raconte-t-elle. La seule façon de sortir de cet enfer est d'évacuer les implantations. L'occupation est le principal frein à la relance d'un processus politique. »

Garance Le Caisne
Commentaire 1
à écrit le 12/11/2023 à 15:28
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Résultat du Sionisme intégriste. Sionisme critiquable dont la critique serait possiblement penalisable, l'antisionisme serait de l'antisémitisme.! Rhétorique fallacieuse qui ne résiste pas aux faits. Israël se conduit depuis 70 ans comme un État col...

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