Alors que 250 maladies infectieuses et parasitaires ont causé des épidémies depuis les années 60, les alertes des spécialistes n'ont pas suffi à nous préparer au pire. Pourtant, la "maladie X" que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ajoutait à sa liste des infections mondiales à craindre est peut-être celle qui vient de confiner une grande partie de l'économie cette année... ou une autre qui prépare encore ses armes avant de nous terrasser.
Jean-François Guégan est éco-épidémiologiste à l'IRD et à l'INRAE, deux établissements publics de recherche. Il connaît bien les épidémies et la façon de les surveiller. « Depuis trois ans, l'OMS alertait des risques de grippe aviaire (qui vient des oiseaux, ndlr) avec un virus influenza, comme celui du H1N1pdm. Elle aurait pu naître au Vietnam qui exporte beaucoup de poussins d'élevage ou au Nigéria qui produit aussi beaucoup de volatiles et sur lequel l'OMS possède très peu d'informations sanitaires. »
De son côté, le programme PREDICT de l'US-AID américain estimait que « le risque majeur était celui d'une contamination par un Coronavirus provenant d'une chauve-souris de Chine et répandu autour d'un marché. » Si la boule de cristal de PREDICT a bien fonctionné, on peut s'étonner du peu de crédit accordé à ces risques sanitaires par les différents gouvernements occidentaux ainsi qu'aux alertes des scientifiques. Peut-être les précédentes épidémies ont-elles été suffisamment maîtrisées pour que ces risques soient systématiquement minimisés. Après avoir appris à vivre avec le VIH et la grippe saisonnière, on ne se sentait plus menacé comme le souligne le Pr Renaud Piarroux, épidémiologiste à l'hôpital de la Pitié-Salpétrière à Paris : « Nos pays occidentaux étaient très mal préparés à une pandémie. Ils semblent persuadés que les risques appartiennent au passé, qu'on est bien protégé. »
De plus en plus d'épidémies
Même si elles ne nous débordent pas à chaque fois, la multiplication des épidémies est due à nos modes de vie et à nos pratiques, notamment avec la surexploitation de la nature et des animaux sauvages. La déforestation met les bûcherons modernes au contact d'espèces animales que nous humains n'avons pas l'habitude de côtoyer. En s'en rapprochant, ils leur transmettent une partie de leurs microbes inoffensifs pour nous humains et vice et versa, récoltent une partie des bactéries et des virus qui séjournent sur ces animaux. Quand ces nouveaux microbes arrivent à nous rendre malade, c'est la zoonose. L'élevage intensif qui mène à raser les forêts tropicales pour planter du soja qui nourrira le bétail occidental y participe largement. Le braconnage aussi joue le rôle de rabatteur de sales virus auxquels notre corps humain n'est absolument pas préparé.
Si 70% des infections et parasioses humaines connues sont issues de zoonoses, le phénomène a encore de la marge. Il existerait 1,7 million de virus "non découverts" chez les mammifères et les oiseaux, dont une partie serait susceptible de nous infecter. Et selon l'analyse des scientifiques de l'IPBES, le groupe d'experts de l'ONU sur la biodiversité, ces pratiques pourraient générer une nouvelle pandémie de l'ampleur de l'actuelle tous les dix ans.
Plus ou moins contagieuses et dangereuses
Dans la guerre microbienne, deux stratégies s'offrent à l'attaquant : soit être très puissant pour terrasser sa victime en peu de temps. Soit se montrer très contagieux pour en contaminer le plus possible. Un virus Ebola tue rapidement ceux qu'il contamine. Mais ses victimes sont si malades que l'on peut rapidement les identifier et les isoler avant qu'il ait eu le temps de se propager largement. La grippe H1N1 qui a fait trembler le monde en 2009 et face auquel Roselyne Bachelot avait bien équipé la France en masques et en vaccin était moins meurtrière que la Covid actuelle. Mais elle était trois fois moins contagieuse et comme elle ressemblait fort à un virus de grippe qui avait déjà circulé dans les années 1970, une bonne partie des plus de 50 ans était déjà immunisée. Quant au premier SRAS CoV-1 de 2002, il tuait presque 10% des personnes contaminées mais était moins contagieux que le CoV-2 de 2019. Sans cas asymptomatiques lui permettant de se répandre en douce, il a été plus facile à contrôler même s'il a bien faillit tourner en pandémie.
Pour Laurent-Henri Vignaud, maître de conférences en histoire moderne à l'Université de Bourgogne et spécialiste des épidémies, l'arrivée d'un nouveau virus est aussi déstabilisante pour la science que pour l'opinion publique :
« La peste avait un taux de létalité de 60% et une diffusion incontrôlable, avec la puce du rat qu'on a mis longtemps à identifier comme facteur de contagion. Cela explique la terreur que cette maladie a pu susciter. Aujourd'hui, la mauvaise connaissance de ce nouveau coronavirus le rend très menaçant, bien qu'il soit beaucoup moins létal. On doit s'habiter à ce risque infectieux comme on a appris à le faire avec la grippe saisonnière ou le Sida. C'est une question de diplomatie virale. »
Le mode de contagion aggrave aussi la dangerosité ou non d'un virus. Quand il se transmet par le sang comme le VIH ou par une piqûre de moustique comme le Zika, il semble plus facile de se protéger. Mais avec une transmission aérosol par l'air que l'on recrache et que d'autres respirent, c'est bien plus compliqué.
