Le Sénégal plongé dans l'incertitude après l'invalidation du report de la présidentielle

Le président Macky Sall a promis d'organiser la présidentielle « dans les meilleurs délais ». Des consultations doivent désormais être organisées.
Le Conseil constitutionnel a invalidé la veille la décision du chef de l'Etat, Macky Sall, de reporter l'élection présidentielle prévue à l'origine fin février.
Le Conseil constitutionnel a invalidé la veille la décision du chef de l'Etat, Macky Sall, de reporter l'élection présidentielle prévue à l'origine fin février. (Crédits : ZOHRA BENSEMRA)

[Article publié le vendredi 16 février 2024 à 15h52 et mis à jour à 16h52] Coup de théâtre au Sénégal. Le Conseil constitutionnel a invalidé jeudi la décision du chef de l'Etat, Macky Sall, de reporter l'élection présidentielle prévue à l'origine fin février. Le pays est désormais plongé dans l'incertitude et reste suspendu à la réaction du président.

Le chef de l'Etat sénégalais Macky Sall s'est engagé vendredi à organiser la présidentielle « dans les meilleurs délais ». Il « entend faire pleinement exécuter la décision du Conseil » et « mènera sans tarder les consultations nécessaires pour l'organisation de l'élection présidentielle dans les meilleurs délais », ont précisé ses services dans un communiqué.

Cette déclaration intervient alors que l'Union européenne a appelé plus tôt « toutes les parties » au Sénégal à respecter l'arrêt du Conseil constitutionnel.

L'UE « appelle toutes les parties à respecter (cette) décision et à mettre tout en œuvre pour organiser les élections selon la décision du Conseil, c'est-à-dire dans les meilleurs délais », a déclaré Nabila Massrali, porte-parole du chef de la diplomatie européenne Josep Borrell.

Outre l'UE, la Commission économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedeao) a exhorté les parties prenantes à respecter la décision du conseil. Elle « demande aux autorités compétentes de fixer la date pour la tenue de l'élection présidentielle conformément à cette décision ».

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Silence radio

Le président Sall, élu en 2012 et réélu en 2019, était jusqu'à présent resté silencieux, ses collaborateurs disant seulement « prendre acte » du verdict du Conseil, qui n'est pas susceptible de recours. Les interrogations portent désormais sur la date du scrutin et la liste des concurrents. Pour rappel, les « Sages » avaient validé 20 candidatures en janvier.

Pour rappel, le Sénégal, réputé pour sa stabilité dans une région secouée par les coups d'Etat, traverse l'une des pires crises politiques de son histoire post-indépendance depuis l'annonce le 3 février par le président Sall du report de facto de la présidentielle, prévue à l'origine le 25 février. L'Assemblée nationale a ensuite repoussé le scrutin au 15 décembre après avoir fait évacuer l'opposition de force et prolongé le mandat du chef de l'Etat jusqu'à l'installation de son successeur.

Pourtant, le président a, lui, juré qu'il ne se représenterait pas pour un troisième mandat, justifiant le report par la crainte d'une contestation du scrutin susceptible de provoquer de nouveaux accès de violence après ceux de 2021 et 2023.

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Manifestations violentes

Ce qui a eu l'effet contraire, puisque des manifestations ont eu lieu dans tout le pays après l'annonce du report de la présidentielle. L'opposition et la société civile ont crié au « coup d'Etat constitutionnel », la première accusant le camp présidentiel de vouloir éviter la défaite de son candidat, le Premier ministre Amadou Ba, et suspectant Sall de vouloir se maintenir au pouvoir. De violents heurts ont fait trois morts lors de manifestations réprimées, ayant aussi donné lieu à des dizaines d'interpellations. De nouveaux appels à manifester ont été lancés pour vendredi après-midi et samedi.

L'UE « déplore le décès d'au moins trois personnes dans les manifestations qui se sont tenues dans plusieurs villes du Sénégal, ainsi que le grand nombre de blessés et d'arrestations », a déclaré la porte-parole du chef de la diplomatie européenne.

« Comme les Nations unies, l'Union européenne demande des enquêtes et dénonce un recours inutile et disproportionné à la force contre les manifestations et des restrictions de l'espace civique. Nous appelons donc à ce que toute la lumière soit faite sur les conditions de décès de ces personnes et les autorités à garantir les libertés fondamentales dont la liberté de manifester pacifiquement », a-t-elle conclu.

En parallèle, cent trente-quatre membres de l'opposition et de la société civile qui étaient détenus au Sénégal ont été libérés depuis jeudi, et environ 90 devaient l'être dans la journée de vendredi, selon les chiffres du ministère de la Justice transmis à l'AFP. Ces libérations interviennent alors que des gestes d'apaisement du président Macky Sall étaient attendus pour sortir de la crise.

« La pression internationale fait que le président Macky Sall ordonne des libérations », estime Souleymane Djim, membre du Collectif des familles de détenus politiques.

L'une des principales figures de l'opposition, Ousmane Sonko, mais aussi son second à la tête du parti Pastef dissous, Bassirou Diomaye Faye, l'un des favoris à la présidentielle, sont détenus depuis 2023. Aucune information ne fait état pour l'heure de leur éventuelle libération. Plusieurs centaines de membres de l'opposition, plus d'un millier selon certaines organisations de défense des droits humains, ont été arrêtés depuis 2021 dans le cadre de la lutte de pouvoir qui oppose Ousmane Sonko, mis en cause dans plusieurs procédures judiciaires, et le président Sall.

