Volodymyr Zelensky a repris son bâton de pèlerin pour se concentrer sur ce qu'il fait le mieux : maintenir l'Ukraine sur le devant de la scène et mobiliser le soutien de ses partenaires internationaux. Vendredi, à Berlin et Paris, il a signé deux accords de sécurité bilatéraux. Après le Royaume-Uni, l'Allemagne et la France sont les premiers pays à le faire, conformément à l'engagement pris, en juillet 2023, avec les États du G7. Samedi devant la 60e Conférence sur la sécurité de Munich, le président ukrainien a multiplié les réunions avec des chefs d'État et de gouvernements, avec, en particulier, un entretien en tête-à-tête avec la vice-présidente américaine Kamala Harris.
Deux ans de guerre totale l'ont changé. Teint blafard, le visage mangé par un collier de barbe, l'homme au tee-shirt kaki a perdu son air juvénile. La légèreté de ses débuts à la tête du pays en 2019, sa décontraction, rien de tout cela n'a survécu à cette plongée dans les ténèbres. Confronté à l'incertitude d'une guerre d'usure, ce « Churchill avec un iPhone », comme dit l'historien britannique Timothy Garton Ash, s'efforce de galvaniser le moral de ses concitoyens et de conserver leur confiance. Son sens de la communication, cultivé pendant plus de vingt ans comme acteur et producteur, reste sa première contribution à la défense de la nation.
L'union sacrée se fissure
Depuis plusieurs mois, la tâche se complique. Au printemps dernier, les Ukrainiens préparaient une contre-offensive majeure qui, espéraient-ils, chasserait les envahisseurs du sud du pays. L'opération a échoué et les forces russes sont à l'offensive dans l'est. Les forces armées ukrainiennes manquent d'hommes et de munitions. A Washington, les élus républicains de la Chambre bloquent l'adoption d'un nouveau paquet de 60 milliards d'aide à l'Ukraine. A Kiev, le Kremlin s'est lancé dans une vaste campagne de propagande en direction des États-Unis et de l'Europe pour renforcer l'opposition à l'aide à l'Ukraine et le soutien à une solution négociée aux conditions de la Russie.
En Ukraine, l'union sacrée des débuts se fissure et la politique reprend ses droits. « Maintenir l'unité nationale à l'intérieur du pays et préserver le soutien occidental face à la Russie sont les deux principaux défis du président », résume Danylo Lubkivsky, ancien ministre adjoint des affaires étrangères et directeur du Kyiv Security Forum.
Sous la façade affable et le message de résilience, Volodymyr Zelenski ne cache pas sa frustration face à des alliés occidentaux qui font le nécessaire pour permettre à l'Ukraine de résister à l'agression mais ne lui donnent pas les moyens de gagner.
Sourcilleux, obstiné, le président veut imprimer sa marque dans les décisions militaires. Dès le printemps 2022, des divergences sur les opérations l'ont opposé à Valeri Zaloujny, le commandant en chef des forces armées ukrainiennes, remplacé le jeudi 8 février, par Oleksandr Syrsky, un général plus à sa main et dépourvu d'ambition politique.
Très attentif aux fluctuations de l'opinion publique, Volodymyr Zelensky se méfiait, par ailleurs, de voir émerger un rival politique dans le très populaire et désormais ancien chef des forces armées. Selon un sondage, réalisé en décembre 2023 par le Kyiv International Institute of Sociology, la confiance en l'action du président retombait à 62 % en décembre 2023 contre 84 % un an plus tôt, tandis que celle de Zaloujny culminait à 88%.
La rivalité avec Zaloujny
Le président a longtemps résisté aux recommandations de Zaloujny réclamant la mobilisation de 500 000 soldats supplémentaires, une mesure impopulaire et coûteuse, trop longtemps différée. « Il aurait fallu le faire il y a un an », considère Volodymyr Yermolenko, philosophe et rédacteur en chef du site Ukraine World. Le parlement doit finalement adopter un projet de loi visant à étendre la conscription mais il faudra du temps pour former les nouvelles recrues.
Soucieux de préserver l'unité du pays, les deux hommes ont géré consensuellement leur séparation. Désormais, l'issue de la guerre pèse entièrement sur ses épaules du président. « Si la situation s'aggrave, c'est lui qui en sera tenu responsable », analyse Alyona Getmanchuk, directrice du New Europe Center à Kiev.
Dans sa biographie (1), le journaliste russo-ukrainien Simon Shuster évoque le « besoin maladif d'être aimé et applaudi » et l'intolérance aux critiques de Volodymyr Zelensky. « Lui et son entourage viennent du show biz », confirme Volodymyr Yermolenko. « La popularité reste leur principal critère de succès et la source de leur légitimité ».
« Le principal problème du président, c'est la gouvernance », assène Oley Rybachuk, ancien vice-premier ministre, chargé de l'intégration dans l'Union européenne, en pointant l'isolement du chef de l'État, entouré d'un cercle très étroit de conseillers. « Le pays survit grâce à un groupe de cinq ou six personnes qui décident de tout, sous la houlette d'Andriy Yermak, le chef du bureau présidentiel. Zelensky devrait faire appel à des professionnels, prêts à assumer la responsabilité et les risques inhérents à la conduite des réformes ».
Paradoxe. Volodymyr Zelenski, le natif de Kryvyï Rih, cité-dortoir industrielle à l'est de l'Ukraine, ce russophone qui, jusqu'en 2019, maitrisait encore imparfaitement la langue nationale, plus familier de Moscou que de Maïdan, la célèbre place centrale de Kiev, siège de la « révolution de la dignité » en février 2014, incarne la lutte existentielle des Ukrainiens qui refusent d'être une colonie de la Russie. « Poutine transforme chaque président ukrainien en un patriote», note l'universitaire Olexiy Haran.
Une minorité prête à faire des concessions
Fatigués, traumatisés, les Ukrainiens n'abandonnent pas, même si les sondages montrent qu'une minorité croissante - environ 20 % en décembre 2024, contre 10 % en mai de la même année- serait prête à faire des concessions territoriales à la Russie si cela peut apporter la paix. Volodymyr Zelenski reste fermement opposé à une trêve, même temporaire, qui ne ferait que geler le conflit.
La loi martiale lui confère des pouvoirs exceptionnels - certains critiquent les tendances autoritaires et centralisatrices de son administration-, mais le président se sait sous la surveillance d'une société ukrainienne de moins en moins indulgente envers la corruption et les violations de l'état de droit. « Après deux révolutions, la société ukrainienne a sa propre compréhension de la justice», lâche la journaliste d'investigation Elena Longovina. « Nous voulons être un pays européen indépendant et souverain, ancré dans l'Union européenne et l'Otan. Cela n'aurait aucun sens de payer un prix aussi élevé pour se retrouver dans un État post-soviétique corrompu ».
La poursuite de la guerre implique davantage de sacrifices. Ce que le président fait miroiter en retour, la libération des territoires occupés, dépend de nombreux facteurs indépendants de sa volonté. Pour l'heure, Volodymyr Zelensky veut trouver les moyens de persévérer. Tout faire pour permettre à l'Ukraine de contenir les avancées russes. Avant de reprendre l'avantage et de pouvoir, le moment venu, choisir de négocier en position de force.
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(1) Nous vaincrons, Simon Shuster, HarperCollins France, 2024, 478 p., 21,90 euros.