Les autres risques selon l'OMS
Depuis 2015, l'OMS liste les principales maladies infectieuses en circulation dans le monde qui pourraient déclencher une épidémie. Elle en recense neuf, dont les différents coronavirus (Covid-19, syndrome respiratoires SRAS et MERS au Moyen-Orient), mais aussi la fièvre de Lassa, les virus Ebola et Zika et la fièvre hémorragique de Crimée-Congo. Au-delà, la progression du phénomène d'antibio-résistance inquiète beaucoup puisqu'elle permet à certaines bactéries de survivre aux médicaments censés les détruire. Dans notre pays et selon Santé publique France, plus de 5 500 personnes meurent chaque année à cause de bactéries qui résistent même à la rolls des antibiotiques que sont les carbapénèmes.
Antabio est une biotech basée à Toulouse qui développe de nouveaux traitements pour soigner les infections prioritaires de l'OMS. Dans son « pipe », des molécules déjouant les mécanismes de résistance des bactéries, pour que certains antibiotiques redeviennent efficaces sur elles, des candidats prêts à passer en essais cliniques. Il faut dire qu'on attend depuis un moment et en vain de nouveaux antibiotiques, comme l'explique le CEO d'Antabio, Marc Lemonnier:
« Avec un modèle économique qui nécessite des coûts de développement élevés pour des médicaments à qui on imposera des prix de vente bas et une utilisation restreinte au minimum - pour éviter les phénomènes de résistance -. Les grands laboratoires se sont détournés de la recherche antibiotique. Et les biotechs qui y travaillent ont peu de chance de dégager du chiffre d'affaires sur ces produits. Pourtant, ce que l'on vit avec la Covid est une projection en accéléré de ce qui arrive progressivement et en silence avec la résistance aux antibiotiques. »
À défaut de solutions pharmaceutiques, cette résistance pourrait effectivement finir par créer une véritable pandémie.
Autre risque microbien : les bactéries et virus du Néolithique qui attendent tranquillement leur heure dans le permafrost. Avec son dégel sous l'effet du réchauffement climatique, ce permafrost pourrait nous révéler des ancêtres microbiens qui - faisons nous peur - pourraient se montrer redoutables s'ils ont survécu au gel et au temps.
Est-on prêts pour la suite ?
Après neuf mois de pandémie, les deux premiers actes du confinement nous ont prouvé que nos pays occidentaux étaient très mal armés contre les attaques microbiennes. Alors que l'OMS le rappelle dans un récent communiqué : "La Covid-19 ne sera pas la dernière situation d'urgence sanitaire que connaîtra le monde et il est urgent de se préparer durablement pour faire face à la prochaine." Alors comment gérer les nouvelles épidémies afin qu'elles ne deviennent pas des pandémies capables de paralyser le monde et l'économie ?
En revoyant sans doute l'indépendance, le pouvoir et les moyens de l'OMS, comme l'explique le Dr Jean-François Guégan : « Sur les 197 Etats membres affiliés, seuls 67 répondent clairement et complètement aux demandes d'informations, soit les pays riches et les pays occidentaux. Les pays aux régimes les moins démocratiques sont ceux qui transmettent le moins de données sur l'état sanitaire alors que l'OMS a besoin de ces données pour mener une véritable prévention. » Même constat pour le Pr Renaud Piarroux : « Si nous voulons nous protéger vraiment, nous avons besoin d'un organisme chargé de surveiller la santé dans le monde avec plus de moyens et d'indépendance par rapport aux différents gouvernements. D'autant que notre pays très touristique multiplie les risques de contamination en recevant beaucoup de visiteurs des quatre coins du monde. »
Sur la limitation des échanges afin de réduire la transmission, les politiques occidentales s'affrontent depuis le printemps. En Europe, les pays du Sud n'ont pas hésité à prendre des mesures contraignantes en confinant et en fermant la majorité des commerces. Alors que les pays du Nord - de culture protestante - ont tardé à restreindre les échanges commerciaux quel que soit le risque, avant de se raviser devant le nombre de décès Covid. Mais surtout, ils ont tous beaucoup tardé à dépister, isoler et tracer comme le conseillait pourtant l'OMS depuis le début.
Question de coût ? Pourtant, les projections le montrent : il vaut mieux investir en prévention comme le souligne Jean-François Guégan : « Des chercheurs en économie montrent que le coût d'une action en réaction et réparation face à une pandémie coûte de 100 à 700 fois plus cher qu'une véritable prévention. ». Une pandémie coûte en moyenne 60 milliards de dollars US à l'économie mondiale. D'ailleurs, les groupes de réassurance l'ont bien compris quand ils classent les pandémies comme le premier risque mondial en termes de problèmes sociaux, économiques et politiques.
Au final pour l'historien Laurent-Henri Vignaud, le seul avantage de cette pandémie tient à nous remettre les pieds sur terre en attendant la prochaine. « S'il y a un effet positif à la Covid, c'est la prise de conscience qu'on est tous dans le même bateau. Cette prise de conscience planétaire a commencé au cours des années 2000 avec la crise financière, puis avec le réchauffement climatique et la menace terroriste islamiste. Face à ce nouveau virus, il est incroyable d'avoir vu presque tous les gouvernements adopter les mêmes stratégies en si peu de temps. » Une prise de conscience à méditer en attendant la saison 2 de la série "Pandémie".