Cinq choses à savoir sur le Sénégal

Le Sénégal est réputé comme un îlot de stabilité en Afrique de l'Ouest. C'est l'un des rares pays du continent à n'avoir connu aucun coup d'Etat depuis son indépendance, le 4 avril 1960. Il a élu tous ses présidents au suffrage universel depuis 1963 et les alternances politiques ont été pacifiques.

Cependant, plusieurs épisodes d'émeutes, pillages et manifestations ont eu lieu depuis 2021, provoqués par un bras de fer entre l'opposant antisystème Ousmane Sonko (emprisonné depuis 2023) et le pouvoir. Les heurts ont causé des dizaines de morts et donné lieu à des centaines d'arrestations.

Le pays a eu quatre présidents depuis l'indépendance. Le premier, le « président-poète » Léopold Sédar Senghor, a quitté volontairement le pouvoir au bout de 20 ans. L'actuel, Macky Sall, a annoncé l'année dernière qu'il ne briguerait pas un troisième mandat. Derrière sa décision choc, le 3 février, de reporter la présidentielle, l'opposition soupçonne un plan pour éviter une défaite de son camp. Le Parlement a ensuite fixé le scrutin au 15 décembre, et trois personnes ont été tuées lors de manifestations interdites. L'incertitude s'est encore accrue après l'invalidation du report, jeudi soir par le Conseil constitutionnel.

Jeunes candidats à l'émigration

La moitié des 18 millions d'habitants ont moins de 18 ans, selon des statistiques officielles. Des jeunes qui rêvent souvent d'une vie meilleure à l'étranger, espérant laisser derrière eux pauvreté, chômage et plus récemment instabilité politique. Selon des ONG espagnoles et l'agence européenne Frontex, les Sénégalais sont les plus représentés, avec les Marocains, parmi les migrants arrivés en nombre record en 2023 dans l'archipel espagnol des Canaries, porte d'entrée en Europe.

Nombre de candidats à l'émigration - des jeunes, mais aussi des femmes et enfants, embarqués sur des pirogues en bois pour la dangereuse traversée d'environ 1.500 kilomètres - ont péri en mer. Plus récente et aussi plus onéreuse, une autre route migratoire est en plein essor : des Sénégalais prennent l'avion pour le Nicaragua, puis remontent l'Amérique centrale par voie terrestre pour tenter de rejoindre les Etats-Unis.

Futur producteur d'hydrocarbures

De vastes gisements de pétrole et de gaz ont été découverts dans l'Atlantique ces dernières années. Les réserves des blocs de Rufisque et de Sangomar (ouest) sont évaluées notamment à plus d'un milliard de barils de pétrole. Le gisement de gaz naturel Grand tortue/Ahmeyim (GTA), à la frontière entre la Mauritanie et le Sénégal, est aussi prometteur avec des réserves estimées à 900 milliards de mètres cubes.

Dans un rapport fin septembre 2022, la Banque mondiale estimait que l'entrée en production des gisements d'hydrocarbures devrait quasiment doubler la croissance de l'économie sénégalaise entre 2022 (4,7% selon le FMI) et 2024. Initialement prévue fin 2023, la mise en exploitation est maintenant attendue cette année.

Mémoire de l'esclavage

Le tourisme représentait près de 7% du PIB et environ 8% des emplois dans le pays en 2022, selon le Conseil mondial du voyage et du tourisme. Parmi les attraits du pays, ses 700 kilomètres de côte, le Musée des Civilisations Noires ouvert à Dakar en 2018, ou encore l'île de Gorée, symbole de la traite négrière. Lieu de départ des esclaves africains vers le continent américain pendant des siècles, Gorée, inscrite au Patrimoine mondial de l'humanité, attire des milliers de touristes.

Richesse culturelle

Outre le chanteur Youssou N'Dour, le pays compte des artistes mondialement renommés, comme le peintre Omar Ba, une des étoiles montantes de l'art contemporain africain, ou le défunt Ousmane Sow, connu pour ses sculptures monumentales de guerriers.

Prix Goncourt 2021 avec « La plus secrète mémoire des hommes », Mohamed Mbougar Sarr a été, à 31 ans, le premier écrivain d'Afrique subsaharienne distingué par le prestigieux prix littéraire français.

L'écrivain, réalisateur et scénariste Ousmane Sembène, « père » du cinéma africain décédé en 2007, a laissé une œuvre critique sur les questions politiques et sociales (« La Noire de... », « Le Mandat » ou « Camp de Thiaroye »).

(Avec AFP)

Commentaires 2
à écrit le 16/02/2024 à 23:31
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Bravo au Sénégal, bonne nouvelle de ces derniers jours, l'état de droit est respecté par leur Conseil Constitionnel, ce sont les Sénégalis qui ont écrit leurs lois, elles doivent être respectées. Des élections prochaines se doivent de refléter l'opi...

à écrit le 16/02/2024 à 17:54
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Sa tentative de "Trumpisme" a fait pschittt ? Il reste des démocrates en Afrique, semble t il.

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