Le FMI fait son grand retour sous la pression de la Chine

Nombreux sont les Etats qui sollicitent l’assistance financière du FMI depuis que les crises sanitaires, alimentaires, énergétiques se cumulent et sapent les finances publiques. Vilipendé pour sa gestion de la crise des dettes souveraines au début des années 2010, le Fonds ouvre plus que jamais les cordons de la bourse pour aider les pays en difficulté… et éviter qu’ils ne se jettent dans les bras de la Chine.
250 milliards d'euros sont actuellement prêtés par le FMI.
250 milliards d'euros sont actuellement prêtés par le FMI. (Crédits : Reuters)

Ukraine, Ghana, Tunisie, Egypte, Tanzanie, Cameroun, Pakistan... Les équipes du FMI endossent à nouveau leur costume de pompiers ces derniers mois. 250 milliards de dollars sont actuellement prêtés par le Fonds. « Il y a une forte augmentation de l'encours de crédits du FMI. Près de la moitié des Etats membres du FMI, à savoir 93 sur 190, lui empruntent de l'argent », constate l'économiste Patrick Lenain, auteur du livre pédagogique Le FMI.

Son retour sur le devant de la scène surprend tant l'institution a été assaillie de critiques au cours des deux dernières décennies. En Europe méditerranéenne évidemment où les potions prescrites par le FMI aux Grecs, aux Portugais et aux Espagnols pour redresser leurs finances publiques ont laissé un goût amer dans la population et la classe politique. Dans les pays du Sud aussi, pour qui l'institution fait figure d'épouvantail. Au point que l'ancienne présidente Cristina Kirchner promettait en 2007 une Argentine où « les enfants ne sauraient pas ce qu'est le FMI ».

En effet, aucun pays ne se résout à contacter le FMI de gaîté de cœur. Cet ultime recours est vécu comme un aveu d'impuissance quand les caisses publiques sont vides. « Parmi ces Etats, il y a des « failed states » (Etats en faillite) comme certains pays en Afrique subsaharienne. Mais aussi des pays qui vont bien et sont frappés par un choc comme le Covid ou l'augmentation des matières premières », analyse Gérard-Marie Henry, enseignant-chercheur à l'Université de Reims Champagne-Ardenne et ancien consultant pour la Banque mondiale. L'économiste voit dans le contexte de crises qui s'ajoutent aux crises la principale explication du retour en force du FMI.

Moins de conditions aux prêts

Si le Fonds est omniprésent, c'est aussi parce qu'il a revu ses exigences à la baisse. Désormais, il prête plus facilement pour prêter plus vite. Créé en 1944 lors de la conférence de Bretton Woods, l'organisation fonctionne comme une caisse commune. Les pays membres l'alimentent selon leur niveau de prospérité et les nations en difficulté y empruntent. A certaines conditions. Longtemps, l'accès à ces fonds étaient conditionnés à des engagements de bonne gestion économique sur le déficit, l'inflation ou l'arrêt des subventions publiques.

« Le FMI a progressivement renoncé à sa logique de conditionnalité des aides. Avant il versait les aides tranche par tranche pour s'assurer du respect des promesses qu'avaient fait les Etats », rappelle Georges-Marie Henry. « Aujourd'hui, le FMI privilégie la rapidité des prêts afin d'éviter un défaut. Cela aurait été inimaginable il y a vingt ans. Il y a eu une grosse inflexion depuis la crise grecque de 2011 », confirme-t-il.

Le cataclysme économique subi par Athènes suite à la cure d'austérité réclamée par la « troïka » (FMI-BCE-Commission européenne) marque une tâche indélébile sur la réputation du FMI, que cherchent à racheter les directeurs successifs. Fait rarissime, en 2013, la directrice générale Christine Lagarde avait concédé que « l'effet des plans d'austérité sur la croissance est plus fort que ce que nous avions anticipé il y a 3-4 ans. C'était une erreur d'appréciation »Autre mea culpa en 2014 dans un audit interne du FMI. Rendu public, le document s'était montré très critique sur le cocktail de mesures imposées à la Grèce, en particulier la brutalité des coupes budgétaires qui avait abîmé la croissance, les services publics... et refait plonger le déficit.

