Sénégal : « Reporter la présidentielle est juste, légitime » (Ismaïla Madior Fall, ministre des Affaires étrangères)

Proche du chef de l’État, ancien ministre de la Justice, le chef de la diplomatie sénégalaise justifie la décision du président d'avoir reporter l'élection présidentielle. De son côté, l’opposition manifeste son hostilité à un « coup d’État institutionnel ».
François Clemenceau
Ismaïla Madior Fall
Ismaïla Madior Fall (Crédits : © SYLVAIN CHERKAOUI POUR JA)

LA TRIBUNE DIMANCHE - La ministre d'État Awa Marie Coll Seck et le secrétaire général du gouvernement, Abdou Latif Coulibaly, ont démissionné pour protester contre le report de l'élection. Pourquoi ne pas les rejoindre ?

ISMAÏLA MADIOR FALL - Parce que ce report est juste, légitime et requis par les circonstances. J'y apporte mon plein soutien. Il est encadré désormais par une loi constitutionnelle d'origine parlementaire adoptée par l'Assemblée nationale à la majorité des trois cinquièmes. Un groupe de l'opposition l'a dénoncé devant le Conseil constitutionnel et on verra bien quelle sera sa décision. Le président gouverne, l'Assemblée nationale fonctionne et le jeu institutionnel est respecté. Si le report de l'élection n'avait pas été décidé, le scrutin aurait été discrédité dans sa validation par les soupçons de corruption qui pèsent sur deux juges du Conseil constitutionnel, ce qui a motivé une demande de commission d'enquête parlementaire que notre parti a décidé de soutenir. En attendant, le scrutin est reporté, mais celui-ci n'ira pas au-delà de la fin de l'année 2024.

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Pourtant, vous avez pu constater la colère de l'opposition jusque dans la rue et l'inquiétude de vos partenaires...

Tout le monde voulait aller à l'élection. Mais cette demande de commission d'enquête n'est pas venue du gouvernement. Elle émane d'un parti d'opposition. Une possible corruption du Conseil constitutionnel, arbitre de nos élections en tant que juge de la sincérité du scrutin, devait être prise au sérieux. Surtout si des candidats que le Conseil constitutionnel devait valider ne l'ont pas été. Lorsque l'on a découvert cela au moment de lancer la campagne officielle, on aurait pu se dire que ce n'était pas grave, quitte à prendre le risque que le résultat des urnes soit contesté. Nous avons préféré faire preuve de responsabilité et reporter l'élection de quelques mois. Ce n'est pas un coup d'État.

C'est le premier report d'une présidentielle depuis 1963...

C'est vrai que le Sénégal est une veille démocratie et qu'il s'agit de notre 11e élection présidentielle et qu'il n'y a jamais eu de coup d'État dans notre pays. Nous avons fait preuve d'une continuité démocratique constitutionnelle remarquable. Mais c'est la première fois que nous faisons face à la veille d'un tel scrutin d'un soupçon de corruption du juge électoral et d'allégations de fraudes dans les dossiers de certains candidats.

Contestez-vous que le candidat de votre parti, le Premier ministre Amadou Ba, adoubé par le président Macky Sall, était mal parti dans cette campagne ?

Je n'ai pas de sondages, mais Amadou Ba est le candidat de notre coalition et celle-ci est majoritaire dans le pays, que ce soit au niveau local ou au niveau national. En termes d'expérience et de connaissance du pays dans ses profondeurs, son profil était incomparable par rapport à ses concurrents.

Le grand chanteur Youssou N'Dour, ancien ministre de Macky Sall, des évêques et des imams, vos partenaires européens et africains se demandent s'il n'y avait pas d'arrière-pensées chez le président...

On peut le comprendre tant le calendrier électoral doit rester une matrice de la démocratie républicaine. Mais il faut en même temps assumer ses responsabilités lorsque les conditions ne sont pas réunies pour un scrutin juste et transparent. L'Église et les imams ou l'Union européenne ne sont pas aux manettes du Sénégal et n'ont pas de comptes à rendre aux citoyens sénégalais. Nous si, lorsque les circonstances l'exigent. Si le président voulait vraiment faire un coup d'État, il aurait reporté l'élection de deux ans et demi pour faire un mi-mandat de plus.

L'opposition appelle à faire campagne et ne plus considérer comme légitime le président à partir du 2 avril, date initiale de la fin de son mandat. Ne craignez-vous pas des violences ?

Cette même opposition a déposé des recours devant le Conseil constitutionnel pour faire invalider la loi encadrant le report. Cela signifie que les institutions démocratiques sont respectées.

On reste dans le jeu normal des institutions. Il faut savoir gérer les tensions dans le cadre des procédures et non dans la rue.

La France a fait part de sa « vive attention » sur la situation dans votre pays... L'avez-vous rassurée ?

Je me suis entretenu vendredi après-midi avec mon collègue Stéphane Séjourné et nous avons abouti à une compréhension commune de la situation. Je comprends que la France ait pu s'inquiéter parce que, pour les Français, le Sénégal reste un joyau démocratique exceptionnel en Afrique. À l'heure de la prolifération des putschs militaires et de la propagation du terrorisme, le Sénégal doit rester un îlot de stabilité.

Y a-t-il des ingérences russes dans votre pays comme il y en a eu au Mali, au Burkina Faso et au Niger ?

Je n'ai pas de preuves pour me livrer à de pareilles affirmations. Mais la fragilité politique des institutions des pays et l'insécurité au niveau régional affectent indiscutablement le Sénégal. Nous avons régulièrement des renseignements sur des tentatives d'infiltration pour déstabiliser politiquement le pays ou y ouvrir des foyers d'insécurité. Nous avons conscience de vivre dans un cercle de feu.

François Clemenceau
Commentaire 1
à écrit le 11/02/2024 à 13:46
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Tu parles Charles... Quel ministère va t elle revendiquer après le réélection du gusse ???

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