L'échec du « consensus de Washington »

Comme un symbole, le cas grec avait cristallisé les reproches faits de longue date au FMI par des économistes de premier rang comme Joseph Stiglitz. En 2003, le prix Nobel d'économie 2001 avait dressé une liste des erreurs récurrentes commises par le Fonds dans son essai « La grande désillusion ». L'illustre Stiglitz s'en était pris aux « programmes d'ajustement structurel » (PAS), ces réformes d'inspiration libérale (privatisations, dérégulation, baisse des dépenses publiques) demandées aux pays en contrepartie d'un prêt.

Dans les faits, l'application dogmatique de ces mesures, tellement en vogue chez les économistes et les dirigeants américains dans les années 1980 qu'on parlait de « consensus de Washington », s'est souvent avérée inadaptée et contre-productive dans les économies concernées. Comme cela s'est vérifié en Grèce. L'efficacité douteuse de ses recettes a contraint le FMI à une forme d'humilité et surtout à modérer ses exigences.

La rivalité sino-américaine n'est pas étrangère non plus à la soudaine générosité du FMI. Loin de s'arrêter aux échecs économiques de l'institution, Stiglitz avait déjà dénoncé la manière dont le FMI était utilisé comme arme géopolitique par l'administration américaine (située à quelques centaines de mètres du FMI dans le centre de Washington DC) à la fin du XXème et au début du XXIème. Premier contributeur, les Etats-Unis possèdent de fait un droit de veto sur les décisions du Fonds.

La Chine siège au FMI et le concurrence

Les récentes réformes de la répartition des voix en 2008 et 2010 ont maintenu les droits de vote des Américains au FMI de 16,7% à 16,5%... et seulement rehaussé les droits de vote de la Chine de 3,8 à 6,1%. Ces miettes n'ont pas satisfait l'appétit de puissance de Pékin, qui développe désormais ses propres lignes de crédit à destination des pays pauvres.

Tout en siégeant au FMI, la Chine investit dans d'autres organisations financières internationales où elle n'est pas entravée par son rival américain. Telle la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures (BAII) lancée en 2014 à l'initiative chinoise et déjà propulsée au rang de concurrent du FMI. Pékin ne prête évidemment pas par charité et les crédits contractés peuvent finir par étrangler les pays débiteurs. Etranglé par les prêts chinois qu'il est incapable d'assumer, le Sri Lanka en fait l'expérience.

« Aujourd'hui, ce qui a changé, c'est la possibilité d'emprunter à la Chine. Le FMI se montre moins exigeant et plus généreux pour éviter que les pays pauvres ne se tournent vers la Chine », observe l'économiste Gérard-Marie Henry. Le temps où le FMI était le seul prêteur en dernier recours au monde est révolu.

Commentaires 6
à écrit le 30/07/2022 à 20:59
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"depuis que les crises sanitaires" En parlant de crise sanitaire : Le Pr Jean-François Delfraissy, président du conseil scientifique, confesse qu'il n'aurait jamais cru que la crise du Covid « durerait aussi longtemps ». Son « premier regret »,...

à écrit le 30/07/2022 à 15:26
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si c'est pour faire des prets pas remboursables, autant aisser ca aux chinois ( qui sont tt de suite bcp plus pragmatiques et demandent en echange champs, mines, infrastructures, etc)

à écrit le 30/07/2022 à 10:27
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"éviter qu’ils ne se jettent dans les bras de la Chine." Donc un organisme contrôlé par les américains ! On comprend mieux avec cette crise créée artificiellement par les dirigeants occidentaux que le but du contrôle est la mandicité . Il vaut mie...

le 30/07/2022 à 11:44
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Parce que vous préférez une dictature à une démocratie imparfaite soit elle? Il n y a qu un petit bourg français pour dire / penser cela ….

le 30/07/2022 à 12:27
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Malheureusement beaucoup de français aiment cela, ils avaient pourtant le pouvoir de changer.

le 30/07/2022 à 13:42
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@reponse de cocotte Le pouvoir de changer quoi? Pour la NUPES ou leFN/RN? Ça va déjà bien assez mal comme ça pour confier en plus la France à des irresponsables...surtout à l'extrême droite. Extrême droite qui avance tous les jours, mais au fond ...

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